Demain, des engrais totalement décarbonés ?

Yara France a présenté en septembre 2022 sa stratégie de développement d’une production d’engrais décarbonés. Un projet détaillé par Marc Lambert, agronome chez Yara
Marc Lambert, Yara France

Perspectives agricoles : Aujourd’hui, quelle est la part des engrais azotés dans l’empreinte « carbone » des grandes cultures ?
Marc Lambert : 
Pour une grande culture telle que le blé, la fertilisation azotée représente 60 à 70 % de son empreinte « carbone ». Il y a quinze à vingt ans, environ deux tiers de l’empreinte « carbone » des engrais était liée à leur production et un tiers à leur usage. Depuis, l’industrie des engrais a notablement réduit ses émissions et ces proportions se sont inversées. Cela ne suffit pas, toutefois, pour atteindre la décarbonation.

P.A. : Quelle est la prochaine étape ?
M. L. : 
Il faut faire mieux, en décarbonant totalement la synthèse des engrais. C’est ce qu’a entrepris Yara à l’échelle d’un site pilote ; les premiers engrais fabriqués à partir d'hydrogène vert seront commercialisés en 2023. Dans la chaîne de production, le méthane naturel est remplacé par l’ammoniac, lui-même issu de l’hydrogène obtenu par électrolyse de l’eau avec une électricité renouvelable.
Lorsque l’on fabrique de l’ammoniac avec de l’hydrogène « vert », il n’y a pas d’émission de dioxyde de carbone, nécessaire à la fabrication d’urée. Le procédé conduit obligatoirement à la synthèse d’ammonitrates.

P.A. : C’est une forme plus intéressante que l’urée ?
M. L. :
 Il y a un an, Yara a publié une synthèse de tous les essais de fertilisation azotée dont nous disposions (maïs, colza, blé, orge) qui comparaient l’efficacité des principales formes d’engrais azotés. Cela a confirmé que ce l’on savait déjà : in fine, s’ils sont plus chers, les ammonitrates sont également plus efficaces. Avec un coefficient apparent d’utilisation plus élevé, ils permettent donc de dégager une meilleure marge.

P.A : Le contexte économique actuel peut-il accélérer l’utilisation d’ammonitrates décarbonés ?
M. L. : 
La décarbonation est effectivement en vogue aujourd’hui mais le sujet me tient à cœur depuis près de dix ans. Cependant les engrais décarbonés coûtent actuellement plus chers. Les industries agro-alimentaires, les coopératives, et les consommateurs sont en attente de produits décarbonés : ce n’est pas à l’agriculteur d’assumer seul ce coût. Il me semble que la charge devrait être assurée par tous les maillons de la société. À terme, si les gros projets de production industrielle d’ammoniac « vert » aboutissent, les coûts des engrais décarbonés pourraient diminuer.

P.A. : Comment l'Europe peut-elle produire « vert » et rester compétitive ?
M. L. :
 Labels « Bas carbone », politiques incitatives… Tout se met en place pour produire des engrais européens « verts ». Les producteurs européens d’ammonitrate sont déjà soumis à des quotas « carbone » depuis une quinzaine d’années, et l’impact « carbone » de sa fabrication est bien inférieur à celui des importations. Yara vise la neutralité climatique d’ici 2050.Jusqu’en 2030, elle s’appuiera encore sur la production d’hydrogène « bleu » (avec captation du dioxyde de carbone) tout en développant l’utilisation d’hydrogène « vert » (électrolyse de l’eau et énergies renouvelables). Cependant, en l’absence d’aides des pouvoirs publics, ces engrais décarbonés resteront plus chers que les produits importés.

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