La filière féverole à la loupe : une culture en mutation

L’interprofession des huiles et protéines végétales, Terres Univia, a réalisé un diagnostic(1) de la filière féverole en France en 2019. S’appuyant sur les résultats de projets de recherche et développement et sur des entretiens avec des acteurs institutionnels et économiques, il fournit des clés pour en comprendre le fonctionnement et activer les leviers de son développement.
Féverole : atouts et faiblesses

Comme les autres légumineuses à graines, la féverole dispose d’atouts agronomiques et nutritionnels incontestables. Ces cultures sont des éléments clés d’une agriculture et d’une alimentation durables, mais elles font face à des verrous sociologiques, techniques et logistiques à chacun des maillons de la filière. Il convient de lever ces verrous par des investissements collectifs et par une mobilisation coordonnée des acteurs au niveau régional et national.

Capable de fixer l’azote de l’air, la féverole ne nécessite donc pas d’apports azotés et permet de réduire ceux des cultures suivantes pour un rendement similaire ou amélioré. Son introduction au sein d’une rotation à forte proportion de céréales favorise, en outre, la régulation des maladies et des ravageurs ainsi que la gestion des adventices, grâce à la diversification des cultures et des techniques culturales appliquées. Ainsi, c’est un bon précédent des céréales et du colza. Elle peut également remplacer, sans perte de rendement, les légumineuses sensibles au pathogène Aphanomyces euteiches dans les parcelles contaminées, et ce sans risquer la multiplication du pathogène.

Pourtant, les surfaces de féverole ont reculé de 30 % entre 2015 et 2019. Les conditions climatiques récentes (fortes températures et sécheresse) et le développement de maladies et de ravageurs (bruche) ont fortement impacté les rendements et la qualité des graines, et en conséquence, la rémunération des producteurs qui se sont détournés de la culture.

La bruche bouleverse le fonctionnement de la filière

La bruche de la féverole (Bruchus rufimanus) est, en effet, présente sur l’ensemble du territoire. Elle est active lorsque les températures dépassent 20°C. L’adulte pond préférentiellement sur les gousses de féveroles de printemps, qui ont une floraison plus tardive que les variétés d’hiver. La larve se développe dans la graine, puis une fois adulte, la perfore pour en sortir, formant un trou rond caractéristique. Le rendement est peu impacté mais la qualité visuelle (et parfois la capacité germinative) des graines est fortement altérée.

Depuis 2013, une seule application de lambda-cyhalothrine est autorisée pendant la floraison. Aucune autre solution efficace de lutte chimique au champ n’est disponible. Des pistes de recherche sont à l’étude : la résistance génétique, le piégeage, la lutte biologique et les associations de cultures. Des solutions de lutte au stockage sont disponibles (séchage, fumigation, insecticide) mais elles sont peu utilisées en raison de leur coût énergétique, du coût du matériel et de la maitrise technique nécessaires. Toutes ces solutions ne peuvent, seules, réduire de manière pérenne les populations de bruches.

La féverole de printemps est cultivée dans la bordure nord-ouest et l’est de la France. Ses surfaces ont été fortement impactées par le développement de la bruche qui a entrainé la perte d’un débouché rémunérateur. La féverole d’hiver est principalement cultivée dans l’ouest, le sud-ouest et le centre de la France. Elle s’est développée car son cycle limite, par évitement, les effets des fortes températures, de la sécheresse et les attaques de bruche. À présent, elle représente la moitié de la surface nationale de féverole.

La féverole, en particulier les variétés d’hiver, est appréciée en agriculture biologique pour ses atouts agronomiques et son adaptation au désherbage mécanique. Ainsi, la surface de féverole conduite en AB a augmenté de 40 % entre 2015 et 2019. Elle représentait environ 30 % de la surface nationale en 2019.

Le développement de la féverole d’hiver, dont le potentiel de rendement reste inférieur à celui de la féverole de printemps, ainsi que l’essor du mode de production biologique s’accompagnent d’une évolution des aires de production (figure 1). Ils contribuent sans doute à la baisse du rendement observée au niveau national (tableau 1).

La rentabilité économique est encore limitée

La dégradation de la qualité visuelle des graines a entrainé la perte du marché alimentaire égyptien, ce qui a fortement impacté les gains des producteurs. Faute d’un autre débouché rémunérateur, certains se sont détournés de la culture.

Principal indicateur économique, la marge annuelle de la féverole est, en effet, pénalisée par la baisse de rendement et de qualité des graines. L’aide couplée aux protéagineux (187 €/ha pour la campagne 2019) réduit néanmoins l’écart entre la marge de la féverole et la marge des céréales ou du colza. Toutefois, la féverole peut offrir un gain de rendement et une réduction des charges pour les cultures suivantes. Le gain de marge brute d’un blé de protéagineux (pois ou féverole) par rapport à un blé de blé est ainsi de 160 €/tonne.

La collecte est un maillon clé pour la valorisation de la production, mais elle doit gagner en compétitivité en repensant le circuit logistique et les coopérations entre les opérateurs. Ainsi, environ 70 000 tonnes de féverole ont été collectées en 2018, soit seulement 50 % de la production. La collecte de féverole est fortement dispersée sur le territoire : plus de 260 coopératives et négoces en ont collecté en 2018, dont 85 % moins de 500 tonnes, tandis qu’une vingtaine d’opérateurs ont collecté 50 % des tonnages.

Ces faibles tonnages et l’hétérogénéité de qualité des graines impactent l’activité des opérateurs. Le coût logistique reste élevé, la capacité d’investissement est limitée, et il est difficile de constituer des lots de taille suffisante pour les marchés de volume. La segmentation des graines en fonction de leur variété et de leur qualité visuelle est pénalisée.

Les utilisations sont limitées par le manque de disponibilité

L’alimentation animale française a drainé 110 000 tonnes de graines en 2019-20, soit 65 % des utilisations de féverole en France (figure 2). La féverole peut être consommée par les ruminants et les monogastriques. Elle est principalement autoconsommée (par des ruminants), tandis qu’une faible partie est incorporée dans les aliments composés par des industriels.

L'alimentation humaine française a représenté environ 10 000 t en 2019-20, soit seulement 5 % des utilisations de féverole en France. La graine est traditionnellement utilisée sous forme de farine par la boulangerie. Elle suscite de plus en plus d’intérêt de la part des entreprises agroalimentaires en raison de la tendance actuelle de végétalisation des régimes.

Contrairement au blé ou au pois, la féverole est encore peu valorisée sous forme fractionnée (protéines, glucides et fibres). Le développement du marché mondial de la protéine végétale et la présence d’unités de fractionnement de pois en France peuvent représenter une opportunité pour la production. La féverole a notamment l’avantage d’une plus grande teneur en protéines (25 % contre 21 % pour le pois) et d’un goût moins prononcé que le pois. Le manque de connaissances sur ses propriétés fonctionnelles représente toutefois un frein à ce développement.

Le dernier débouché concerne l’export à destination de l’alimentation animale et humaine. Les exports pour la consommation humaine vers l’Égypte, qui représentaient le débouché principal de la féverole jusqu’en 2014-15, ont été en partie remplacés par l’export de graines décortiquées pour la pisciculture en Norvège (encadré).

La transformation, un levier de compétitivitéPlusieurs procédés augmentent la teneur en protéines des féveroles et/ou leur digestibilité, ou encore réduisent leur teneur en facteurs antinutritionnels. Par exemple, le décorticage augmente de façon simple la teneur en protéines (par concentration) et diminue la teneur en tannins qui sont concentrés dans la coque des graines. Les graines décortiquées sont notamment appréciées en pisciculture, en complément des tourteaux de soja et des farines de poissons. La généralisation de ce procédé pourrait accroître la compétitivité de la féverole face aux céréales et aux tourteaux d’oléagineux, en augmentant la valeur nutritionnelle des graines.

Ainsi, malgré plusieurs débouchés, l’utilisation de la féverole par les industriels de l’alimentation animale et de l’agroalimentaire est limitée par un ensemble de facteurs, dont le manque de disponibilité et de visibilité sur l’approvisionnement.

(1) Diagnostic d’Albane Meunier (Terres Univia).
Sources : Terres Univia, Terres Inovia, FranceAgriMer, Eurostat et diverses sources professionnelles.

La recherche variétale est fragilisée par le manque de financementLa sélection variétale est un maillon clé pour améliorer la performance technique de la culture et la valorisation de la production. Plus de vingt-cinq variétés ont été inscrites au catalogue officiel français entre 2009 et 2019, signe d’une activité de sélection qui reste dynamique sur notre territoire. La France occupe ainsi la seconde position pour le nombre de variétés inscrites au catalogue européen, suivant de peu le Royaume-Uni. Les sélectionneurs se sont concentrés sur les performances techniques de la culture. Ainsi, les variétés proposées sont de plus en plus performantes : le rendement d’Axel, inscrite en 2014, est presque 20 % supérieur à celui de Diva, inscrite en 2001. Les sélectionneurs ont aussi développé des féveroles à faible teneur en facteurs antinutritionnels (tannins et/ou vicine-convicine). Entre 2015 et 2019, les surfaces de multiplication de féverole de printemps classique ont reculé au profit des variétés de printemps à faible teneur en vicine-convicine et des féveroles d’hiver classiques. Pourtant, le taux d’utilisation de semences certifiées ne dépasserait pas 35 % en 2019.

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