Sources alternatives d’azote : toutes sont bonnes à prendre

L’épandage de matières organiques azotées comme l’introduction de couverts ou de cultures de légumineuses dans la rotation offrent des opportunités d’économies d’engrais minéraux. Que faut-il en attendre sur le plan des performances ?
Qu'attendre des sources alternatives d'azote ?

Dans le contexte actuel très incertain, afin de réduire sa dépendance à l’azote issu d'engrais de synthèse, il est opportun de mobiliser différents leviers en recourant, notamment, à des sources alternatives d’azote. Il en existe de plusieurs types.

Les effluents d’élevage peuvent compenser une partie de l'azote issu d'engrais de synthèse. Cependant, des équipements spécifiques, ainsi que parfois le recours à des prestataires, sont alors nécessaires. Par ailleurs, l'accès aux effluents d'élevage n'est pas évident, hormis dans les bassins d'élevage où, toutefois, ces produits sont déjà en grande partie épandus. Il existe donc peu de flexibilité sur la disponibilité de cette ressource. Toutefois il peut parfois exister une marge de manœuvre, par une meilleure valorisation tenant bien compte des effets fertilisants des produits pour décider de la période d’apport (encadré 1).

Quand positionner les apports d’engrais organiques ?Lisiers et digestats bruts ou liquides
Pour les cultures d’hiver, l’efficacité des apports d’automne est globalement assez faible car la disponibilité de l’azote ne coïncide pas avec les besoins. Il faut aussi tenir compte des contraintes réglementaires (périodes d’épandage) ; ces apports sont interdits une grande partie de l’automne en zones vulnérables. Les apports en sortie d’hiver sont mieux valorisés mais associés à un risque de perte par volatilisation car souvent réalisés sur une culture déjà en place ; il est conseillé d’utiliser des équipements spéciaux (pendillards, coutres enfouisseurs). Pour les cultures de printemps comme le maïs, l’avantage est que les apports peuvent être réalisés avant le semis et enfouis immédiatement avec des enfouisseurs ou par le travail du sol.

Fumiers
Ils sont apportés avant l'implantation des cultures pour pouvoir être enfouis au plus près de la date d’apport. Pour dégrader certains fumiers, notamment très pailleux, les micro-organismes du sol consomment de l’azote; afin d’éviter les faims d’azote, il est recommandé de les apporter au moins un mois avant la période de semis.

Fientes de volailles
Le comportement vis-à-vis de l'azote est assez similaire aux lisiers et digestats mais, pour l'instant, aucun matériel ne permet de les enfouir dans une culture de céréales à paille déjà installée. Au mieux, il est possible de passer une herse étrille après épandage - une pratique peu développée en conduite conventionnelle. Il est donc primordial d'éviter les journées venteuses et chaudes afin de limiter la volatilisation.

Vinasses de betterave
Elles ont la même période d’épandage que les lisiers mais ne sont disponibles qu’à proximité des sucreries, dans les régions à betterave.

Composts
Les composts d’effluents d’élevage ou de digestats ont un faible effet fertilisant à court terme, d’autant plus si le processus de compostage est complet. Leur effet sera surtout visible sur le long terme si les apports sont répétés : ils augmentent le stock de matière organique du sol et sa capacité de minéralisation. Attention aux composts de déchets verts, de déchets fermentescibles d’ordures ménagères et de fumiers pailleux : les apports sont à réaliser en fin d’été ; plus tard, ils risquent de provoquer une faim d’azote.

Certains autres produits pourraient contribuer à augmenter les ressources d’azote organique. C’est le cas des déchets (ménagers, de l’agro-industrie ou de la restauration) qui peuvent être triés à la source pour être compostés ou méthanisés plutôt qu’incinérés.

Plus généralement, la résilience des systèmes de production vis-à-vis des sources d'azote externes à l'exploitation peut être renforcée grâce à la diversification des assolements, en introduisant plus de cultures synthétisant l'azote atmosphérique. Les cultures intermédiaires de légumineuses, par exemple, ont ainsi un rôle important à jouer.

L'ensemble de ces changements doit s'intégrer dans le cadre d'un raisonnement à la fois technique et économique.

La réussite d’une céréale à paille implantée dans un couvert semi-permanent de légumineuse repose en grande part sur la bonne régulation du couvert.

Quel est l’effet « azote » à court terme des produits organiques ?

Les cultures ont des besoins en azote à satisfaire pendant leur cycle de croissance. Les fournitures du sol en comblent une partie mais il est souvent nécessaire d’effectuer des apports pour satisfaire les besoins de la plante et ainsi atteindre les objectifs attendus.

Les reliquats azotés, mesurés en sortie d’hiver pour les cultures d’hiver ou avant le semis pour les cultures de printemps, permettent d’estimer une partie des fournitures du sol qui seront disponibles pour la culture. S’ils sont faibles et qu’une partie des engrais minéraux fait défaut (coût excessif ou pénurie), alors une alternative peut être recherchée parmi les différentes sources d’engrais organiques : fumiers et lisiers, fientes de volaille, digestats, PAT ou fertilisants issus du recyclage ou biosourcés.

Tous ces engrais ne fournissent pas l'azote minéral aux cultures de la même façon. À dose d’azote totale identique, la quantité réellement mise à disposition pour la culture et le moment de sa disponibilité varient très fortement : selon la proportion d’azote organique et d’azote minéral contenue dans les produits, selon des pertes possibles liées aux conditions d’épandage et selon la cinétique de minéralisation de l’azote organique.

Une autre partie sera disponible plus tard dans le cycle de la culture - quand les conditions climatiques s’y prêtent. On constate souvent que les produits avec des rapports « carbone/azote » élevés restituent moins d’azote aux cultures l’année de l’apport. Dans tous les cas, la fourniture de l'azote minéral est plus lente qu’avec un engrais minéral. Seule une partie de l'azote total est disponible au moment de l’apport, en proportion variable selon les types de produits. De manière générale, il faut savoir quand les différents produits restituent leur azote pour bien les positionner.

Par ailleurs, il est important de bien estimer l’azote efficace afin d’évaluer le prix des produits organiques au regard des unités d’azote efficace. La comparaison avec les engrais minéraux s'effectue à l'aide des coefficients d’équi­valent azote KeqN (tableau 1). Cependant, dans l’évaluation du prix des engrais organiques, il ne faut pas oublier que ceux-ci jouent aussi le rôle d’engrais de fond en apportant phosphore, potassium et magnésium, mais aussi des oligo-éléments et de la matière organique.

ENGRAIS ORGANIQUES : le mieux est de les enfouir

Des pistes pour développer de nouveaux fertilisants issus du recyclage

Effluents d’élevage, résidus alimentaires, ordures ménagères, boues de station d’épuration, déchets verts… De nombreux déchets sont désormais recyclés pour en récupérer les nutriments et ainsi obtenir un nouveau produit épandable sur les cultures. Parmi ceux-ci, les digestats, les urines et les sels d’ammonium sont riches en azote minéral. Hormis les produits issus (ou en partie issus) du recyclage des effluents d’élevage ou les digestats de méthaniseur, bien peu sont adoptés par la communauté agricole. Certains font encore l’objet de fortes réticences, tels les fertilisants issus de boues de station d’épuration ou d’ordures ménagères, qui n’apportent presque pas d’azote (ou alors disponible à long terme) mais de la matière organique et d’autres éléments ou oligo-éléments.

Le projet international ReNu2Farm1, qui a étudié et cherché à promouvoir ces fertilisants issus du recyclage, a analysé les performances agronomiques et l’impact environnemental de trois d’entre eux riches en azote : du sulfate d’ammonium (issu d’épurateurs d’air), du nitrate d’ammonium (issu de l’eau dérivant du stripage de l’ammoniaque) et un concentré résultant de l’évaporation d’urine de porc.

Bien que ces procédés soient très peu développés en France, il est intéressant d’étudier ces produits comme source d’azote possible pour le futur. La transformation et la normalisation de ces produits les rend moins variables en composition comparé au substrat d'origine. Leurs performances sur l’efficience azotée ont été globalement similaires à celles des effluents d’élevage bruts enrichis d’engrais minéraux. Des précautions sont tout de même nécessaires à l’épandage pour éviter les pertes par volatilisation d’azote ammoniacal.

Le défi des engrais organiques est de maitriser de maîtriser la part d'azote minéral disponible pour la culture suivante et celle qui peut être perdue dans l'environnement.

Et les biostimulants ?Plusieurs biostimulants revendiquent une amélioration de la nutrition azotée des cultures par le biais de la fixation de l’azote atmosphérique par des bactéries soit rhizosphériques, soit colonisant les feuilles des cultures. Ces produits mettraient ainsi à disposition en continu de l’ordre de 20 à 30 kilos d’azote par hectare, selon les fabricants.

Les essais d’Arvalis1 conduits sur blé en nutrition azotée légèrement limitante n’ont pas montré de gain significatif par rapport à cette même dose d’azote minéral limitante sans biostimulant, ni sur le rendement ni sur la teneur en protéines avec chacun des types de biostimulant. D’autres essais sont prévus sur blé mais aussi sur maïs et pomme de terre pour explorer une gamme plus large de contextes pédoclimatiques. En effet, la survie puis la multiplication et l’activité de ces bactéries dépendent fortement des conditions rencontrées en plein champ et notamment des températures. Étant donné que leur achat entraîne un surcoût, ils n’ont actuellement pas démontré leur rentabilité.

(1) Biostimulants avec bactéries rhizosphériques testés en 2018 et 2019 ; biostimulants avec bactéries colonisant les feuilles testés en 2021 et 2022.

Utiliser davantage les plantes fixatrices d’azote

Un moyen peu coûteux de diversifier ses sources d’azote est d’insérer davantage de légumineuses (vesces, féverole, pois, trèfles, gesse, fenugrec, luzerne, lotier corniculé, mélilot, minette…) dans les rotations. En effet, leurs racines sont colonisées par des nodules bactériens qui fixent l’azote atmosphérique. Leur insertion dans la rotation peut prendre plusieurs formes, à l’instar de ce qui est très fréquemment pratiqué en agriculture biologique où elles constituent la principale source d’azote2.

Les couverts d’interculture
Les intercultures longues entre des cultures d’hiver et de printemps offrent l’opportunité, à ne pas manquer, d’implanter un couvert de légumineuses. Selon les régions, la réglementation peut imposer de les associer avec au moins une espèce non légumineuse3.
S’ils se développent bien (biomasse supérieure à 1,5 tonnes de matière sèche à l’hectare), ces couverts peuvent apporter de 30 à 40 kg d’azote/ha à la culture de printemps suivante, voire une centaine de kilos quand la biomasse atteint 4 t MS/ha en légumineuses pures ou 5 t MS/ha en mélange. En revanche, les couverts sans légumineuse ne fournissent, en moyenne, pas de supplément d’azote par rapport à un sol nu.
Comparés à une culture intermédiaire « classique » (moutarde de biomasse d’environ 2 t MS/ha, détruite à la fin de l’automne dans le seul objectif de piéger les nitrates) et pour des techniques d’implantation et de destruction similaires, les couverts de légumineuses peuvent amener des économies de l’ordre de 20 à 80 €/ha4 pour des niveaux de biomasse modestes (autour de 1,5 t MS/ha), mais les plus développés laissent envisager des économies de 70 à près de 200 €/ha4 !

Les couverts-relais
Les couverts-relais sont semés dans la culture de rente et détruits avant l’implantation de la culture suivante. Ce sont souvent des légumineuses pures - par exemple, du trèfle semé en sortie d’hiver dans du blé en plein tallage puis détruit avant l’implantation de la culture suivante. Ils ont un effet fertilisant et permettent des économies d’azote comparables à ceux d’un couvert de mêmes espèces et même niveau de biomasse implanté de façon classique après la récolte de la culture. Anticiper le semis du couvert peut sécuriser son implantation (si l’été est sec).

Des espèces compagnes
Des espèces compagnes peuvent être présentes dans la culture de rente pour lui apporter de l’azote mais ne sont pas récoltées. Terres Inovia conduit des expérimentations depuis plus de dix ans sur l’association d’un colza à des légumineuses compagnes régulées chimiquement ou détruites par le gel en hiver. Des économies d’azote de 20 à 30 kg/ha sont ainsi possibles. Arvalis a testé deux ans l’implantation d’une féverole dans l’inter-rang d’un blé bio semé large ; la protéagineuse est détruite par binage durant la montaison du blé pour éviter le triage des graines. Il n’a été constaté aucune perte de rendement et une hausse de la teneur en protéines de 0,7 à 1 point - des résultats qui restent à confirmer.
Dans le cas des céréales à paille, les légumineuses sont souvent implantées avant le semis de la culture. Des résultats intéressants5 ont aussi été obtenus sur des blés associés à des couverts de trèfle blanc ou de luzerne régulés à l’automne et/ou en sortie d’hiver, ou détruits au printemps. Cependant, la réussite d’une telle stratégie, qui repose sur la régulation de la croissance du couvert mais aussi sur le choix de variétés précoces et à bon pouvoir couvrant, requiert une très grande technicité !

Les cultures associées
Les cultures associées (association protéagineux à graines-céréale à paille, par exemple) sont déjà souvent pratiquées en AB et dans une moindre mesure, en agriculture de conservation des sols. Le plus grand frein à cette pratique est de trouver l’outil industriel pour séparer les graines de ces cultures, récoltées ensemble - une exigence fréquente pour leur commercialisation.

Culture principale
L’introduction en tant que culture principale de luzerne, féverole, lentille, pois, soja… offre un double avantage : la fertilisation azotée est inutile l’année de leur culture, et ces légumineuses permettent de réduire la dose totale d’azote à apporter à la culture suivante de 20 à 40 kg/ha selon la culture et son rendement, grâce à la dégradation de leurs résidus riches en azote. La fréquence de leur retour et le choix des espèces dépendront des débouchés trouvés et du matériel agricole disponible sur l’exploitation.

(1) Plus de précisions dans le compte-rendu disponible sur http://arvalis.info/2h3
(2) Article « Grandes cultures bio : des pistes pour raisonner la fertilisation », PA n°501, juillet-août 2022.
(3) Dans une majorité de situations en zones vulnérables, les couverts de légumineuses pures sont en effet interdits mais les mélanges sont autorisés ; cependant, de nombreuses dérogations existent. Pour en savoir plus, se référer à la réglementation en vigueur dans votre région.
(4) Estimations calculées pour un prix moyen de l’azote de 2,5 €/kg.
(5) Plus de précisions sur https://www.arvalis.fr/infos-techniques/comment-reguler-la-croissance-des-legumineuses-presentes-dans-le-ble

En savoir plus
Des outils gratuits pour mieux utiliser les sources alternatives d’azoteL’OAD « Fertiliser avec des produits organiques ou biosourcés » calcule les effets « azote », « phosphore », « potassium » et « magnésium » de différents engrais organiques apportés sur une culture à une période donnée, ainsi que leurs effets amendant. Il permet de choisir la période d’épandage la plus adaptée pour valoriser au mieux l’azote qu’il contient en fonction de la culture réceptrice : https://fertiorga.arvalis-infos.fr/fr.

La méthode MERCI, disponible sur https://methode-merci.fr, calcule les fournitures en azote d’un couvert pour la culture suivante à partir de prélèvements de biomasse fraîche au champ et de la nature du sol, mais aussi la dynamique de minéralisation attendue, les quantité de phosphore, potassium, soufre et magnésium remobilisées, la valeur fourragère du couvert, son pouvoir méthanogène et son potentiel de stockage de carbone dans le sol.

Les OAD « Choix des couverts » et « Les fiches Couverts » vous guident pour déterminer quelles espèces de couverts conviennent le mieux à votre situation et à vos objectifs, quels sont leurs bénéfices et leurs valorisations possibles : www.choix-des-couverts.arvalis-infos.fr et www.fiches.arvalis-infos.fr. Mettez les légumineuses à l’honneur lors de vos recherches.

La calculette d’échange paille-fumier calcule les équivalences en termes de valeurs fertilisantes, de coûts, de charges de mécanisation et de main-d'œuvre lors d’un échange de paille fournie par un cultivateur contre du fumier fourni par un éleveur : www.paille-fumier.arvalis-infos.fr. Utilisez vos propres coûts pour être au plus proche de votre cas.

Grégory Véricel - g.vericel@arvalis.fr
Hélène Lagrange - h.lagrange@arvalis.fr
Christine Le Souder - c.lesouder@arvalis.fr
Paloma Cabeza-Orcel - p.cabeza@perspectives-agricoles.com

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