Les insectes du stockage n'ont aucune chance de survie au champ

Les insectes du stockage se sont acclimatés au silo. Plusieurs études montrent que dans les conditions climatiques françaises, ils ne peuvent pas survivre dans les parcelles.

Les insectes qui infestent les silos de stockage de céréales peuvent-ils provenir des champs voisins ? Ou pourraient-ils coloniser ces derniers ?

Les insectes qui infestent les silos de stockage de céréales peuvent-ils provenir des champs voisins ? Ou pourraient-ils coloniser ces derniers ?

Les infestations de lots de céréales stockées à la ferme se multiplient, parfois dans les semaines qui suivent la récolte, et cela malgré un nettoyage soigné des locaux de stockage. Les céréales pourraient-elles avoir été infestées par les insectes en culture ? La biologie des espèces spécifiques du stockage et des résultats d’observations via des dispositifs de piégeage en milieu extérieur invalident cette hypothèse.

Des espèces mal adaptées à l’extérieur

On distingue deux catégories d’insectes au stockage des céréales : les insectes primaires (charançons, capucins…) et les insectes secondaires (silvains dentelés, triboliums…).

Les premiers ont besoin de grains de céréales entiers pour se nourrir et se développer. Les femelles adultes déposent directement leurs œufs à l’intérieur des grains (comme le charançon), ou bien c’est la larve qui migre à l’intérieur du grain pour finir son développement jusqu’au stade adulte (cas du capucin). C’est pourquoi on parle aussi d’insectes à « formes cachées ».

À l’inverse, les insectes secondaires, dits à « formes libres », ne peuvent pas s’attaquer à des grains entiers ; ils se nourrissent de brisures, de farine et de poussières végétales.

Les insectes des silos de céréales consomment-ils d’autres espèces cultivées ? Pas les insectes primaires, qui exigent la présence de céréales pour se développer. En revanche, plusieurs espèces secondaires peuvent coloniser un stock de graines oléagineuses. Des études américaines ont cherché à déterminer si des espèces d’insectes du stockage étaient capables de survivre en présence d’autres espèces végétales que les céréales cultivées. Seuls des glands issus d’un chêne spécifique, Quercus muehlenbergii, poussant en Amérique du Nord, ont permis la survie des adultes du capucin des grains (R. dominica) et l’établissement d’une progéniture.
 

INSECTES DU STOCKAGE : des vies bien courtes
Tableau 1 >>> INSECTES DU STOCKAGE: des vies bien courtes. Durée de vie du stade adulte chez différentes espèces déprédatrices des grains stockés. D’après Grain Research & Development Corporation, Australie (2024).

D’autre part, la longévité des insectes des silos adultes est relativement courte : généralement quelques mois (tableau 1). C’est insuffisant pour qu’ils puissent attendre au champ la maturité de nouveaux grains d’une année à l’autre, afin de se nourrir et d’installer de nouvelles pontes. D’autant que ces espèces n’entrent pas en diapause durant l’hiver, comme les bruches des graines protéagineuses, par exemple, afin de préserver leur énergie en attendant de nouvelles conditions favorables à leur activité.

Le silo, biotope idéal pour les insectes du stockage

Pour assurer le développement des individus et in fine la croissance d’une population, le seuil minimal de température est de 14°C pour les espèces les plus tolérantes au froid, et de 20°C pour les plus sensibles. La plage de températures optimales est située entre 25 et 33°C (figure 1). Sur le territoire français, la fenêtre temporelle durant laquelle la prolifération de ces espèces serait possible hors du silo est donc restreinte.

DÉVELOPPEMENT DES INSECTES : un cycle inféodé aux conditions dans le silo
Figure 1 >>> DÉVELOPPEMENT DES INSECTES : un cycle inféodé aux conditions dans le silo. Diagramme de la cinétique de développement des infestations au stockage. D’après Fields, 1992.


Les bâtiments de stockage offrent des températures stables et propices à la survie de ces insectes. C’est la recherche de nourriture ou bien de partenaires sexués qui pourrait motiver la mobilité des insectes du stockage hors des silos, en réponse à des stimulations olfactives (phéromones ou kairomones).

Mais parcourir de longues distances par le vol est très consommateur en énergie. C’est pourquoi les insectes rampants (charançons, silvains…), bien que pourvus d’ailes (excepté le charançon des grains, S. granarius), ne volent jamais en-dessous de 20°C, voire 27,5°C pour le charançon du riz (S. oryzae). Quant aux lépidoptères - teignes, ou mites alimentaires comme P. interpunctella -, ils préfèrent se déplacer en volant mais de manière saccadée et sur quelques mètres seulement. Au silo, les vols d’adultes apparaissent en général autour du mois d’avril, lorsque la température ambiante atteint 15°C.

La migration des insectes du stockage au champ invalidée

Plusieurs études se sont intéressées à la surveillance de ces espèces à l’intérieur mais aussi aux abords d’un site de stockage. Des dispositifs expérimentaux par piégeage ont aussi été conçus afin d’évaluer les distances que ces insectes étaient capables de parcourir en milieu extérieur, selon la proximité avec des silos ou le type de végétation en place (forêt, grandes cultures…).

Le capucin des grains est l’insecte du stockage capable de voler sur les plus longues distances : à 375 m du point de lâcher en moyenne ; il se dirigerait préférentiellement vers des surfaces boisées, et non vers les cultures de plein champ.

Le tribolium roux (T. castaneum) peut aussi parcourir une centaine de mètres aux abords des silos lorsque la saison est propice à son envol ; ces observations ont été faites sur des sites indiens et australiens, alors que la température extérieure dépassait 26°C. Des silvains dentelés (O. surinamensis) ou des petits silvains plats (C. ferrugineus) ont été capturés aux abords de stockages fermiers tchèques, en particulier en présence de grains résiduels, dans des conditions printanières et estivales.

Les insectes du stockage pourraient-ils infester les parcelles proches ? Les études avec suivi long (au moins un an) montrent que les pics de captures observés à l’intérieur et aux abords des silos surviennent en même temps (figure 2). Cette absence de décalage réfute l’hypothèse de migrations saisonnières depuis le silo vers le champ, en amont de la moisson. De plus, il y a systématiquement des captures plus abondantes à l’intérieur qu’à l’extérieur des sites de stockages suivis, ce qui amène à penser que le foyer d’infestation est situé dans le silo.

CAPTURES DANS ET AUX ABORDS DU SILO : aucun signe de migration des triboliums vers les parcelles
Figure 2 >>> CAPTURES DANS ET AUX ABORDS DU SILO : aucun signe de migration des triboliums vers les parcelles. Évolution du nombre moyen de captures de Tribolium castaneum sur 15 sites australiens * selon que les pièges sont au champ à distance d’un kilomètre de tout silo ou sur un site de stockage, avec ou sans appât.
(*) Région de Queensland, au climat subtropical ; les températures ambiantes moyennes mensuelles durant l’étude sont affichées sur l’échelle de droite. D’après Ridley et al. (2016).

Par ailleurs, ces études ne mentionnent pas de charançons en dehors des bâtiments de stockage. Seule une étude au Kenya a noté leur présence sous un hangar ouvert avec cribs de maïs, alors que la température ambiante était de 26°C en moyenne. En France, la récolte du maïs étant plus tardive que celle du blé ou de l’orge, cette culture pourrait potentiellement être colonisée par les insectes primaires mais dans certains cas exceptionnels : une proximité immédiate de la parcelle avec un silo infesté dont les insectes seraient en compétition pour les ressources alimentaires, avec une culture dans son dernier stade de développement, et si les conditions climatiques sont favorables au vol des insectes… Cette situation se rencontre de façon ponctuelle en France. De plus, aucune étude scientifique ne permet d’avancer une infestation significative des grains de maïs avant moisson.

Une dissémination par envol des insectes au champ, voire d’un site de stockage à un autre, est donc peu probable. La prolifération rapide des populations en début de campagne de stockage est sans doute liée à des réservoirs d‘insectes dissimulés dans les bâtiments et dans les circuits de manutention, ou encore à la conservation de lots de report déjà colonisés par ces espèces (encadré).

Préparer les locaux et éviter les reports

Deux pratiques peuvent réduire la pression d’insectes en début de campagne.
Un nettoyage soigné des cellules, des bennes de transport et de la moissonneuse-batteuse (qui s’apparente à un mini silo en cas de grains résiduels) est une étape à ne pas négliger pour réduire au maximum le risque d’infestation de la récolte à venir. Les déchets collectés seront vite évacués du bâtiment et de ses abords afin d’éviter une éventuelle migration d’insectes vers les cellules.

Compléter ce nettoyage par un traitement insecticide des parois (chimique, poudres minérales ou lâcher de parasitoïdes) est une stratégie adéquate pour obtenir un point zéro qualitatif et éviter un traitement sur grains en cours de stockage.
Enfin, éviter de conserver au même endroit les céréales de l’année passée, qui peuvent avoir été infestées et constituer un foyer d’infestation pour les derniers grains ensilés.

 

 

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