Protéines issues du colza : comment répondre à la demande des marchés?

Depuis quelques années, de nouveaux débouchés s’ouvrent à la fraction protéique de la graine de colza - à condition de pouvoir approvisionner le marché avec des graines ayant une teneur en protéines plus élevée. Il s’agit donc d’augmenter ce taux de protéines sans dégrader la teneur en huile, qui reste la principale rémunération de la filière. Où en est-on de ce double objectif ?
Des colzas plus riches en protéines

L’intérêt pour la teneur en protéines du colza d’hiver s’est accentué depuis dix ans avec la volonté globale de la France de renforcer l’indépendance protéique des élevages. Il constitue l’une des principales sources de matière riche en protéines disponible localement, bien que les débouchés les plus rémunérateurs soient aujourd’hui liés à la valorisation de l’huile (pour l’alimentation humaine, la production de biocarburants ou l’oléochimie). C’est la fraction protéique résiduelle qui est ensuite valorisée en alimentation animale via l’utilisation des tourteaux de pressage.

Ces tourteaux sont utilisés depuis longtemps dans l’alimentation des ruminants, mais leurs teneurs en protéines sont en général trop faibles et leurs teneurs en fibres résiduelles trop élevées pour intéresser le marché de l’alimentation des monogastriques comparé aux tourteaux de soja.

Néanmoins, l’intérêt des éleveurs à accroître leur capacité d’approvisionnement local et non OGM d’une part, et l’intérêt stratégique mis en lumière récemment par la crise ukrainienne à développer des capacités à produire localement de la protéine d’autre part, remettent la production de protéines issues du colza au cœur des solutions que peut apporter à court termes la filière française des huiles et des protéines végétales. Ainsi, augmenter la valeur de la production annuelle française de 1 à 2 % (21 à 22 % de protéines dans la graine, contre une moyenne de 19 % aujourd’hui) sans diminuer le rendement aura donc mécaniquement un impact de +5 à +10 % sur la souveraineté protéique sur une production nationale majeure comme le colza, dont les surfaces oscillent entre 900 000 et 1,1 million d’hectares annuels.

En sus de ces marchés historiques, une amélioration plus significative du profil protéique de la graine (+20% ou plus de protéines, baisse de la teneur en fibres et en composants antinutritionnels…) peut permettre de cibler de nouvelles filières d’alimentation aujourd’hui peu consommatrices de tourteaux de colza, comme la volaille. Désormais l’alimentation humaine, pour laquelle la demande en protéines végétales explose à l’échelle mondiale, est aussi ciblée, avec le lancement prévu en 2022 d’un pôle industriel à Dieppe issu d’un partenariat entre les sociétés Avril et Royal DSM.

Pour convenir au marché de l’alimentation des monogastriques, la teneur en protéines des graine de colza doit se rapprocher du tourteau protéique de référence, le soja.

Le choix variétal, un levier incontournable

Pour satisfaire ces marchés avec une production de colza locale, il sera nécessaire de disposer de nouvelles variétés plus performantes sur ces critères avec notamment un palier de 25 à 26 % de teneur en protéines à atteindre. Ce cap paraît difficile à franchir dans les conditions actuelles.

En effet, depuis ses débuts, le colza d'hiver a été sélectionné pour obtenir des teneurs en huile toujours plus élevées. Cependant, l’accumulation d’huile dans la graine est antagoniste à l’accumulation de protéines : plus la teneur en huile est élevée, plus la teneur en protéines est faible (encadré).

Un mariage difficile entre teneurs en huile et en protéinesL’accumulation de l’huile dans la graine de colza est très fortement et négativement corrélée à celle de la teneur en protéines : plus la graine renferme d’huile, moins elle contient de protéines ; le phénomène est identique chez le soja et le tournesol. Cela suggère tout d’abord que le remplissage des grains est très contraint et que l’accumulation de l’huile, d’une part, et des protéines, d’autres part, est soumise à une forte régulation. Cette régulation serait réalisée en partie par les mêmes gènes pour ces deux composantes, mais les mécanismes génétiques qui les sous-tendent restent mal connus. Différentes études menées sur le génome du colza ont montré que plusieurs des principales régions génomiques à effet quantitatif (QTL1) contrôlant l’accumulation de ces deux fractions sont localisées au même endroit dans le génome, ce qui pencherait pour une régulation commune. Néanmoins, d’autres QTL « mineures » ne sont pas colocalisées et laissent l’espoir de pouvoir sélectionner les deux composantes de manière indépendantes. Le caractère multigénique du contrôle de l’accumulation de protéines rend sa maîtrise difficile.

(1) Une QTL (quantitative trait locus) est une région plus ou moins grande d’un chromosome associée à un caractère quantitatif (par exemple, la hauteur de tige) où sont localisés un ou plusieurs gènes contrôlant ce caractère.

D’autre part, la teneur en protéines des graines de colza d’hiver, très variable à la fois d’une région à l’autre et d’une année à l’autre, ne dépasse que très rarement 23 % dans les conditions françaises.

Demain, la solution viendra de la sélection variétale. En effet, il a déjà été établi qu’une variabilité génétique existe sur le caractère protéique du colza, et qu’à travers la sélection, il est possible d’améliorer significativement la teneur en protéines de la graine. Des travaux de sélection sont déjà en cours : Corteva travaille en particulier au développement de profils variétaux de colza d'hiver high pro améliorant de façon significative la teneur en protéine et réduisant la teneur en fibres de la graine. Ce profil permettra une meilleure valorisation du tourteau de colza à échéance de 4 à 7 ans. Des expérimentations sont en cours de validation pour confirmer que la conduite culturale préconisée pour les variétés actuelles sera aussi adaptée à ces nouvelles variétés.

Pour l’heure, augmenter la teneur en protéines en utilisant les variétés actuellement disponibles, et sans trop dégrader la teneur en huile, constitue un défi de taille. Terres Inovia, Avril et Sofiproteol se sont attelés depuis 2019 à la recherche de leviers agronomiques permettant d’y parvenir au travers de deux projets financés par Sofiprotéol : IN PETTO-1 (2019-2021) et IN PETTO-2 (2021-2023).

Dans le cadre du projet IN PETTO-1, neuf variétés ont été évaluées en comparaison d’une variété témoin, DK Exstorm, sur un réseau de neuf sites d’essais conduits en 2019 et 2020. Ces variétés avaient été préalablement sélectionnées pour leur teneur en protéines plus élevées que la moyenne.

Les résultats obtenus montrent que la teneur en protéines est très variable selon les conditions pédoclimatiques, malgré un pool de variétés testées identique entre les sites d’essais : entre 18,7 et 22,9 %, avec une moyenne de 20,9 %. Néanmoins, deux variétés, ES Cesario et RAGT2, présentent des teneurs en protéines significativement plus élevées (+1 %) que celle du témoin DK Exstorm (figure 1, courbe du haut) ; ES Amadeo arrive en troisième position, avec un bonus de +0,8 % (mais non significatif).

De plus, alors qu’on pouvait s’attendre à voir ces trois variétés en queue de peloton concernant la teneur en huile, ES Amadeo obtient un bonus de +0,5 % par rapport à DK Exstorm (figure 1, courbe du bas) et se classe même dans le top 3 des variétés testées. RAGT2 se classe en milieu de groupe avec une teneur en huile très similaire à DK Exstorm. En revanche, ES Cesario obtient 1 % de moins que DK Exstorm, et 2 % de moins que la meilleure variété testée.

HUILE VERSUS PROTÉINES : ES Amadeo présente un bon compromis rendement, huile et protéines

Concernant la productivité, RAGT2 obtient un indice de rendement légèrement supérieur à DK Exstorm et se positionne dans le top 3 des variétés testées les plus productives ; ES Amadeo est en milieu de groupe, au même niveau que DK Exstorm, et ES Cesario est légèrement plus en retrait.

Moduler le fractionnement des doses d’azote pour favoriser l’absorption tardive

Le deuxième levier étudié dans le cadre des projets IN PETTO est la fertilisation azotée. En effet, les différents essais menés précédemment par Terres Inovia montrent un effet clair (et antagoniste) de la dose d’azote apportée au printemps sur la teneur en protéines et la teneur en huile. Une hausse de la dose d’azote dans les essais conduit à une hausse de la teneur en protéines à raison de +0,5 % par tranche supplémentaire de 50 kg/ha d’azote par rapport à la dose optimale calculée avec la réglette azote.

Si ce résultat n’est pas contestable, il n’est toutefois pas envisageable de conseiller d’augmenter la dose d’azote apportée au regard des conséquences environnementales que cela engendrerait. Les deux projets se sont donc focalisés sur l’optimisation du parcours de fertilisation azotée sur la base de la dose optimale. Différentes formes et dates d’apport ont été testées au sein de cinq essais menés sur 2019 et 2020.

Les résultats des essais montrent que la forme d’azote (ammonitrate comparé à un ammonitrate+ inhibiteur de nitrification et à une urée+ inhibiteur d’uréase) semble peu influencer la teneur en protéines et la teneur en huile, même si l’inhibiteur d’uréase se place légèrement en tête en tendance.

Le retard du dernier apport d’azote est la modalité qui affecte le plus la teneur en protéines et ce, de façon positive. En tendance, cet effet est visible lorsqu’on retarde l’apport jusqu’au stade F1 mais encore plus jusqu’au stade G1 : +0,15 % en moyenne à F1 et +0,7% à G1. Cependant, l’effet de cet apport retardé est conditionné aux conditions climatiques de l’année. En effet, la fréquence des pluies au stade G1 du colza est en général beaucoup plus faible qu’aux stades D2 ou encore F1 - or l’azote ne peut être absorbé par la plante qu’en présence d’eau ; en cas de conditions sèches, ce qui n’a pas été le cas sur les deux années d’essais, l’effet de cet apport retardé sera beaucoup plus faible, voire nul.

Pour les deux modalités les plus intéressantes, avec inhibiteur d’uréase ou retard du dernier apport, on n’observe pas de baisse de rendement, voire au contraire un léger gain. Concernant la teneur en huile, on observe une baisse modérée de -0,25 %.

L’une des voies pour élargir le débouché « protéines » du colza d’hiver est la sélection de nouvelles variétés, dites high pro, dont la graine cumule une teneur élevée en protéines sans baisse de la teneur en huile.

Combiner les leviers favorisant la teneur en protéines

Sur chaque essai, les modalités de fertilisation ont été testées sur trois mêmes variétés, dont ES Cesario et DK Exstorm, ce qui a permis de vérifier que l’effet de la fertilisation était bien le même quelle que soit la variété.

Le poids respectif de chaque levier a aussi pu être quantifié, de même que leur effet cumulé. Dans la quasi-totalité des essais, le poids de l’effet variétal était plus important que le poids de la fertilisation. Le gain moyen de teneur en protéines obtenu en semant ES Cesario plutôt que DK Exstorm est de +0,8 %, alors que le gain moyen obtenu en retardant le dernier apport d’azote est de +0,5 %, toutes variétés confondues.

Mais le plus intéressant est qu’en combinant la meilleure variété (ES Cesario) et le retard du dernier apport d’azote, le gain moyen de teneur en protéines par rapport à DK Exstorm atteint 1,4 % en tendance (figure 2) tandis que la perte de teneur en huile reste modérée (-0,2 %). En revanche, on observe une différence importante de rendement entre ces deux variétés, de 4 q/ha en moyenne en faveur de DK Exstorm.

MAXIMISATION DE LA PROTÉINE : +1,35 % de protéines en combinant les leviers variété et fertilisation

L’ouverture de nouveaux débouchés pour le colza représente toujours une opportunité qu’il faut considérer. Dans le cas présent, la mise en œuvre technique des différents leviers testés reste accessible pour l’agriculteur, mais l’effet est limité ; de plus, l’impact économique de ces leviers reste à chiffrer, qui devra prendre en compte la baisse de rendement éventuelle. Si la différence de coût de production est significative, il sera nécessaire que la filière se positionne pour en répartir le coût sur ses différents maillons.

La balance entre les deux fractions huile-protéines et leur valorisation sont donc à bien considérer par la filière au regard des demandes du marché et des enjeux de souveraineté alimentaire. Ce dilemme pourra cependant se résoudre de lui-même prochainement si les nouvelles variétés de colza high pro sont commercialisées prochainement.

En attendant l’arrivée des variétés high pro, on peut choisir une variété à teneur en protéines élevée et productive en huile, et retarder le dernier apport d’azote pour en favoriser l’absorption.

Cécile Le Gall - c.legall@terresinovia.fr
Raphaëlle Girerd - raphaelle.girerd@sofiproteol.com

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