Observatoire Syppre-Berry : comment améliorer les performances des exploitations ?

Dans le cadre de l’observatoire du projet inter-instituts Syppre, six scénarios innovants d’évolution d’une ferme-type du sud de la région Centre-Val de Loire ont été simulés à partir des résultats opérationnels acquis au cours des dernières années. Les effets de ces innovations agronomiques sur les résultats économiques et la durabilité des systèmes ont ainsi été analysés.
Les systèmes de culture innovants en Champagne berrichonne

L’observatoire de l’action inter-instituts Syppre suit l’évolution des pratiques et des performances des systèmes de production actuels. Dès son lancement, cette approche, combinant des données statistiques et d’expertise, a contribué à décrire les systèmes de culture dominants et à choisir les systèmes témoins pour les plateformes expérimentales de cinq régions agronomiques représentatives de la diversité agricole française.

Dans le cadre de l’observatoire, des aires de représentativité sont définies avec les plateformes régionales et les réseaux d’agriculteurs innovants correspondants. Elles sont caractérisées par leurs conditions de sol et de climat, leurs systèmes de culture et de production ainsi que leur environnement socio-économique. Une aire peut être aussi caractérisée par des enjeux spécifiques - par exemple, la fertilité des sols et le risque érosif élevé dans les coteaux du Sud-Ouest.

En région Centre-Val de Loire, l’aire de représentativité correspond à la Champagne berrichonne (figure 1), au cœur des zones dites « intermédiaires » (aux potentiels agronomiques intermédiaires).

La sole des céréales à paille augmente mais un début de diversification s’entrevoit

Entre 2014 à 2019, dans les systèmes de culture sans irrigation (dits « en sec » ou pluviaux) observés en Champagne berrichonne, la rotation courte colza-blé-orge a largement dominé jusqu’en 2016. Depuis 2016 toutefois, la sole de colza d’hiver a très fortement baissé - un phénomène structurel lié à des difficultés de gestion du parasitisme en colza d’hiver, amplifié par la météo depuis 2018 en raison d’une succession d’été secs.

En parallèle, les associations de colza avec une légumineuse gélive se sont développées dans les pratiques. De telles associations représentaient ainsi 14 % de la sole de colza d’hiver en 2018 à l’échelle de la région Centre-Val de Loire, contre 11 % en 2014.

La sole en céréales à paille a augmenté légèrement en tendance. Dans le même temps, une légère tendance en cours à la diversification a été observée avec l’introduction de la lentille, du maïs et du tournesol dans les rotations.

Suite à ces observations, une ferme-type du Berry de 160 ha conduite « en sec » (régime pluvial), dont les performances peuvent être qualifiées de moyennes (encadré), a été « construite » en atelier pour l’outil de simulation SYSTERRE.

Une ferme-type du BerryL’assolement de référence de cette ferme aux sols argilocalcaires moyens est constitué d’un tiers de blé tendre d’hiver, d’un tiers de colza d’hiver et d’un tiers d’orge, dont la moitié en orge d’hiver fourragère et l’autre moitié en orge de printemps brassicole semée en hiver ; cette dernière pratique s’est en effet développée au cours des dernières années dans le Berry.

S’agissant des pratiques culturales et du parc matériel(2), ils ont été établis sur la base de l’expertise régionale associée à diverses références statistiques disponibles(3).

Les rendements moyens retenus pour les simulations de SYSTERRE, issus de l’étude de compétitivité en région Centre-Val de Loire sur 2013-2015, ont été réajustés par les experts des instituts techniques afin de correspondre au mieux au potentiel agronomique moyen de la Champagne berrichonne en conduite pluviale. Ces rendements sont de 72 q/ha pour le blé tendre, quel que soit le précédent (tournesol, féverole, colza, lentille ou pois), de 30 q/ha pour le colza seul et 33 q/ha pour le colza associé, de 24 q/ha pour la lentille, de 70 q/ha pour les orges (de printemps comme d’hiver), de 40 q/ha en pois d’hiver et enfin de 25 q/ha en tournesol.

Concernant les prix de vente de ces productions pour évaluer les performances économiques de la ferme-type, les prix retenus sont intermédiaires(2) et représentatifs du contexte du Berry.

La main-d’œuvre représente 1,5 UTH (Unités de Travailleur Humain). Parmi les principaux postes de charges, celles de mécanisation sont de 297 €/ha, celles de fermage, de 116 €/ha, et les cotisations sociales atteignent 77 €/ha. Par ailleurs la ferme reçoit 238 € d’aides découplées à l’hectare. Ces caractéristiques sont calculées à l’aide de l’outil SYSTERRE pour simuler les résultats économiques, sociaux et environnementaux de la ferme au travers d’indicateurs clés.

(2) D’autres précisions sur cette ferme-type, telles que son parc machin ou encore les prix de vente des productions pratiqués en Berry, sont consultables sur http://arvalis.info/23x.
(3) Ces sources de données comprennent notamment des enquêtes sur les pratiques culturales des Services de statistiques et prospectives du ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation) ou de Terres Inovia, l’étude de compétitivité Centre, la typologie Inosys GC 127 ou encore des données des Centres d’économie rurale) et de la fermothèque d’Arvalis.

Six scénarios d’évolution envisagés pour cette ferme-type


À partir de cette ferme-type, des scénarios d’évolution ont été construits en réunion d’experts régionaux des chambres d’agriculture, d’Arvalis et de Terres Inovia. Chaque scénario intègre une ou plusieurs innovations identifiées comme étant d’intérêt par la plateforme et le réseau d’agriculteurs Syppre (tableau 1).

1. Co_asso + Semis CP décalé : Colza associé avec une légumineuse gélive (féverole de printemps, semences achetées) et décalage de la date de semis des céréales à paille d’une dizaine de jours à l’automne - un levier de lutte agronomique contre les graminées adventices (vulpins ou ray-grass) et contre les ravageurs d’automne (pucerons et cicadelles).

2.  Co_asso_F + Semis CP décalé : Colza associé avec une légumineuse gélive (féverole de printemps, semences de ferme) et décalage de la date de semis des céréales à paille à l’automne. La féverole, incluse dans une rotation Féverole-Blé tendre-Orge-Tournesol-Blé tendre, est cultivée sur 2 ha environ.

3.  SD : Passage au semis direct pour les cultures d’hiver en plus des innovations du scénario 1 ; il entraîne l’achat d'un semoir SD à double caisse et la vente de la charrue. Le semis du tournesol est toutefois préparé par un travail profond avec un outil à dents (chisel).

4. Diversification : Rotation de référence allongée à cinq ans. Introduction dans un premier îlot de parcelles de la lentille, avec une sole limitée à 6 ha afin de correspondre au potentiel de demande pour ce marché de niche, dans une rotation Colza-Blé tendre-Orge d’hiver-Lentille-Blé tendre ; dans un autre îlot, introduction du tournesol et du pois protéagineux d’hiver (sur 15 ha chacun) avec les innovations du scénario 2 dans une rotation Pois d’hiver-Blé tendre-Orge d’hiver-Tournesol-Blé tendre.

5. Réf+To : Système de référence auquel s’ajoute du tournesol, introduit à hauteur de 20 % de la SAU (32 ha).

6. Méca : Reprise du scénario 5, mais avec un désherbage 100 % mécanique du tournesol (2 binages) ; ce scénario implique l’achat d’une bineuse.

Plusieurs scénarios améliorent les performances de la ferme-type

Les impacts des innovations ont été quantifiés à partir des références acquises par les instituts techniques, notamment via les travaux de Syppre. Par exemple, à partir des diverses références d’essais et de suivis de parcelles par Terres Inovia, le gain moyen de rendement d’un colza associé par rapport à un colza seul est estimé à +3 q/ha, avec une réduction de la dose optimale d’azote minéral de 30 kg N/ha.

Selon les références d’Arvalis, le décalage de la date de semis d’une dizaine de jours de la céréale à paille permet de réduire la fréquence des interventions, concernant notamment l’application d’herbicide antigraminées en sortie d’hiver, sans impact majeur sur le niveau de rendement. Le désherbage 100 % mécanique à base de binage(s) du tournesol, dans un contexte de faible fréquence des cultures d’été dans les rotations, a montré toute son efficacité dans le dispositif expérimental Syppre-Berry.

Avec l’introduction du tournesol (scénarios Réf+To et Méca), aucun effet précédent ou à l’échelle de la rotation, induit par l’introduction de cette culture d’été, n’a été retenu dans ce premier travail de simulation.

Sur la majorité des indicateurs Syppre retenus, les scénarios testés sont assez proches du niveau de la ferme-type initiale « Berry sec » (tableau 2). Cependant, s’agissant des performances économiques, certains scénarios sortent du lot - notamment le colza associé avec une féverole de printemps combiné au décalage les dates de semis des céréales à paille (Co_asso + Semis CP décalé). Combiné aux deux précédentes innovations, le semis direct (scénario SD) améliore de façon encore plus marquée la marge directe dans ce contexte berrichon.

Sur le volet environnemental, l’introduction du colza associé (scénarios Co_asso + Semis CP décalé et Co_asso_F + Semis CP décalé), le semis direct (SD) et/ou la diversification avec l’introduction de légumineuses à graines (Diversification) ou de cultures peu exigeantes en engrais minéraux azotés comme le tournesol (scénarios Réf+To et Méca) s’accompagnent d’une réduction marquée des émissions de gaz à effet de serre et d’une utilisation moindre d’azote minéral.

S’agissant du temps de travail, la diversification de l’assolement (Diversification) induit une légère augmentation du temps de traction mais avec un étalement des pics de travaux, rendant ce scénario possible même à main-d’œuvre constante. Le désherbage mécanique du tournesol présent sur 20 % de la SAU (scénario Méca) induit une augmentation du temps de traction de 7 %. Dans ce scénario, les références acquises par ailleurs sur le désherbage mécanique du tournesol par Terres Inovia dans le cadre du projet Plevop (Développement de la Pulvérisation Localisée En Végétation sur Oléagineux et Protéagineux) en utilisant le logiciel j-dispo d’Arvalis montrent qu’il reste possible de biner la surface implantée de tournesol dans ce scénario, y compris les années à printemps particulièrement humide.

La prochaine étape

La construction de ces scénarios et leur évaluation pourra être élargie et affinée. Par exemple, les innovations testées pourraient s’appliquer cette fois non plus à une ferme-type Syppre « Berry sec » aux performances moyennes mais à une ferme aux performances agronomiques et économiques dégradées, ce qui correspond à une partie de la population des fermes du Berry.

D’autres innovations peuvent compléter celles dont l’impact a déjà été évalué. Ainsi, il serait intéressant d’intégrer les conséquences sur les cultures suivantes (ainsi qu’à l’échelle de la rotation) de l’introduction de cultures de printemps et d’été, dont on attend une maîtrise améliorée et à moindre coût du désherbage des cultures d’hiver. Ou encore l’impact d’autres innovations d’intérêt sur les céréales à paille et les systèmes de culture (couvert semi-permanent, etc.), ou celui d’autres cultures de diversification (typiquement, des légumineuses à graines). De plus, plusieurs innovations peuvent être combinées différemment, en fonction des enjeux majeurs identifiés par un agriculteur et de ses objectifs prioritaires.

L’analyse des effets des innovations sur la robustesse économique de la ferme-type peut également être affinée en étudiant tout particulièrement les effets des combinaisons d’innovations sur la stabilité interannuelle du revenu agricole en fonction des aléas climatiques, biologiques et des marchés des graines.

De plus, de nouveaux critères d’évaluation pourraient être ajoutés, tel que le stockage du carbone dans le sol (simulé à l’aide de l’outil SIMEOS-AMG, par exemple) ; ce stockage est d'ailleurs amélioré par l'introduction de couverts d'interculture et de cultures associées. L’acceptabilité d’une innovation pourrait être aussi évaluée selon le profil et les priorités de l’agriculteur, si besoin par une approche sociologique et comportementale.

(1) À partir des travaux de T. Pruvot (Action Syppre). Travaux de collaboration entre Arvalis, la Chambre régionale d’Agriculture Centre - Val de Loire et Terres Inovia.

Vincent Lecomte - v.lecomte@terresinovia.fr
En collaboration avec Edouard Baranger (e.baranger@arvalis.fr) et Gilles Sauzet (g.sauzet@terresinovia.fr), correspondants régionaux de l’action SYPPRE

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