La technologie blockchain en agriculture : pour des échanges transparents et sûrs

La technologie blockchain va-t-elle changer la société, à l’instar d’Internet ? Pratiquement incorruptible, elle permet d’échanger de la valeur sans intermédiaire et devrait favoriser l’émergence de nouvelles structures collaboratives.

Le 22 mai 2010, Lazlo Hanyecz, un développeur vivant en Floride, achète pour la première fois un bien physique, en l’occurrence deux pizzas, avec une monnaie virtuelle (encadré). Derrière cette monnaie appelée bitcoin, qui a depuis gagné en popularité (notamment auprès des utilisateurs de jeux vidéo), se cache une gigantesque base de données sur laquelle est inscrit tout l’historique des transactions. The Economist l’a qualifiée de « machine à confiance ».

Le bitcoin, une monnaie virtuelle basée sur la technologie blockchain

Née en 2009, en même temps que la technologie blockchain, cette monnaie est entièrement gérée avec cette technologie - sans contrôle de l’État et sans l’intermédiaire d’une banque ! Plus le nombre d’utilisateurs ayant confiance dans le réseau augmente et l’utilisent, plus la monnaie prend de la valeur ; le bitcoin a ainsi atteint la parité avec le dollar pour la première fois le 9 février 2011, et le cours actuel se situe à plus de 700 dollars. Les cartes de crédit dédiées aux bitcoins restent expérimentales, tout comme les distributeurs automatiques, mais il est possible de payer une bière, réserver une chambre d’hôte, verser des salaires, régler une facture ou payer la course d’un taxi en bitcoins.

Comment sécuriser un échange ?

Tout au long de la chaîne de transformation des matières premières, des échanges sont établis entre acteurs deux par deux : entre l’agriculteur et sa coopérative, entre la coopérative et le transformateur ou entre le transformateur et un revendeur, par exemple. Comme ils ne sont pas tous présents au moment de chaque échange, aucun des acteurs n’a accès à l’ensemble des transactions.

Pour avoir une vision exacte du cheminement d’une denrée alimentaire, il faut donc un registre où seront consignées toutes ces transactions. N’importe qui peut venir consulter le registre quand il le souhaite : c’est la notion de transparence. Cependant, pour ajouter une transaction au registre en toute confiance, il faut que des témoins soient présents afin d’éviter toute fausse déclaration. Et pour éviter toute corruption après enregistrement, chaque témoin doit repartir avec une copie du registre. Ainsi, un corrupteur devrait falsifier tous les registres à l’insu de leurs propriétaires.

Une telle solution est utopique dans le monde matériel, car elle nécessite de déplacer beaucoup de monde à chaque transaction pour valider l’enregistrement et le recopier dans son registre.

Le numérique franchit cet obstacle.

La transparence et la sécurité dématérialisées

Pour qu’il soit accessible à tous, le registre n’est plus physique mais numérique et hébergé sur le net - c’est une gigantesque base de données. Chacun peut alors, avec sa connexion internet et sans intermédiaire, consulter librement et gratuitement chacun des échanges, présents ou passés, sans avoir à se déplacer.

Les transactions successives sont enregistrées sous forme de « blocs de transactions » qui font référence au bloc précédent et qui, mis bout à bout, forment donc une « chaîne », d’où la notion de chaîne de blocs (en anglais, blockchain). Pour éviter toute falsification des données enregistrées dans la chaîne, ce registre est copié sur différents ordinateurs (ou serveurs) en réseau, hébergés et accessibles également sur le net. On parle de réseau distribué : différents exemplaires existent simultanément sur différents serveurs baptisés « nœuds » du réseau. Le registre ne serait falsifié que si plus de la moitié de ces nœuds étaient corrompus simultanément. Plus le réseau est grand, plus la garantie est forte.

L’écriture sur les serveurs est sécurisée au moyen de techniques cryptographiques. Chaque acteur possède une clé privée, seule habilitée à signer une transaction pour lui. On ne peut pas déduire la clé privée à partir d’une signature, donc elle ne peut pas être interceptée ; une technique complexe de « preuve de travail » permet d’éviter que le réseau ne soit noyé dans des fausses demandes de transaction.

Enfin, avant enregistrement, un bloc est validé par le réseau. Par exemple, pour ajouter une transaction entre la coopérative et le transformateur, chaque nœud vérifie que c’est bien la coopérative qui a signé la transaction et qu’il existe bien, dans sa copie locale du registre, une transaction qui mentionne que des agriculteurs ont vendu leurs biens à la coopérative pour qu’elle puisse les revendre.

Décentraliser la confiance

Dans les réseaux de communication, on passe par un opérateur pour être mis en relation avec quelqu’un ; un tel système centralisé nécessite un point de passage central. L’autorité centrale exerce généralement un contrôle sur le système et peut être la cible d’attaques.

Dans une blockchain, il n’y a pas d’interlocuteur privilégié : les échanges se font de pair à pair (peer to peer). Les opérateurs de la chaîne (les nœuds) sont très nombreux et localisés dans de nombreux pays, sur tous les continents. Ils partagent le même code informatique, dont le caractère ouvert (code open source) est une garantie supplémentaire de transparence.

« La technologie blockchain pourrait gérer les échanges de produits agricoles tout en apportant des garanties dans les procédures de certification. »

Un nœud qui ne respecterait pas les règles, en modifiant son code informatique et donc ses règles de décision pour falsifier des informations du registre, serait rapidement découvert et isolé. Il est donc totalement improbable que le réseau soit corrompu, car il restera toujours une majorité de nœuds pour respecter les règles. L’utilisateur place ainsi sa confiance dans le réseau lui-même, du fait de sa taille, de son indépendance et de la motivation de ses utilisateurs.

En supprimant les intermédiaires, la blockchain s’inscrit dans la mouvance de l’économie collaborative qui bouleverse le monde des services.

Ce mouvement, porté par des acteurs comme Uber ou AirBnB, met en relation directe des personnes qui ont un besoin (se déplacer ou se loger, par exemple) avec d’autres personnes qui peuvent rendre ce service ; il a donc déclenché la colère des taxis et hôteliers qui ont vu leurs métiers remis en cause. Cependant, ces nouvelles organisations restent centralisées (il faut passer par une centrale de réservation et donc un point central exerçant un contrôle) à la différence de la blockchain qui met en relation directe tous ses utilisateurs de façon décentralisée.

Certification et traçabilité en agriculture

Puisqu’elle sécurise toute transaction, la blockchain remplace les traditionnels tiers de confiance : banques, notaires, cadastres… C’est pourquoi des pays, victimes de la corruption et où les tiers de confiance ne sont pas fiables, travaillent à enregistrer les titres de propriété foncière sur la blockchain.

Dans ce domaine agricole, la blockchain pourrait plus particulièrement gérer les échanges de produits agricoles tout en apportant des garanties dans les procédures de certification de leur qualité ou de leur origine. L’australien Full Profile s’est ainsi positionné sur le commerce de grains avec son service AgriDigital, qui enregistre les transactions physiques de commodités agricoles. La startup anglaise Provenance utilise la technologie blockchain pour enregistrer le parcours d’une denrée alimentaire en toute transparence et rassurer les intermédiaires et le consommateur final. Cette traçabilité a aussi un intérêt dans le cas des filières à valeur ajoutée comme les filières biologiques, en donnant accès à qui le souhaite aux certifications accordées aux produits.

Enfin, la blockchain promet de ne pas se limiter uniquement à l’enregistrement simple de transactions mais d’exécuter aussi des programmes informatiques. Ces derniers permettront l’exécution automatique de « contrats intelligents » définis au préalable (smart contracts) – et par exemple, déclencher le paiement d’une assurance dès que ces programmes identifient que les conditions sont réunies.

Toutes ces promesses sont, bien sûr, accompagnées d’inquiétudes liées à la dématérialisation des documents ou à la consommation importante d’énergie du réseau. Le manque de gouvernance (décentralisation complète) inquiète évidemment les organisations centralisées en place. Des banques et assureurs explorent ainsi l’intérêt de la technologie pour des réseaux privés et maîtrisés.

Selon Gartner(1) toute innovation passe par un « pic des espérances exagérées ». La technologie blockchain est dans cette phase où se mêlent encore scepticisme et espoir d’un monde plus horizontal, sans hiérarchie, favorisant notamment la coopération.

(1) Gartner, société américaine de veille technologique et scientifique, postule que la visibilité d’une innovation suit une courbe (hype cycle) dont les phases sont le lancement, le pic des espérances exagérées, le gouffre des désillusions, la pente de l’illumination et le plateau de productivité.

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