Gestion de la ressource hydrique : premiers travaux du Varenne agricole de l’eau

Le « Varenne agricole de l’eau et de l’adaptation au changement climatique », lancé par le ministère de l’Agriculture en mai 2021, mobilise l’ensemble des acteurs du monde agricole. Des solutions concrètes sont attendues pour aider les agriculteurs à s’adapter aux aléas climatiques et pour mieux les protéger.
Comment partager l'eau en 2030 ?

La France ne manque a priori pas d’eau : chaque année, elle reçoit environ 400 milliards de m³ de pluies dont les deux tiers s’évaporent, tandis que le restant (175 milliards de m³) alimente les eaux de surface et souterraines. Ces dernières forment une réserve d’environ 2000 milliards de m³. Toutefois, la quantité des eaux souterraines varie en fonction de leur niveau de prélèvement et de leur taux de renouvellement. Ainsi, un déficit pluviométrique pendant plusieurs semaines l’hiver peut empêcher les nappes phréatiques souterraines de se recharger suffisamment.

Thierry Caquet : « Nous sommes malheureusement sur la courbe du scénario RCP 8,5, le scénario le plus pessimiste. »

Les sols agricoles constituent un stockage intermédiaire qui assure l’alimentation en eau des cultures. Ces réserves superficielles sont généralement saturées l’hiver, et leurs surplus alimentent les nappes phréatiques ; elles se réduisent au printemps pour s’annuler au cours de l’été, et se rechargent à nouveau en automne.

Ce cycle est perturbé par le changement climatique, engagé des décennies auparavant par l’émission de gaz à effet de serre. Ses effets se font de plus en plus nets, notamment en multipliant les aléas climatiques - et plus particulièrement les épisodes de sécheresse qui ne sont plus seulement estivaux.

Il faut envisager l’un des pires scénarios climatiques

Thierry Caquet, directeur scientifique du pôle « Environnement » de l'Institut national pour la recherche agronomique et environnementale (INRAE) a présenté, lors d’un webinaire(1) tenu début juillet, les projections climatiques et hydrologiques effectuées par le Drias(2) pour la France métropolitaine à l’horizon 2035, 2050 et 2100.

Le changement climatique est subordonné à la concentration atmosphérique en gaz à effet de serre (GES). L’évolution de la concentration moyenne mondiale a donc été simulée des années 1980 jusqu’en 2100, en envisageant quatre scénarios (figure 1) : du plus optimiste (la concentration de GES reste comprise entre 480 et 580 parties pour mille équivalent CO2) au plus pessimiste (elle est supérieure à 1000 ppm éq.CO2). Les scénarios ne se différencient nettement qu’après 2050 car jusqu’en 2035, les effets des émissions passées dominent.

LE RÉCHAUFFEMENT CLIMATIQUE EN FRANCE : en 2100, la hausse de la température moyenne attendrait 3,2 à 5,4° C

Néanmoins, tout laisse penser que les conditions de réalisation du pire scénario (RCP 8,5) sont actuellement remplies.

Dans un tel scénario, il faut ainsi s’attendre d’ici quatorze ans à une hausse des températures moyennes de surface en France métropolitaine dès 2035 de l'ordre de 1 à 2°C, avec un réchauffement plus marqué l’été selon un gradient sud-est/nord-ouest. Le nombre de jours de vagues de chaleur et de canicules augmenterait, tandis que le nombre de jours de vagues de froid et de gelées diminuerait. Concernant les pluies, le cumul annuel des précipitations évoluerait légèrement à la hausse (en baisse l’été mais en forte hausse l’hiver), avec une légère augmentation de l’intensité des pluies extrêmes, notamment sur les reliefs. Cependant, la durée des épisodes de sécheresse devrait augmenter (figure 2). Les débits moyens des cours d’eau et le niveau des nappes souterraines devrait, par suite, diminuer. On observe déjà des étiage secs : le Doubs s’est arrêté de couler plusieurs semaines en 2019 et 2020.

SÉCHERESSE 2035 : une durée moyenne en hausse sur la moitié ouest et le pourtour méditerranéen

Thierry Caquet précise : « La maille de ces simulations (12 km) donne une vue à l’échelle régionale. Des simulations à maille plus fine seront nécessaires pour prendre en compte l’impact du réchauffement à l’échelle locale, car cet impact varie avec la nature de la couverture végétale du sol. En effet, celle-ci influence fortement l’évaporation et l’évapotranspiration et peut contribuer à « adoucir » localement les changements climatiques. »

Constats et prévisions ont amené le ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation à ouvrir une réflexion, en concertation avec le ministère de la Transition agroécologique et de nombreuses parties prenantes du monde agricole. L’objectif du « Varenne agricole de l’eau et de l’adaptation au changement climatique » est d’évaluer les risques, menaces ou points d’attention et de quantifier les impacts majeurs à anticiper aux niveaux des filières liées au monde agricole (production et transformation), les moyens à mettre en œuvre pour y faire face, et les besoins d’accompagnement des agriculteurs.

Une généralisation du recours à l’assurance récolte est proposée

Trois groupes de travail ont été constitués. Un premier groupe, réunissant les organisations professionnelles agricoles, les représentants des assureurs et des réassureurs et un expert de l’INRAE sous la présidence du député Frédéric Descroazaille, est chargé de l’évaluation et de la gestion des risques. L’objectif est de repenser en profondeur le fonctionnement des couvertures assurantielles privées et publiques aujourd’hui mises en place, qui montrent leurs limites face à l’accélération et au renforcement des effets du changement climatique.

Le groupe a remis son premier rapport fin juillet au ministre Julien Denormandie sous la forme d'un plan stratégique sur sept ans. Ce dernier propose que le soutien public à la gestion des risques agricoles passe de 280 millions d’euros par an (M€/an) actuellement à 600-700 M€/an afin d'atteindre un taux de pénétration de l'assurance multirisques climatiques (MRC) de 60 % des surfaces en viticulture et en grandes cultures, et de 30 % en arboriculture et prairies.

Julien Denormandie : « Nos travaux doivent déboucher sur des feuilles de route précises et concrètes. »

Il propose également la réintégration des grandes cultures et de la viticulture dans le régime d'indemnisation des pertes exceptionnelles par l'État (calamités agricoles), avec des seuils d'interventions respectifs de 50 et 60 %. Ce taux seuil resterait fixé à 30 % en arboriculture et prairies, puis serait porté à 50 % en 2024. Enfin, le taux d'indemnisation de ces pertes exceptionnelles serait porté à 100 % et, dans le cas des non-assurés, il serait ensuite diminué et supprimé à terme. En attendant cette suppression, les deux régimes - d'assurance subventionnée MRC et d'indemnisations publiques (calamités agricoles) - seraient opérés par les assureurs dans un « guichet unique ».

Diagnostiquer l’état de la gestion de l’eau dans chaque territoire et trouver des solutions

La question du partage de l'eau se pose dès lors que la demande dépasse la disponibilité de la ressource.

Sur le territoire français, avec des prévisions d’impacts différenciées selon un gradient sud-nord, l’agriculture des régions les plus méridionales deviendra pratiquement impossible sans irrigation d’ici la fin de ce siècle, du fait de l’aggravation des déficits hydriques estivaux. Une évolution de la gestion de l’eau s’avère donc incontournable.

À ce titre, Anne-Claire Vial, présidente de l’Acta(3) et d’Arvalis, et François Champanhet, membre du Conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux (CGAAER) et rapporteur du deuxième groupe, ont lancé les travaux sur la thématique : « renforcer la résilience de l'agriculture dans une approche globale, en agissant notamment sur les sols, les variétés, les pratiques culturales, les infrastructures agroécologiques et l'efficience de l'eau d'irrigation ».

Anne-Claire Vial a rappelé les éléments de réussite du Varenne de l’eau, dont le préalable est de convenir qu’une accélération de l’adaptation de l’agriculture est nécessaire : objectiver les débats en s’appuyant sur les résultats scientifiques, rechercher une vision partagée par l’ensemble des parties prenantes sur l’eau en agriculture, prendre en compte les enjeux de souveraineté alimentaire et le droit européen (directive cadre sur l’eau…), et faire appel à l’innovation pour trouver de nouvelles solutions.

François Champanhet a précisé que, pour atteindre ces objectifs, des diagnostics territoriaux sont actuellement réalisés par les Chambres régionales d’Agriculture. Début 2022, filières et territoires doivent avoir élaboré des stratégies d’adaptation régionalisées s’appuyant sur ces diagnostics et tenant compte des scénarios de changement climatique possibles, y compris des scénarios à forte contrainte - sans ressource en eau supplémentaire, voire avec une baisse significative de la ressource - et en envisageant une irrigation de résilience.

Partager une même vision sur la gestion de l’eau est essentiel

Lors d’un webinaire organisé début juillet, le groupe travaillant sur la troisième thématique, « une vision partagée et raisonnée des ressources en eau », a dégagé trois grands enjeux :
accélérer la mise en place des projets de territoire pour la gestion de l'eau, mieux mobiliser les gisements existants et élaborer la politique d'aménagement à mener pour répondre aux besoins à l'horizon 2050. Les premiers échanges sur ces sujets devraient être réellement lancés en septembre. Une première analyse est en cours par un groupe restreint composés d’experts et de représentants de l’État, des Agences de l’eau, d’INRAE, du monde agricole, des associations environnementales et des collectivités, précise Jean Launay, président du Comité national de l'eau (CNE) et coprésident de ce groupe de travail. Les travaux en groupe élargi se poursuivent en septembre.

Bénédicte ABBA(4) : « Les filières ont un rôle central à jouer car les agriculteurs ne peuvent pas changer les choses si les débouchés ne suivent pas. »

Un début de réponse concernant le partage de l’eau entre les territoires a été apporté par la publication du décret « Gestion quantitative » le 24 juin dernier. Parallèlement, une circulaire a été adressée fin juin aux préfets de départements par le ministère de l’Agriculture, leur octroyant davantage d'autonomie (et de responsabilité) pour gérer les situations de sécheresse ; elle invite les préfets à mettre en place un suivi régulier ainsi qu’une cellule susceptible de prendre des décisions opérationnelles, que ce soit sur les dispositifs d'aide, sur la gestion de tension sur les fourrages ou sur la biomasse. Les préfets doivent transmettre au ministère avant le 1er octobre leurs retours d'expérience.

Lors du lancement des travaux du groupe 2, les filières viticole et élevage ont présenté les stratégies nationales déjà mises en place pour lutter contre le réchauffement climatique.

(1) La réunion de lancement des travaux du groupe 2 du « Varenne agricole de l’eau et de l’adaptation au changement climatique » s’est tenue le 9 juillet dans le cadre du Varenne agricole de l’eau.

(2) Le portail Drias « Les futurs du climat » met à disposition des projections climatiques régionalisées réalisées dans les laboratoires français de modélisation du climat : l’Institut Pierre-Simon Laplace, le CERFACS et le CNRM. Plus d’infos sur www.drias-climat.fr

(3) L'Acta est l'association des instituts techniques agricoles.

(4) B. Abba, secrétaire d'État auprès de la ministre de la Transition écologique, chargée de la Biodiversité, participait à la réunion de lancement de la thématique 2.

Comment participer aux travaux ?Au-delà des réflexions filières et territoriales, les séminaires thématiques mettront au débat ces sujets dans les prochains mois. Une consultation en ligne des parties prenantes alimentera ces séminaires. Si vous êtes intéressé, vous pouvez contacter par courriel le rapporteur de la thématique X (X=1, 2 ou 3) à l'adresse suivante :
themeX@varennedeleau.fr

EN SAVOIR PLUSTempératures, sécheresses, débits moyens et d’étiage des cours d’eau… Les prévisions climatiques de ces trente prochaines années sur lesquelles s’appuient ces travaux sont détaillées sur http://arvalis.info/279

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