Filière du soja : à la conquête de nouvelles terres

L’un des objectifs du programme Cap Protéines est de réduire la dépendance de la France aux importations de protéines végétales pour l’alimentation animale, d’autant que certaines productions favorisent la déforestation ou sont issues de cultures OGM. Autour du soja, en particulier, l’enjeu est d’accroître la production nationale en explorant de nouveaux bassins de production, mais aussi sa compétitivité et sa durabilité.
Les critères de réussite du soja en France

Actuellement, le soja consommé par les élevages français sous forme de tourteaux est principalement importé - environ 3,2 millions de tonnes en 2020. Le reste est essentiellement produit dans le sud-ouest de la France et en Bourgogne-Franche-Comté.

Terres Inovia mène des actions sur le terrain pour développer la culture du soja dans de nouveaux bassins de production. Pour y parvenir, l’institut fournit aux agriculteurs de nouvelles références pour qu’ils adaptent ou améliorent la conduite de la culture à leur situation, grâce à des observatoires situés dans le Grand Ouest, dans les Hauts-de-France et, de façon plus anecdotique, également sur l’île de La Réunion (zoom fin d'article).

Dans le Grand Ouest, les surfaces plafonnent malgré des besoins élevés

La demande en tourteaux protéiques est très élevée dans les élevages du Grand Ouest. Produire localement du soja permettrait d’augmenter leur autonomie protéique. Par ailleurs, certaines des nombreuses entreprises agroalimentaires installées dans le nord-ouest ont également une demande forte en soja français. Les besoins pour les régions Normandie, Pays de la Loire et Centre-Val de Loire sont estimés à 120 000 tonnes de tourteaux de soja non OGM, soit environ 160 000 tonnes de graines.

Pourtant, les surfaces de soja peinent à se développer en Bretagne, Normandie, Pays de la Loire, Centre-Val de Loire et Poitou-Charentes. En 2022, elles sont estimées à 8 700 ha, contre 178 000 ha à l’échelle nationale. Terres Inovia s’est donc penché sur le potentiel de développement du soja dans la zone Centre-Ouest. Dans ce cadre, quatre actions ont été menées.

• En 2021 et 2022, six observatoires ont suivi 62 parcelles d’agriculteurs, dont 28 conduites en agriculture conventionnelle et 34 en agriculture biologique. Les facteurs limitants et les potentiels de production ont été identifiés dans les différents contextes, et les stades clés de la culture ont été suivis au fil de trois visites, réalisées lors de la phase d’implantation, à la floraison et en fin de cycle du soja. En 2021, les rendements ont été plutôt faibles sur les observatoires du Grand Ouest, avec une moyenne autour de 22 q/ha quand la moyenne nationale est proche de 29 q/ha. Les facteurs limitants identifiés en 2021 confirment les connaissances sur le sujet. Ainsi, la mise en place du potentiel est fortement liée au choix de la parcelle et au type de sol ; les plus favorables étant les sols profonds à réserve hydrique élevée. Un autre facteur limitant est le peuplement à la levée : aucune parcelle n’a atteint le peuplement minimal de référence pour les variétés 000 ou 00 pour assurer le potentiel de la culture. La gestion de l’enherbement a aussi été difficile dans 50 % des parcelles. Enfin, le soja a subi un stress hydrique conséquent en fin de cycle en 2021. Néanmoins, 58 des 62 parcelles ont pu être récoltées. Les rendements obtenus en agriculture biologique sont satisfaisants, au même niveau que le rendement des parcelles conduites en conventionnel.

Avec des rendements en AB proches de ceux obtenus en agriculture conventionnelle et une rémunération supérieure pour le débouché animal, le soja bio a des atouts à faire valoir dans l’Ouest.

• Les scénarios technico-économiques de l’insertion du soja dans les assolements des Pays de la Loire ont été mis à jour en tenant compte de la forte évolution de la conjoncture économique en 2022. Une synthèse technico-économique a analysé l’insertion du soja conventionnel dans les assolements des Pays de la Loire sur la période 2018-2021 (voir « En savoir plus »). Elle explique en partie pourquoi la culture a du mal à se développer dans les régions du centre-ouest de la France. Le prix payé au producteur est le premier frein au développement des surfaces : il est trop faible pour assurer des marges brutes suffisamment compétitives vis-à-vis des autres cultures du territoire. En conservant les prix actuels, les rendements moyens à atteindre, de 30 q/ha en sec et de 40 q/ha en irrigué, ne sont atteignables que dans des situations extrêmement favorables, non représentatives à ce jour des conditions de mise en culture du soja dans ce secteur. Même si le soja présente des atouts non négligeables (réduction des intrants, introduction d’une légumineuse, diversification de l’assolement…), ceux-ci ne compensent pas les différences de marges brutes. Cette analyse économique sera complétée ultérieurement par un volet « agriculture biologique ».

• Une enquête a été menée par Terres Inovia et Terres Univia début 2022 auprès de neuf opérateurs (collecteurs, transformateurs ou utilisateurs de graines de soja) du territoire Centre-Ouest (Pays de la Loire, Normandie et Centre-Val de Loire). Elle a établi un état des lieux de la culture du soja et identifié les perspectives de la filière dans les prochaines années (développement des surfaces, besoins…), en conventionnel et en biologique. La demande en soja non OGM à valorisation animale est forte, avec la présence de nombreuses filières animales de qualité. Bien qu’une seule coopérative du territoire ait une démarche de développement des surfaces en soja, l’accompagnement des agriculteurs dans leurs choix techniques se poursuit : choix de parcelles irriguées ou à forte réserve utile, date de semis, choix variétal, matériel de semis… C’est, en effet, un levier rapidement accessible pour améliorer les résultats de la culture. Dans certaines situations spécifiques (accès à l’irrigation, contrats valorisants, système bio, etc.), le soja peut trouver sa place dans les exploitations.

• Enfin une réunion de concertations multi-acteurs a été organisée afin d’échanger sur les enjeux de la filière soja en zone Centre-Ouest et d’en préciser les axes de développement.

Des perspectives pour le soja bio dans l’OuestLes résultats des observatoires agronomiques menés en 2021 sur la zone d’étude montrent que les rendements obtenus en agriculture biologique sont proches de ceux obtenus en agriculture conventionnelle. Or la rémunération du soja en AB est supérieure à celle qu’on peut obtenir en agriculture conventionnelle pour un débouché en alimentation animale : 900 à 1 000 € la tonne en bio actuellement, contre 650 €/t en conventionnel). De plus, sa capacité à fixer l’azote atmosphérique est un puissant atout en agriculture biologique où les freins économiques semblent moins forts qu’en conventionnel. Le choix de parcelle, et la maîtrise de la densité de semis et de l’enherbement sont les enjeux du bio pour le soja.

En Hauts- de-France, le rendement est très peu contraint par la nuisibilité des maladies, et le froid n’a pas eu d’impact ces dernières années ; mais les pigeons ont parfois occasionné de gros dégâts au semis.

Produire du soja dans les Hauts-de-France

Même si la proportion d’exploitations agricoles possédant au moins un atelier d’élevage est en forte baisse, l’élevage reste présent dans les Hauts-de-France. Selon Agreste, sur les 23 463 exploitations dans la région en 2020, environ 47 % déclarent avoir des animaux pour l’élevage ou l’autoconsommation, dont 8 400, des bovins, et 1 300, des volailles. Produire du soja localement pourrait augmenter leur autonomie protéique.

Actuellement, les surfaces en soja dans la région sont très faibles : on estime qu’en 2022, environ 470 ha ont été implantés. Cette faible présence du soja s’explique notamment par le climat froid, qui engendre un risque de récoltes tardives, et par l’absence de filière. Cependant, le réchauffement climatique et la sélection variétale, avec des variétés très précoces, sont propices à l’introduction de la culture dans la région.

Afin d’étudier la faisabilité technique de la culture, Terres Inovia a mené plusieurs actions en 2021 et 2022 dans le cadre du programme Cap Protéines, dont la mise en place d’observatoires. Onze parcelles ont ainsi été suivies en 2021, et vingt parcelles en 2022.

Quelques maladies et ravageurs ont pu être observés au cours des deux campagnes (tableau 1). La plupart de ces bioagresseurs n’ont pas été nuisibles pour les sojas. En revanche, le gibier et, surtout, les pigeons ont été problématiques, provoquant des dégâts à l’implantation : 100 % des plantes ont été détruites dans treize parcelles en 2021, et 52 % dans une parcelle en 2022.

SOJA EN HAUTS-DE-FRANCE : le froid n’est plus un obstacle

En 2021, trois parcelles n’ont pas été récoltées en raison d’une forte hétérogénéité dans la densité de peuplement, d’un fort salissement et/ou d’une forte pression de pigeons à l’implantation. En 2022, cinq parcelles n’ont pas été récoltées pour les mêmes raisons. En revanche, aucune parcelle n’a été abandonnée à cause du climat trop froid, pourtant considéré comme un frein au soja dans les Hauts-de-France.

En savoir plusLa synthèse globale des résultats pour le Grand Ouest est disponible sur le site de Terres Inovia et sur http://arvalis.info/2h5.

Maurane Pagniez - m.pagniez@terresinovia.fr
Thomas Mear - t.mear@terresinovia.fr
Terres Inovia remercie l’ensemble de ses partenaires qu’il n’était pas possible de citer dans leur intégralité dans cet article.

Introduction du soja bio à La Réunion

L’autonomie protéique est l’enjeu majeur du programme Cap Protéines en métropole et dans les DOM-TOM. Dans ce cadre, un projet évalue la possibilité d'introduire du soja bio, de le transformer et de l’utiliser à La Réunion.

Et pourquoi pas du soja à La Réunion, où l’on peut faire plusieurs récoltes par an ? Des essais d’implantation de soja bio ont débuté en 2021.

Cent pour cent du soja consommé sur l’île de La Réunion est importé de métropole ; il est destiné à l’alimentation humaine et animale. Le projet d’introduction répond à la demande d'un industriel local en alimentation humaine bio et pourrait à terme viser également un approvisionnement local en alimentation animale., afin de pallier cette dépendance. C’est une première car cette espèce n’a jamais été cultivée sur l’île à grande échelle !

L’étude de faisabilité de la culture du soja bio à La Réunion est conduite par l’Armeflhor1, avec l'appui d'experts de Terres Inovia, pour l’aspect technico-économique, et de Terres Univia, pour le diagnostic filière. L’Armeflhor a débuté en 2021 une série d’essais au champ qui testent plusieurs dates de semis pour diverses variétés.

Les défis et succès du soja réunionnais

Pour que la culture soit économiquement viable, suffisamment de parcelles doivent être mobilisables afin d'assurer l'intégralité de l'approvisionnement du fabricant. Les cycles de production doivent être calés, et les variétés testées et cultivées en bio doivent faire leurs preuves.

La récolte doit aussi être rationalisée. À ce stade, elle se fait à la main puisqu’elle ne concerne que des expérimentations sur de petites surfaces. Mais si le soja est adopté par les agriculteurs, il faudra avoir recours à des machines.

Après deux essais aux rendements décevants, le troisième a pu être récolté malgré la période cyclonique. La productivité est comparable à celle observée en métropole.

Les expérimentations seront poursuivies en 2022 avec les variétés les plus performantes. De plus, un agriculteur, convaincu de l’enjeu, va semer du soja bio sur ses terres sur 1 à 2 ha d’ici la fin de l’année. Intégrer le soja dans son assolement a pour intérêt majeur de diversifier la rotation et donc de rompre le cycle des bioagresseurs dans les productions horticoles locales. La culture permet également d’enrichir les sols en azote.

(1) Association réunionnaise pour la modernisation de l’économie fruitière, légumière et horticole. Plus d’informations sur https://www.armeflhor.fr

Isabelle Lartigot - i.lartigot@terresinovia.fr
Gaëlle Tisserand - gaelle.tisserand@armeflhor.fr

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