Essai « Travail du sol » à Boigneville : le travail du sol n’agit pas ou peu sur le stock global de carbone

L’essai « Travail du sol » de Boigneville, l’un des plus anciens au monde, donne des renseignements sur l’évolution à long terme du stock de carbone du sol. Il démontre que des modes de travail du sol très contrastés - labour annuel, travail superficiel et semis direct - conduisent à des stocks de carbone identiques après 47 ans de différentiation. Les techniques sans labour ont amené une augmentation importante des teneurs en carbone dans les dix premiers centimètres du sol mais ont conduit à déstocker du carbone au-dessous.
Non labour: la teneur en carbone du sol augmente juste en surface

L’évolution des teneurs en matière organique et des stocks de carbone organique dans l’essai A(1) de Boigneville en fonction du mode de travail du sol a déjà fait l’objet d’un article(2). Voici une mise à jour des données intégrant la dernière période de suivi 2011-2017, avant l’évolution de l’essai à partir de 2018.

Trois techniques de travail du sol ont été comparées de 1970 à 2017 : le labour annuel (environ 21 cm de profondeur), le travail superficiel (5 à 10 cm de profondeur) et le semis direct. Les trois modalités de travail du sol ont été combinées avec trois autres pratiques : la rotation (maïs/blé depuis 1970 et betterave/blé/protéagineux ou colza/orge à partir de 1998), l’exportation ou non des pailles (étés 1982 à 1993) et la mise en place ou non de cultures intermédiaires (étés 2001 à 2014). Puisqu’aucune interaction significative n’est apparue entre pratiques agricoles et travail du sol, les effets du travail du sol sur les stocks de carbone (encadré) ont été étudiés en moyennant les différentes pratiques mises en œuvre.

Comment mesure-t-on les stocks de carbone ?

L’analyse du sol faite au laboratoire mesure la teneur en carbone organique du sol. La teneur en matière organique est obtenue en multipliant la teneur en carbone par le coefficient 1,72.

Sur la période 1970-2017, les stocks de carbone ont été quantifiés environ tous les quatre ans. Les mesures ont été réalisées à différentes profondeurs (a minima 0-5, 5-10, 10-15, 15-28 et 28-33 cm) en allant au-delà des anciens labours réalisés en moyenne à 28 cm. La densité apparente du sol a été mesurée sur chaque profondeur échantillonnée.

Les calculs de stocks ont été réalisés à masse de sol équivalente, c’est-à-dire non pas à profondeur fixe mais à masse de sol fixe quel que soit le mode de travail du sol, afin de prendre en compte le fait que la densité apparente du sol varie avec le mode de travail du sol et l’année. Les stocks de carbone sont donc donnés pour quatre masses de sol à l’hectare (avec une correspondance approximative avec la profondeur de sol) : 1 500 t/ha (soit environ 0-10 cm), 2 300 t/ha (env. 0-15 cm), 2 560 t/ha (env. 10-28 cm), et 4 060 t/ha (env. 0-28 cm).


Le non labour modifie la répartition du carbone dans le profil de sol…

Le labour a pour effet d’homogénéiser les teneurs en carbone sur la profondeur de la couche travaillée (figure 1, courbe bleue) en raison du mélange du sol et des résidus de culture sur l’ensemble de la couche labourée. À l’inverse, l’arrêt du labour produit une stratification (figure 1, courbes verte et rouge) : la teneur en carbone augmente dans les couches de surface en semis direct (0-5 cm) et en travail superficiel (0-10 cm) tandis que la teneur en carbone diminue dans la couche sous-jacente (10-28 cm), par rapport au point initial (1970) ou au labour. Les apports de résidus de culture restent, en effet, concentrés en surface alors que le processus de minéralisation est toujours actif en dessous de 10 cm.

La stratification des teneurs en carbone selon la profondeur a été très rapide à se mettre en place en non labour. Ainsi, en 1974 (quatre ans après l’arrêt du travail du sol), la teneur en matière organique du semis direct était de 2,4 % sur 0-5 cm, de 1,8 % sur 5-10 cm et de 1,7 % entre 15 et 28 cm. Cette stratification est d’autant plus vite détectable que la profondeur de travail du sol est réduite et que les apports de résidus au sol sont élevés.



…mais il ne modifie pas le stock global de carbone

L’évolution régulière des stocks de carbone mesurés de 1970 à 2017 montre que le labour conduit à une relative stabilité du stock sur toutes les couches de sol. Par contre, en non labour, on observe un accroissement significatif et continu du stock de la couche 0-10 cm (figure 2-a) et une diminution continue du stock dans la couche 10-28 cm (figure 2-c). Ces données montrent qu’en non labour, malgré une absence de fragmentation des agrégats du sol au-delà de 5 ou 10 cm, les matières organiques continuent à se minéraliser activement.

Le stock global de carbone du sol, c’est-à-dire cumulé sur la profondeur de l’ancienne couche labourée (environ 28 cm d’épaisseur, soit 4 060 t/ha de terre), a en moyenne légèrement augmenté au cours du temps (figure 2-d). Il était de 41,9 t de carbone par hectare (C/ha) en 1970, sans écart entre modalités. En 2017, après 47 ans d’essai, il était de 43,0 t, 43,6 t et 44, 2 t C/ha respectivement en labour, travail superficiel et semis direct, sans différence significative entre ces modalités de travail du sol.

Les rendements des trois modalités de travail du sol étant globalement identiques, cela permet d’analyser l’effet « travail du sol » à restitutions de carbone par la biomasse des plantes cultivées identiques. D’autre part, le traitement expérimental de référence (rotation mais-blé, sans exportation des pailles et avec seulement deux ans de cultures intermédiaires) présente la même évolution de stocks et les mêmes résultats pour l’effet « travail du sol » que la moyenne des différentes pratiques présentée ici.


Le stockage du carbone est influencé par le bilan hydrique

Cet essai « Travail du sol », conduit avec un protocole de mesure rigoureux, met donc en évidence que les stocks de carbone en non labour fluctuent au cours du temps, avec des phases de stockage et déstockage (figure 2-d). Cependant, ces évolutions sont de faible ampleur, que seules des mesures très précises et continues dans le temps peuvent quantifier. L’analyse des données a montré que ces phases de stockage et de déstockage en non labour étaient expliquées en partie par le bilan hydrique, défini comme le cumul des précipitations et de l’irrigation dont est soustraite l’évapotranspiration potentielle.

Ainsi on observe un stockage significatif en non labour au cours de la période 1994-1998, caractérisée par une faible pluviométrie et un bilan hydrique négatif. Inversement, au cours de la période suivante (1998-2002), le bilan hydrique a été fortement positif et a conduit à un déstockage de carbone dans le semis direct par rapport au labour. Plus récemment, le bilan hydrique a été proche de zéro, notamment du fait de l’introduction de l’irrigation (en moyenne de 54 mm/an sur la période 2003-2017). Aucune différence de stockage n’a été constatée entre les modalités de travail du sol durant cette période. Par conséquent, les systèmes en non labour lors des années sèches pourraient séquestrer du carbone, alors que les années humides y favoriseraient le déstockage du carbone.

L’introduction des cultures intermédiaires sur l’essai a été analysée pour identifier si elle se traduisait par un effet positif sur le stock de carbone, en augmentant les restitutions de carbone vers le sol. Les biomasses aériennes réalisées par les cultures intermédiaires ont été modestes : entre 1,2 et 2 tonnes de matière sèche par hectare selon les différentes pratiques étudiées et le type de travail du sol, les couverts étant présents une année sur deux (par exemple entre blé et maïs). Les apports en carbone humifié issus des couverts ont été estimés en considérant que 40 % de la biomasse aérienne est composée de carbone et que 28 % de cette quantité est humifiée. Ces apports en carbone humifié, cumulés sur la période 2001- 2014, sont compris entre 0,91 et 1,45 tonne de carbone par hectare (t C/ha).

Ces valeurs sont inférieures à la variabilité spatiale des stocks de carbone, qui est en moyenne de 2,25 t C/ha toutes pratiques confondues. Ceci explique que l’effet des cultures intermédiaires sur le stockage de carbone ne soit pas statistiquement détectable dans cet essai. Néanmoins, dans des essais de long terme avec des couverts plus développés comme à Thibie (51) ou Kerlavic (29), l’insertion des cultures intermédiaires a augmenté de manière plus importante le stock de carbone(2).

Quelle profondeur d’échantillonnage choisir pour mesurer les stocks de carbone ?

En comparant les stocks cumulés sur 2 300 et sur 4 060 t/ha de terre, on mesure bien l’importance de la profondeur d’échantillonnage pour quantifier de façon précise les stocks de carbone. Sur la couche 0-15 cm (2 300 t/ha), les stocks de carbone mesurés en non labour et en labour sont significativement différents dès 1974 (figure 2-b). En revanche, sur toute la profondeur de l’ancien labour (0-28 cm, soit 4 060 t/ha de terre), aucune différence significative n’apparait entre modes de travail du sol (figure 2-d), hormis sur la période 1994-1998. Ce résultat est également vrai pour les stocks mesurés sur 0-60 cm en 2011 et 2017. Ceci montre la nécessité de mesurer les stocks sur une profondeur au moins égale à la profondeur maximale de travail du sol (ancienne couche labourée) quand on doit comparer labour et non labour, afin d’éviter des conclusions erronées sur l’effet du travail du sol.


Le rapport C/N et le stock d’azote sont également stratifiés en non labour

En parallèle du stock de carbone, les évolutions du stock d’azote organique et du rapport « carbone sur azote » (C/N, qui mesure la proportion de carbone-élément par rapport à l’azote-élément dans le sol) ont été suivies depuis le début de l’essai. La teneur en azote et le rapport C/N présentent le même profil de stratification que le carbone : augmentation en surface mais diminution en profondeur en non labour, comparativement au labour. Comme pour le carbone, les stocks d’azote de la couche 0-28 cm (4 060 t/ha de terre) ne sont pas statistiquement différents entre types de travail du sol. En 2017, ils étaient de 4,56 t, 4,62 t et 4,67 t d’azote-élément par hectare respectivement en labour, travail superficiel et semis direct.

De même, les rapports C/N pondérés mesurés en 2017 sur 28 cm ne diffèrent pas significativement entre types de travail du sol. Le stock d’azote du sol sur cette couche a eu tendance à diminuer par rapport à 1970, sans que cela ne soit statistiquement significatif. Cela pourrait en partie résulter du bilan azoté (apports - exportations) qui a diminué au cours du temps, les apports d’azote diminuant tandis que les exportations augmentaient.

Avec un stock de carbone en légère augmentation avec le temps et un stock d’azote en légère diminution, le rapport C/N a progressé de manière significative, passant d’une valeur moyenne tous traitements confondus de 8,8 en 1970 à 9,4 en 2017, sur la masse de sol de 4 060 t/ha (figure 3). À long terme, ceci pourrait se traduire par une accélération de la vitesse de minéralisation des matières organiques, qui devient maximale lorsque le rapport C/N s’approche de 11.

Les pratiques de semis direct et de travail superficiel, intégrées ici dans un essai analytique, ne doivent pas être assimilées à un système d’agriculture de conservation des sols (ACS). Si l’arrêt du travail du sol semble à lui seul peu ou pas efficace pour séquestrer du carbone, ces résultats engagent à approfondir des recherches quant à l’efficacité de la combinaison de plusieurs pratiques, comme celles retrouvées en ACS. Cette analyse des teneurs en carbone et azote introduit la problématique de l’impact du travail du sol sur le devenir d’autres éléments minéraux tels que le phosphore ou le potassium, qui sera abordée dans un prochain article.


(1) L’essai A a été décrit dans le zoom page 23 du n°462 de Perspectives Agricoles, paru en janvier 2019.
(2) Plus d’informations dans le dossier « Matière organique du sol » de Perspectives Agricoles n°423 (juin 2015) consultable sur : www.perspectives-agricoles.com.


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