Plateformes prospectives Syppre : la diversification à l’épreuve du terrain

Après quatre campagnes d’expérimentation, le principal facteur d’explication des performances des systèmes innovants expérimentés dans Syppre est l’effet de la diversification, couplé à la maîtrise plus ou moins aisée de nouvelles cultures et de nouvelles techniques. Les objectifs environnementaux sont satisfaits dans quatre situations étudiées sur six. Toutefois, des ajustements sont nécessaires pour améliorer la productivité et la rentabilité. Les résultats interrogent les modalités de valorisation économique de ces systèmes de culture.
Diversifier, gage de performance des systèmes de culture innovants

Les plateformes expérimentales prospectives installées depuis 2015 dans cinq régions de grandes cultures (Picardie, Champagne, Berry, Lauragais et Béarn) sont au cœur de l’action Syppre. Elles visent à concevoir et à accompagner le déploiement de systèmes de culture innovants multiperformants - autrement dit conciliant productivité, rentabilité et respect de l’environnement(1).

Sur chaque site, un système témoin, représentatif du système local dominant et pour lequel les pratiques sont optimisées, est cultivé aux côtés d’un ou plusieurs systèmes innovants qui cherchent à répondre aux enjeux globaux de cette multiperformance ainsi qu’aux enjeux locaux. Ces systèmes innovants, co-conçus par des conseillers, agriculteurs et techniciens des instituts techniques, s’appuient sur des stratégies agroécologiques.

La diversification, pilier des systèmes innovants

De nombreux leviers de diversification des plantes cultivées ont été mobilisés dans les systèmes innovants expérimentés : allongement et diversification des rotations, association de variétés et d’espèces, introduction de cultures dérobées et systématisation des couverts d’interculture en mélanges (figure 1).

SYSTÈMES INNOVANTS SYPPRE : l’amélioration escomptée s’appuie fortement sur la diversification des cultures

Plusieurs effets sont attendus de cette diversification des cultures, dont la régulation des bioagresseurs, l’amélioration de la fertilité des sols ou encore l’augmentation de la robustesse économique du système. En lien avec ce dernier volet, une attention particulière a été portée, lors du choix des cultures de vente, à l’existence d’une filière de commercialisation en place ou en devenir dans la région d’implantation.

Les rotations des systèmes innovants de chaque région ont été allongées. Mis à part dans le Béarn, ces systèmes intègrent cinq familles botaniques, alors que les systèmes témoins les plus diversifiés en intègrent trois au maximum.

Diversifier les productions entraîne des adaptations à tous les niveaux – organisation des chantiers, équipement, adoption de nouvelles espèces et apprentissage de nouvelles pratiques.

L’enrichissement des systèmes innovants en azote atmosphérique par l’introduction de légumineuses en culture principale et en couvert est un levier commun à l’ensemble des plateformes : les légumineuses y représentent en moyenne 35 % des espèces implantées, contre seulement 7 % dans les systèmes témoins.

En revanche, les mélanges d’espèces de cultures de vente ont été peu mobilisés et finalement abandonnés, principalement du fait des difficultés de conduite et au nécessaire tri de la récolte.

Les systèmes innovants optimisent tous l’usage des couverts pour améliorer la fertilité physique, chimique et biologique des sols, que ce soit en interculture longue ou courte, ou en association avec des cultures de vente comme dans le cas des colzas associés(2). Le choix des familles botaniques s’est porté sur des espèces qui ne sont pas hôtes de maladies et/ou de ravageurs des cultures principales, afin de limiter les éventuels dys-services. Dans plus de 80 % des cas, ce sont des mélanges d’espèces qui ont été cultivés.

Enfin, des cultures dérobées (secondes cultures récoltées après une culture principale) ont été introduites dans quatre des six systèmes innovants. Dans le Lauragais, c’est du sarrasin. En Berry, le sarrasin et la cameline ont été testés à l’opportunité, mais ont été abandonnés car ces espèces étaient inadaptées en contexte d’été secs et finalement non rentables ; on y privilégie actuellement les couverts d’interculture pour maximiser les restitutions au sol. Dans le Lauragais et en Béarn, c’est la production de cultures intermédiaires à valeur énergétique (CIVE) qui est explorée avec intérêt, avec l’avoine d’hiver en Béarn-T3 et le triticale dans le Lauragais.

Des résultats environnementaux satisfaisants

Globalement, dans les cinq régions, les systèmes innovants expérimentés améliorent les critères de performances techniques et environnementales (encadré) par rapport aux systèmes témoins (tableau 1). Pour cinq systèmes innovants (dont le Béarn-T3), la quantité d’azote minéral apportée est réduite de 10 à près de 50 %. Cela se répercute sur les émissions de gaz à effet de serre (GES), avec une réduction qui dépasse l’objectif de - 20 % ou s’en rapproche, sauf pour Béarn-I1. Les indices de fréquence de traitement (IFT) sont réduits dans quatre situations sur six, sans toutefois atteindre le seuil de -50 % par rapport aux systèmes témoins.

OBJECTIFS DE DURABILITÉ : ces systèmes en transition ne sont pas encore tous rentables

Le principal point de difficulté concerne les IFT des systèmes innovants du Lauragais et I1 du Béarn, supérieurs aux systèmes témoins chaque année depuis quatre ans. En effet, pour des systèmes basés historiquement sur des cultures peu consommatrices en intrants (tournesol, maïs), la diversification conduit à augmenter l’IFT, en tout cas à court terme. Ainsi, dans le Lauragais, la stratégie de non travail du sol couplée à l’introduction de couverts en interculture, qui permet de réduire l’érosion dans ces sols de coteaux et contribue à l’augmentation du stock de carbone dans le sol, entraîne une difficulté supplémentaire dans la gestion des adventices et ne permet pas de réduire l’usage des herbicides.

Neuf indicateurs de multiperformanceLes indicateurs sont calculés avec le logiciel SYSTERRE à partir des pratiques culturales et des résultats techniques de chaque campagne. On considère que les systèmes expérimentés sont pratiqués dans des fermes-types représentatives des régions où les plateformes sont implantées, caractérisées notamment par leur SAU et le nombre d'unités de travailleur humain (UTH). Ceci permet d'estimer les postes liés au matériel et à la main-d’œuvre entrant dans le calcul des indicateurs économiques, de consommation en énergie et d’émission de GES.

Les principaux indicateurs de multiperformance et leurs objectifs sont les suivants :

Apport d’azote minéral : -20 % par rapport au système témoin
Quantité d’azote minéral apportée (en kg d’azote total/ha), n’incluant pas l’azote sous forme organique.

Indice de fréquence de traitement : -50% par rapport au système témoin
IFT produit commercial (hors traitement de semences) ; le calcul de l’IFT a changé en 2020, ce qui empêche temporairement la comparaison aux références régionales

Émissions de GES : -20% par rapport au système témoin
Estimation des quantités des gaz à effet de serre émises de façon directe (nitrification, dénitrification, combustion de carburant) et indirecte (fabrication des intrants et des agroéquipements), hors variation de stock de carbone du sol (en teq CO2/ha).

Stock de matière organique du sol : supérieur au système témoin
Évolution, après 30 ans, du stock de matière organique dans les 30 premiers cm de sol (simulations avec le modèle Simeos-AMG).

Consommation d’énergie :
-20% par rapport au système témoin
Estimation des quantités d’énergie utile consommées sur l’exploitation (carburants, électricité) et des quantités d’énergie primaires non renouvelables utilisées pour la fabrication des intrants et des agroéquipements (en MJ/ha).

Marge directe :
supérieure ou égale au système témoin
Chiffre d’affaires + aides, desquels sont déduites les charges en intrants, les charges de mécanisation et de main-d’œuvre salariée (en €/ha) ; les charges fixes d’exploitation ne sont pas comptées, ni les charges liées à la main d’œuvre familiale.

Excédent brut d’exploitation par UTHns :
supérieur ou égal au système témoin
Chiffre d’affaires (aides inclues) généré par le système de culture duquel sont déduites diverses charges (dont intrants, entretien/location du matériel, carburant, main d’œuvre salariale, cotisations sociales exploitant, fermages) exprimé en euros par unité de travail humain non salariée.

Production d’énergie : supérieure ou égale au système témoin
Quantité d’énergie contenue dans les produits récoltés, obtenue à partir du rendement observé et de la valeur énergétique estimée pour chaque espèce (en MJ/ha).

Efficience énergétique :
supérieure ou égale au système témoin
Production d’énergie rapportée à la consommation en énergie.

Des pistes pour améliorer la productivité et la rentabilité

Globalement, dans les cinq régions, les systèmes innovants expérimentés améliorent les critères de performances techniques et environnementales par rapport aux systèmes témoins.

À l’exception du système T3 du Béarn(3), la productivité des systèmes innovants, exprimée en énergie exportée par hectare, est inférieure aux systèmes témoins. Cet indicateur est impacté par le potentiel de rendement et par la nature des espèces de diversification collectées ainsi que par leur importance dans l’assolement. La baisse des charges d'intrants dans les systèmes innovants ne compense que partiellement la moindre productivité. Par conséquent, les systèmes innovants ont été moins rentables que les systèmes témoins dans le contexte climatique et économique de 2017-2020.

Ainsi, en Picardie, la baisse de productivité du système innovant par rapport au témoin s’explique à la fois par une baisse de 17 % du rendement de la betterave et de 30 % pour la pomme de terre (notamment en raison de difficultés dans la mise au point des méthodes d’implantation sans labour), ainsi que par une diminution de la part de ces cultures dans le nouvel assolement. La rentabilité est directement affectée.

Le manque de maîtrise des nouvelles cultures impacte également la productivité mais aussi la rentabilité des systèmes innovants. S’y ajoute l’effet des à-coups climatiques, qui ont davantage pénalisé les cultures de diversification. C’est le cas du maïs en Berry, par exemple : introduit dans le système innovant pour son rôle dans la rupture de cycle des adventices hivernales, il a subi trois étés secs, particulièrement pénalisants dans ces sols superficiels.

Créer de la valeur en rémunérant les bénéfices environnementaux (zoom) permis par les systèmes innovants est une piste qui doit être explorée afin d’améliorer les performances économiques… Au moins le temps de la mise en place de « l’effet système », de l’ajustement des leviers mobilisés et d’une amélioration de la maîtrise du pilotage des cultures nouvelles !

(1) Les expérimentations Syppre sont présentées dans l’article « Les plateformes expérimentales Syppre : des laboratoires pour les nouveaux systèmes de culture » (joint à cet article).

(2) La bonne performance du colza dans le système innovant du Berry est analysée dans l’article « Conception de systèmes de culture innovants : des sols fertiles pour plus de résilience » (joint à cet article).

(3) Les systèmes innovants expérimentés dans le Béarn ont été décrits dans l’article « Rotations avec maïs : soja et couvert d’avoine, un pari gagnant » (joint à cet article).

ZOOM : Faut-il encourager la fourniture de services écosystémiques par des dispositifs de soutien ?

S’appuyant sur le modèle d’évaluation multicritère DEXiPM développé par l’INRAE, le potentiel de durabilité des systèmes innovants et témoins expérimentés dans Syppre a été évalué en s’appuyant sur les résultats techniques attendus, tels que définis au démarrage des expérimentations.

Bien qu’ils n'améliorent pas tous les indicateurs en même temps, les systèmes innovants tels qu’ils ont été conçus dans Syppre sont de bons candidats pour améliorer la fourniture de services écosystémiques dans quatre plateformes sur cinq, et même pour la maintenir à un niveau satisfaisant en Picardie. C’est ce que révèle les notes de potentiel de durabilité environnementale, dans laquelle 49 indicateurs ont été estimés puis agrégés en valeur qualitative (tableau 2).

DURABILITÉ : les systèmes diversifiés fournissent des services écosystémiques

Les résultats économiques estimés par DEXiPM indiquent qu’à terme, les systèmes innovants seraient capables d’atteindre les niveaux de performance des systèmes témoins, selon les dix indicateurs agrégés. Reste à savoir sous quelle échéance - et s’il existe, dans ce laps de temps, des moyens de compenser les manques à gagner constatés lors des premières années d’expérimentation.

Un élément de réponse à cette dernière problématique est fourni par l’exemple du label « Bas carbone » appliqué aux systèmes du Lauragais.

Dans cette région, les émissions de carbone du système innovant devraient être réduites de 985 tonnes sur 5 ans par rapport au système témoin (calculés selon la méthode publiée en septembre 2021). Les leviers pris en compte sont les couverts végétaux et la production de dérobées, reconnus pour leur contribution au stockage de carbone dans les sols. La réduction du travail du sol (dont l’arrêt du labour) et la diminution de la fertilisation azotée observée dans ce système contribuent également à ce bon bilan, car elles induisent une réduction des émissions de gaz à effet de serre.

Dans les conditions de valorisation actuelles du carbone, rémunéré de 30 à 50 € la tonne, la vente des crédits Carbone générés par le système innovant du Lauragais permettrait à la marge nette du système innovant de se rapprocher de celle du système témoin.

Toutefois, d’autres modes de valorisation doivent être explorés pour combler entièrement le manque à gagner.

Clotilde Rouillon-Toqué - c.rouillon@arvalis.fr
Marie Estienne - m.estienne@arvalis.fr
Stéphane Cadoux - s.cadoux@terresinovia.fr
Paul Tauvel - p.tauvel@itbfr.org

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