Quels leviers pour gérer maintenant les graminées dans le colza ?
Les graminées type ray-grass et vulpin dominent aujourd’hui le cortège des adventices difficiles à maîtriser dans le colza. Plusieurs stratégies peuvent s’appliquer pour les contrôler à l’échelle de la culture mais aussi, et encore plus, dans la rotation.

Il n’est plus rare d’observer des parcelles de colza infestées par 100 à 300 ray-grass par mètre carré.
La levée des ray-grass et vulpins, les principales graminées adventices dans le colza, a plutôt lieu en automne-hiver mais on constate qu’avec le changement climatique, elles lèvent désormais un peu tout le temps, ce qui complexifie leur gestion et s’ajoute à la montée des résistances et aux éventuelles repousses des cultures précédentes. Comment les contrôler ?
Attention aux pressions précoces incontrôlées
« La question du désherbage des graminées dans les colzas se pose avec de plus en plus d’acuité. Ray-grass et vulpins prennent en effet la tête du cortège des adventices difficiles alors que les années 2010 étaient plutôt dominées par la question des dicotylédones. Il n’est pas rare de trouver des infestations de 100 à 300 ray-grass par mètre carré », confirme Arnaud Micheneau, ingénieur de développement, spécialiste de la lutte contre la flore adventice chez Terres Inovia.
Pour répondre à ce nouveau contexte, le contrôle de ces graminées reste possible tout en préservant le potentiel du colza. « Mieux vaut maîtriser le ray-grass dès l’implantation, avant qu’il n’exerce une forte concurrence sur le colza à l’automne et ne gêne son implantation, plutôt qu’attendre le mois de novembre », illustre le spécialiste.
Il conseille ainsi de maintenir, voire de réintroduire un désherbage de prélevée ciblé dans les situations problématiques. « Avec des pressions à 300 pieds, un traitement de prélevée va donner des résultats d’environ 60 %, avec une grande variabilité selon les conditions, mais ce premier contrôle va éviter que le colza ne soit étouffé et peut même l’aider ensuite à concurrencer les adventices », complète Arnaud Micheneau. L’application en prélevée s’effectue au stade « deux feuilles » pour que la culture soit réellement démarrée. Cette gestion précoce n’est pas impérative sur des pressions faibles. Et elle s’avère insatisfaisante sur les repousses de céréales, qui imposent généralement l’application d’un anti-graminées foliaire en septembre, dont l’avantage est aussi de renforcer le contrôle des ray-grass et des vulpins si ces derniers n’ont pas développé de résistance. « La difficulté reste liée aux levées précoces des graminées, en période estivale, pas toujours propices aux solutions de prélevée : le ray-grass lève en effet comme le colza, dès la première pluie, et le vulpin un peu plus tard », souligne Arnaud Micheneau.
Limiter la pression de sélection
Le contrôle précoce des graminées peut aussi être assuré par un traitement incorporé en présemis avec de la napropamide, type Colzamid 2 l/ha, enfoui par exemple en août-septembre avec un semoir combiné ou par un passage d’outil. La napropamide incorporée offre le meilleur compromis en termes d’efficacité et de régularité, car elle est moins sensible aux variations des conditions d’application (figure 1).

En situation difficile, ces applications de présemis incorporées comme de post semis/prélevée doivent ensuite être complétées en post levée, par une application de propyzamide dans les conditions optimales de ce produit à action racinaire : pour une bonne pénétration dans le sol et réduire sa vitesse de dégradation, donc améliorer son efficacité, ce produit exige une application par temps froid et humide à partir du mois de novembre. Le recours à la propyzamide est également essentiel dans les situations déjà mentionnées de recours aux anti-graminées foliaires, afin de limiter la pression de sélection vis-à-vis des individus résistants.
Bien gérer les repousses de céréales
Dans les rotations plaçant le colza juste après une céréale, l’interculture va être courte et les repousses risquent de concurrencer la nouvelle culture d’où l’importance de bien les gérer pour éviter leur concurrence sur la ressource en eau. « Le choix du mode de destruction, par glyphosate ou par scalpage avec un travail du sol superficiel, est à raisonner en fonction des conditions et doit être positionné au moins deux semaines avant le semis du colza pour que les repousses de céréales n’assèchent pas trop le sol avant l’implantation du colza. Pour les repousses en cours de culture de colza, le recours à un anti-graminées foliaire est envisageable », complète Fanny Vuillemin, ingénieure chargée d’études en gestion des adventices et techniques alternatives de désherbage chez Terres Inovia.
Ne pas négliger les leviers de gestion mécanique

Le désherbage mécanique reste intéressant pour limiter la salissement du colza, celui-ci se binant plutôt bien, avec des résultats très satisfaisants pour un binage de septembre, lorsque les fenêtres météo le permettent, voire tout début octobre pour des semis tardifs. La gestion précoce des graminées donne de la place au colza pour une bonne implantation, ce qui se ressent ensuite et limite la pression de la population de graminées.
La herse étrille est en tendance moins efficace que le binage, même si ce dernier, ne travaillant que l’inter-rang, peut imposer un herbicide sur le rang. Toutefois, si les ray-grass sont alors trop développés, ils seront plus difficiles à déraciner et l’aération de l’inter-rang assuré par le binage ne tiendra que quelques jours avant qu’ils ne redémarrent.
Penser rotation
Plusieurs leviers agronomiques sont actionnables pour gérer les graminées dans le colza, le premier restant la rotation avec un choix judicieux des cultures. « Introduire dans la rotation une culture de printemps voire, encore mieux, deux, va réduire la pression des adventices car leurs dates de levée sont décalées » pointe Fanny Vuillemin.
Les « vraies » cultures de printemps doivent être privilégiées : maïs, tournesol, voire sorgho ou soja, semés en avril – mai, et non les cultures semées un peu plus tôt, en mars, comme l’orge de printemps, la lentille ou le pois chiche, car la rupture sera moins marquée avec ces dernières. Introduire ces cultures de printemps a aussi l’avantage de laisser le sol nu à l’automne, si un couvert n’est pas mis en place, et rend ainsi possible la réalisation de destockage/faux-semis.
De plus, une étude réalisée sur les données d’enquêtes du Service de la Statistique et de la Prospective montre qu’en céréale d’hiver ou en colza, les IFT, indicateurs indirects de la pression de la flore adventice, sont réduits lorsque la succession des cinq précédents comporte au moins deux cultures de printemps par rapport aux rotations de cultures d’hiver.
La plateforme Syppre Berry a montré cet impact de deux cultures de printemps sur la réduction des vulpins. Par contre, ils repartent lorsque la rotation fait ensuite se succéder 4 cultures d’hiver. « Il est possible alors de diversifier les modes d’action des herbicides, et donc de réduire la pression de sélection des graminées résistantes », pointe Fanny Vuillemin.
L’apport du labour et du faux-semis
Le labour représente un second levier agronomique intéressant. « C’est assez spécifique aux graminées en raison de leur TAD élevé : leurs graines enfouies perdent au moins 70 % de leur capacité de germination chaque année, un taux plus élevé que celui des dicotylédones qui dépérissent moins vite », détaille l’ingénieure.
Le labour a montré son effet nettoyant pour réduire la pression de graminées, mais la pratique doit être mise au regard de ses autres impacts sur la fertilité des sols et leur structure, et le risque de faire remonter des graines de dicotylédones. Fanny Vuillemin le conseille donc uniquement tous les 3 à 4 ans, tout en insistant sur les bonnes pratiques. Notamment le positionnement d’un tel labour : il est déconseillé avant le colza dans les sols argileux même s’il peut prendre place avant cette culture dans les sols limoneux. « Labourer les terres argileuses assèche le profil au détriment d’une bonne implantation du colza, surtout lorsqu’on sème tôt pour les problématiques « insectes ». L’idéal est de positionner le labour avant une céréale ou, encore mieux, avant une culture de printemps », précise-t-elle.
Autres pratiques intéressantes, le déstockage des graines d’adventices et les faux-semis sont aussi à positionner selon la rotation : plutôt entre fin août et début novembre, voire carrément en sortie d’hiver avant une culture de printemps et, en tous cas, jamais avant le colza. Ils s’effectuent en interculture grâce à un travail superficiel juste avant une petite pluie qui favorisera la levée des graminées. Puis celles-ci seront détruites soit avec du glyphosate, soit par un travail du sol par temps séchant afin que les racines laissées à l’air se dessèchent au lieu de se repiquer. « Il est important d’intervenir sur un sol sec et par temps séchant pour éviter de nouvelles levées », insiste la spécialiste.
Le faux-semis peut s’accompagner d’un décalage du semis de la céréale à fin octobre-début novembre pour avoir le temps de le réaliser et pour être en léger décalage avec le pic de levée des graminées.
Ne pas semer les graines de demain
Outre les leviers agronomiques, toutes les mesures prophylactiques comptent. C’est le cas avec les bonnes pratiques de récolte : les parcelles les plus sales seront récoltées en dernier pour éviter de disséminer les graines, et la moissonneuse doit être nettoyée à fond ensuite. Certaines pratiques « pompiers » se développent aussi, comme l’écimage des graminées dans les céréales, avec récupération des graines, là encore pour éviter leur dissémination.
La récolte des menues pailles, qui contiennent en général beaucoup de graines autres que celle de la culture, contribue aussi à réduire la pression dans les parcelles. Leur broyage immédiat pourrait aussi aider à limiter drastiquement le nombre de graines viables sans avoir de gros volumes de matière récupérée à gérer. « Mais ce dispositif innovant, développé en Australie, est assez bruyant et coûteux », tempère Fanny Vuillemin. Plusieurs projets de recherche explorent la gestion des graminées en culture et la combinaison de leviers comme Gramicible, Gramicombi et Gigan.
0 commentaire
Réagissez !
Merci de vous connecter pour commenter cet article.