Transfert de produits phytosanitaires : réduire les risques grâce à la modélisation

Des solutions basées sur des approches de modélisation existent pour réduire les risques de transfert de produits phytopharmaceutiques à l’échelle du territoire. Une étude Prec’eau a ainsi identifié les substances à risque de transfert utilisées sur une aire de captage du nord de la France.

Quatre facteurs en interaction conditionnent le transfert d’une substance active vers les eaux de surface et souterraines : les caractéristiques physico-chimiques de la molécule, les caractéristiques du sol, le climat ainsi que les pratiques culturales. Certaines caractéristiques physico-chimiques de la molécule donnent des indications sur sa mobilité potentielle dans le milieu. Ainsi, une substance active présentant un cœfficient d’adsorption(1) faible et une demi-vie importante possède un profil plutôt défavorable : elle sera peu retenue dans le sol et restera longtemps présente, ce qui accroît les risques de contamination des eaux souterraines (ou de surface si la parcelle est drainée).

Néanmoins, les transferts de produits phytopharmaceutiques ne peuvent pas s’expliquer uniquement au travers de leurs caractéristiques physico-chimiques. En effet, il existe une relation forte entre ces caractéristiques et certaines composantes du sol. Ainsi un sol présentant un complexe argilo-humique important a tendance à fixer une plus grande quantité de substances actives. Une teneur élevée en matière organique améliore la stabilité structurale du sol et le rend moins sensible à la battance, qui provoque du ruissellement ou de l’érosion susceptible de transférer des substances actives. Et l’activité microbienne influe sur la vitesse de dégradation de ces substances. Par ailleurs, l’intensité et la saisonnalité des précipitations conditionnent les périodes de saturation en eau du sol, et donc les périodes de transfert. Enfin, les pratiques culturales mises en place sur les parcelles, comme la date et la dose d’application ainsi que le type de travail du sol, ont également un impact sur les transferts d’une substance active.

Des modèles de transfert performants

De nombreux indicateurs et modèles ont été créés pour caractériser le risque de transfert de pesticides dans les eaux superficielles et souterraines. D’une manière générale, les indicateurs de transfert de pesticides nécessitent peu de variables d’entrée - typiquement, la substance active, la dose et le type de sol. En revanche, les modèles disponibles prennent en compte un grand nombre de paramètres pour simuler les transferts d’une substance active. Un modèle comme MACRO 5.2, utilisé pour l’homologation des substances actives, est plus complexe à mettre en œuvre mais simule de manière plus précise les transferts en profondeur et via le réseau de drainage (encadré).

MACRO 5.2 : un modèle plus précis que les indicateurs

Le projet ÉQUIPE* a cherché à évaluer la justesse d’un grand nombre d’indicateurs et du modèle MACRO 5.2, en confrontant les sorties de ces indicateurs et de ce modèle aux données de transferts mesurées sur trois sites expérimentaux pilotés par Arvalis**. Les résultats du projet montrent que, globalement, les indicateurs prédisent mal les transferts réels de substances actives vers les eaux. Seule la modélisation MACRO 5.2, qui prend en compte de manière fine les différents mécanismes de transferts, arrive à des résultats satisfaisants dans les milieux pédoclimatiques étudiés dans le cadre du projet. Les indicateurs qui présentent un degré d’élaboration suffisant pourront toutefois être utilisés dans des actions de conseil et de conception de système de culture.

(*) Projet ÉQUIPE : Évaluation de la QUalité prédictive des Indicateurs de risque PEsticide, initié par l’Inra (UMR LAE Nancy-Colmar) dans le cadre du programme de recherche PSPE d’ECOPHYTO I.
(**) Plus de détails dans l’article « Le projet ÉQUIPE jauge la qualité des indicateurs ». Perspectives Agricoles n°439, décembre 2016.


Les approches basées sur des modèles correctement paramétrés sont donc des outils intéressants pour effectuer un diagnostic des risques de transfert à différentes échelles : parcelle, exploitation, bassin-versant et territoire. Elles sont complémentaires d’autres approches basées sur des diagnostics de terrain. Elles nécessitent néanmoins l’utilisation de données pédologiques fines à ces différentes échelles (voir le dossier « Connaissance des sols »).

Les résultats de la modélisation permettent d’identifier les voies de progrès et de proposer, lorsque que c’est nécessaire, des pratiques alternatives réduisant les risques de transfert dans le milieu pédoclimatique étudié : modifier la date d’une application de produits phytosanitaires, réduire la dose ou encore changer de substance active.

Une fois le diagnostic posé, le plan d’action doit être élaboré avec les agriculteurs présents sur le territoire afin de lever les freins à sa mise en œuvre. En effet, il doit établir un compromis entre la réduction des impacts agricoles sur la qualité de l’eau et la préservation de l’efficacité technico-économique des exploitations.

Un exemple d’étude sur une aire d’alimentation de captage

Au cours de la campagne 2017-2018, une étude Prec’eau a été réalisée sur une aire d’alimentation de captage(2) (AAC) du nord de la France. Développée par Arvalis et Agrosolutions, cette offre de service s’appuie sur le modèle MACRO 5.2 pour évaluer les risques de transfert de produits phytosanitaires sur un territoire (figure 1). L’étude a été menée à l’initiative d’une coopérative agricole afin d’aider ses conseillers à proposer aux agriculteurs cultivant cette aire des solutions à moindre risque pour la qualité de l’eau.

L’AAC étudiée a une superficie d’environ 10 000 hectares, dont environ 6 500 hectares de surface agricole utile. Le territoire comporte environ dix types de sol différents, avec un profil pédologique dominant de limons profonds parfois hydromorphes ; s’y trouvent aussi des sols plus superficiels, en l’occurrence des rendosols(3) issus de la craie. Neuf cultures principales sont présentes : blé tendre, orge d’hiver, colza, betterave, pomme de terre, maïs, lin « fibre » de printemps, pois protéagineux et orge de printemps.

La première étape d’une telle étude consiste à sélectionner les données d’entrée nécessaires au paramétrage du modèle MACRO 5.2. C’est une étape clé, car un paramétrage mal effectué peut amener à sous-estimer ou surestimer les risques de transfert. Les données d’entrée concernent la pédologie, les cultures, le climat, les pratiques phytosanitaires (dates et doses) et les propriétés physico-chimiques des substances actives. L’utilisation de données climatiques spatialisées sur les dix dernières années et du référentiel sol d’Arvalis assure un paramétrage fin de MACRO 5.2.

Lors de la deuxième étape, ces données sont croisées afin de construire des scénarios d’application des substances qui combinent un climat, un type de sol, une culture, une matière active, une dose et une date d’application - plus de 30 000 scénarios à modéliser dans ce cas. Pour chaque scénario, les résultats des modélisations se présentent sous la forme de chroniques journalières de flux d’eau et de substances actives. Ces simulations sont ensuite traduites en indicateurs de risques de transfert : la concentration moyenne sur dix ans de simulation, et la fréquence de dépassement du seuil de potabilité (0,1 µg/l) sur dix ans de simulation. La troisième étape valide les résultats en confrontant les données modélisées avec les analyses d’eau issues du réseau de surveillance de la qualité de l’eau sur l’AAC et avec les résultats issus du réseau d’expérimentation « Pratiques Culturales et Qualité de l’Eau » d’Arvalis.

Les résultats montrent que seules 9 % des 148 substances actives modélisées ont été retrouvées au moins une fois dans le réseau de surveillance de la qualité de l’eau de l’AAC. Ces treize molécules sont associées à des risques de transfert sur au moins un type de sol. La modélisation montre également une variation du risque de transfert selon le type de sol : les limons profonds non hydromorphes présentent globalement peu de risques, alors que les sols superficiels comme les rendosols sont bien plus vulnérables.
Avec cette étude, le risque de pollution diffuse peut à présent être intégré dans le conseil auprès des agriculteurs du territoire, contribuant ainsi à préserver ses ressources en eau.

(1) Cœfficient de partage carbone organique-eau (KoC).
(2) Une AAC est la surface sur laquelle toute eau qui s’infiltre ou ruisselle alimente un captage.
(3) Un rendosol est un sol peu évolué issu d’une roche mère calcaire.

INTÉGRER LE RISQUE phyto dans le conseilBaptiste Breton, directeur Production et Conseil de la coopérative agricole « La Tricherie » (86) explique pourquoi la simulation des transferts de substances actives dans les eaux sur un territoire par modélisation est un outil précieux pour les conseillers agricoles.



Perspectives Agricoles :
Pourquoi vous intéressez-vous à la simulation des transferts de produits phytos ?

Baptiste Breton :
Bien que notre coopérative ne soit pas située dans une zone de captages prioritaires, nous partageons tous l’objectif de diminuer l’usage des produits phytosanitaires et leur impact sur la ressource en eau. Pour apporter des garanties dans la gestion des risques environnementaux auprès de la société et de la filière, il faut être capable d’apporter des solutions concrètes à nos producteurs.
Nos conseillers les accompagnent dans des approches combinant un maximum de leviers agronomiques et de biocontrôle, mais aussi optimisant l’utilisation des produits phytosanitaires classiques. Or nous sommes situés dans un secteur où tous les types de sols de la Vienne sont présents, sachant qu’une même pratique n’a pas le même impact selon le type de sol. La modélisation des transferts des substances actives vers les eaux souterraines répond à notre besoin de gérer au mieux nos hétérogénéités de situation. Elle va plus loin que l’IFT - par exemple, en mesurant les impacts de nos préconisations.


P. A. : Quelle valeur ajoutée y trouvent les agriculteurs ?

B. B. :
Notre force est de proposer une approche cohérente. Depuis plus de vingt ans nous sommes engagés dans des démarches de durabilité. Dans un premier temps, nous avons privilégié la traçabilité et la qualité des productions, avec nos engagements dans des cahiers des charges type CRC et Agriconfiance. Plus récemment, nous avons fait le choix d’aller encore plus loin et de passer du « durable » au « responsable », avec nos premières exploitations certifiées HVE3 et notre engagement dans la Responsabilité Sociale des Entreprises (RSE). Cette évolution importante signifie que le périmètre de nos actions s’élargit, avec une meilleure prise en compte des attentes sociétales.
Chiffrer le bénéfice financier n’est pas simple, mais nous restons dans une logique d’équilibre technico-économique. L’objectif reste de proposer un maximum de solutions alternatives et des solutions de protection chimique à moindre risque pour la qualité de l’eau sans remettre en cause l’équilibre financier de l’exploitation. Et puis, en développant davantage la confiance entre les différents maillons de la filière, nous espérons de nouveaux débouchés, des contrats à plus forte valeur ajoutée pour les agriculteurs tout en préservant les ressources pour les générations futures.


P. A. : Comment accompagnez-vous les agriculteurs dans ces démarches ?

B. B. :
Le rôle de nos conseillers est primordial pour réaliser les bons diagnostics au bon moment et apporter les solutions les plus adaptées à chaque situation. Notre engagement dans une étude Prec’eau est une démarche volontaire ayant l’objectif de mettre à disposition de nos conseillers tous les éléments nécessaires pour optimiser leurs préconisations.
À ce titre, on peut regretter que le bénéfice environnemental de ce type d’approche ne soit pas suffisamment pris en considération par l’administration - par exemple, en étant accompagné financièrement. C’est d’autant plus d’actualité avec les évolutions à venir sur la séparation du conseil et de la vente. Une étude Prec’eau a un coût et nécessite de travailler sur une gamme de produits. Demain, le conseil privé aura-t-il les moyens pour réaliser une telle étude, bien qu’elle réponde à des besoins réels ?
Quoi qu’il en soit, nous continuons d’être mobilisés et proactifs. La coopérative doit poursuive son rôle fédérateur entre les agriculteurs, les entreprises de l’aval, l’administration et les citoyens.

Propos recueillis par Crystel L’Herbier - Ingénieure agronome à Arvalis

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