Stockage sans insecticide : la lutte physique, un levier efficace à bien positionner

Les techniques de lutte physique contre les insectes des grains au stockage, qu’elles soient prophylactiques ou curatives, sont efficaces et peuvent remplacer les insecticides de stockage. A plusieurs conditions toutefois.
Céréales à paille: revue des moyens de lutte physique au stockage

La filière céréalière française s’est engagé à réduire de moitié la proportion de céréales présentant un résidu d’insecticide d’ici 2022. Elle suit en cela les principes de la directive 2009/128/CE pour une utilisation durable des pesticides.
Dans ce contexte, les méthodes de lutte physique, qu’elles visent à lutter directement contre les insectes (lutte curative) ou à prévenir les infestations (lutte prophylactique), sont appelées à jouer un rôle croissant. Elles reposent sur la manipulation de l’environnement physique des ravageurs de sorte que la population soit éliminée ou ramenée sous le seuil de nuisibilité économique. Bien qu’encore peu pratiquée, la lutte physique est particulièrement adaptée au stockage des grains, l’environnement y étant artificiel et donc partiellement contrôlable.

Exploiter les températures basses via la ventilation

Les insectes sont poïkilothermes : leur température corporelle varie avec celle de leur milieu. En-deçà de 12°C, les insectes des grains ne se multiplient plus. La manipulation de la température de leur environnement a donc une incidence sur le taux d’accroissement des populations (tableau 1). Pour un stockage de longue durée, il convient d’atteindre le plus rapidement possible cette température seuil.

L’abaissement de la température par la ventilation des grains, par air ambiant ou réfrigéré, est une méthode préventive largement répandue dans toutes les zones au climat tempéré. L’enjeu aujourd’hui est moins d’augmenter l’usage de la ventilation, car plus de 90 % des organismes stockeurs ventilent les grains, que d’améliorer son pilotage en utilisant un thermostat afin d’optimiser les heures de fonctionnement et, si nécessaire, un groupe de froid.

Sous nos latitudes, une ventilation des grains à l’air ambiant permet d’atteindre 12°C en moyenne vers le 15 octobre (à dix jours près) pour des débits spécifiques(1) supérieurs à 12 m3/h par m3 de grain. Si l’on suppose une contamination initiale d’un insecte par tonne de grains, correspondant à la survivance de colonies dans les silos d’une campagne à l’autre, on atteint alors à cette date une densité inférieure à 10 insectes par tonne de grain. Lorsque les possibilités de refroidissement par l’air ambiant sont insuffisantes, soit en raison du climat (cas des régions méditerranéennes ou tropicales), soit parce que les débits spécifiques de ventilation sont tels que la durée de refroidissement nécessaire est considérable (cas de certains silos de très grande hauteur), le recours à une ventilation réfrigérée peut s’envisager.

Le refroidissement des grains par ventilation ne peut pas être considéré comme un moyen de lutte curative en raison de temps d’exposition trop longs(2) à moins de 10°C pour obtenir la désinsectisation(3) d’un silo.

Le chauffage des grains, un moyen efficace mais coûteux de lutte curative

À vocation prophylactique, la ventilation doit pouvoir être complétée si nécessaire par une méthode curative. Or, parmi celles disponibles, peu ont trouvé leur place dans les itinéraires de stockage actuels, principalement en raison de leur coût de mise en œuvre. Celui-ci est, en effet, estimé entre 15 et 25 € la tonne, alors que le coût d’un traitement insecticide est en général inférieur à 1 €/t. Même si une plus faible proportion de grains stockés est traitée en raison d’une meilleure prophylaxie, le surcoût reste considérable pour les organismes stockeurs.

L’une des méthodes curatives les plus faciles à mettre en œuvre est le chauffage des grains. À partir de 35°C, les populations d’insectes décroissent rapidement, faute d’un taux de reproduction suffisant, et les températures sont létales dès 45°C (tableau 1). Il faut appliquer 10°C de plus aux espèces les plus résistantes à la chaleur par rapport aux plus sensibles. Par ailleurs, les stades juvéniles des espèces à formes cachées sont plus résistants que les adultes.
Le chauffage par convection est utilisé en traitement des locaux vides et en traitement des grains.

La température à atteindre est de 50°C dans les deux cas. En traitement des locaux, une mortalité totale des populations peut être atteinte dès deux heures de traitement avec un chauffage au propane sur des cellules de taille « fermière ». En traitement en séchoirs à colonne, qui sont répandus chez les organismes stockeurs français, une étude de 2018 (tableau 2) a déterminé les couples « température d’air usé, quantité d’air insufflée » qui minimisent la perte de teneur en eau des grains tout en assurant une mortalité supérieure à 99 % pour trois espèces, le charançon du maïs (Sitophilus zeamais), le capucin des grains (Rhyzopertha dominica) et le tribolium brun (Tribolium confusum).

Toutefois, si l’efficacité des traitements thermiques et leur faisabilité à l’aide de séchoirs conventionnels sont démontrées, le chauffage reste peu répandu chez les opérateurs : sans compter la perte de masse d’environ 2 % liée à la dessiccation des grains, son coût est environ dix fois plus élevé qu’une désinsectisation par insecticides de contact.

La dessiccation par des poudres inertes est efficace mais contraignante

Les poudres inertes (terre de diatomées, bicarbonate de sodium, zéolithes) agissent sur la régulation des échanges hydriques des insectes ; ceux-ci meurent par dessiccation. La meilleure efficacité insecticide est obtenue pour une teneur des grains en eau d’au plus 14 % et pour la température ambiante la plus élevée possible.

La sensibilité des espèces aux terres de diatomées varie mais, entre 22°C et 27°C et pour des teneurs en eau du grain de 11 à 14 %, on atteint 87 à 100 % de mortalité après 14 jours d’exposition des insectes adultes aux grains traités ; le tribolium brun est l’un des plus résistants. En préventif, traiter une couche de grains d’au moins 50 cm d’épaisseur semble nécessaire pour éliminer les espèces les plus mobiles comme les silvains dentelés (Oryzaephilus surinamensis). La mortalité des adultes est supérieure à 90 % jusqu’à 9 mois après traitement.

Les zéolithes ont été moins étudiées. Leur efficacité varie selon leur origine géographique et les espèces d’insectes ciblées. Des mortalités supérieures à 95 %, voire totales, ont été obtenues après 21 jours d’exposition d’adultes de charançon du riz (Sitophilus oryzae), de capucin des grains et de tribolium roux (Tribolium castaneum). Cependant, l’efficacité de certaines zéolithes s’avère insuffisante, notamment sur le tribolium brun.

En traitement des locaux vides, à 23°C et 57 % d’hygrométrie, sept jours suffisent pour atteindre 100 % de mortalité chez le charançon du riz et le capucin des grains exposés à la terre de diatomées (Silicosec) ou à la chabazite (une zéolithe, marque Forcegrain MN).

Les principales contraintes à l’utilisation de ces poudres inertes sont leurs modalités d’application, notamment en traitement des grains (dose à appliquer, méthode d’application, émission de poussière), et leur impact sur le poids spécifique des céréales traitées. Celui-ci perd 2 à 7 kg/hl après traitement.

Les insectes s’éliminent bien mécaniquement

L’utilisation d’un nettoyeur-séparateur retire la totalité des adultes de petits silvains plats (Cryptolestes ferrugineus), quelle que soit l’infestation de départ, et des adultes de silvains dentelés, sauf pour les lots les plus contaminés (200 adultes/kg) où seuls sept lots sur dix ont été totalement désinsectisés. Pour l’essentiel, les insectes se trouvent dans la fraction aspirée, mais près de 10 % sont retirés par criblage et se retrouvent dans la fraction des petits grains. Selon les grilles utilisées, la perte de matière engendrée par le nettoyage représente 2 à 6 % de la masse de grain nettoyée.

Plusieurs études(2) ont montré l’intérêt des perturbations mécaniques modérées mais répétées pour contrôler les populations d’insectes ravageurs des grains. Or, lors d’un nettoyage de grains, une succession de chocs modérés sont appliqués : chute de grains, manutention, vibration sur les grilles de criblage. Une étude de 2016 a montré que les adultes de charançon du riz et de capucin des grains sont complètement éliminés après un seul nettoyage-criblage, moyennant une perte en issues de 1,9±0,6 %. Toutefois, la réduction des émergences(4) n’est que partielle. Arvalis a donc testé l’intérêt d’effectuer des nettoyages à intervalles réguliers pendant huit semaines sur un lot préalablement infesté par des charançons du riz. Un nettoyage deux à trois fois par semaine a réduit de 96,8 à 99,8 % les émergences (figure 1).

Le nettoyage des grains peut donc être intégré à un itinéraire de lutte contre les insectes en prévention des infestations (suppression des brisures, amélioration de la ventilation) mais aussi en lutte curative, tant pour les espèces secondaires que pour les primaires. Néanmoins, le coût inhérent au nettoyage peut se révéler prohibitif car les issues, qui concentrent tous les adultes, perdent une grande part de leur valeur marchande. Le nombre de nettoyages nécessaires pour supprimer le risque d’infestation du lot par les ravageurs primaires reste à préciser, notamment en combinaison avec un autre levier comme le froid.

Atmosphères contrôlées : à la ferme, préférez le big-bag ou le conteneur

Deux mécanismes sont à l’œuvre pour expliquer la mortalité des insectes en atmosphère contrôlée : l’anoxie (privation d’O2) et l’hypercapnie (excès de CO2). Dans les deux cas, la mortalité serait le fait d’une altération du métabolisme des insectes et d’une dessiccation, les pertes en eau n’étant plus régulées. Une anoxie simple peut être obtenue en enrichissant l’atmosphère en N2. La concentration limite en O2 à atteindre pour parvenir à une mortalité des insectes dépend à la fois de l’espèce et de son stade, de la température et de l’humidité relative. La mort est d’autant plus rapide que la concentration en O2 est faible, la température élevée et l’humidité relative basse.

L’utilisation dans un silo hermétique d’une atmosphère contenant moins de 1 % d’O2 et plus de 99 % d’N2 a montré qu’il fallait près de neuf jours d’exposition à 22°C et à une humidité relative de plus de 70 % pour atteindre 100 % de mortalité chez le charançon du grain (Sitophilus granarius) et des triboliums roux et bruns. L’hypercapnie est tout aussi efficace (et tout aussi longue), avec des concentrations mortelles en CO2 plus faibles(2) qu’en N2. Une autre approche vise la réduction des émergences plutôt que la mort des adultes. Pour des blés aux teneurs en eau comprises entre 14 et 15 %, une concentration en O2 abaissée à 3-4 % contrôlera le développement de la population en limitant drastiquement les émergences. Elle pourrait donc venir en complément d’une lutte prophylactique par la ventilation à l’air ambiant. L’utilisation d’une atmosphère modifiée requiert des silos suffisamment étanches pour maintenir la pression recherchée en N2 ou CO2, tout en autorisant les échanges avec l’extérieur pour gérer une éventuelle surpression liée aux élévations de températures.

Le traitement de volumes plus modestes, en big-bag ou en container, est plus simple. L’efficacité de traitement en big-bag dans lequel a été injecté du CO2 a été démontrée : après 21 jours de traitement, aucune émergence de charançon du riz n’a été constatée. Des solutions de ce type sont proposées sur le marché français. Le coût du traitement est évalué entre 20 et 25 €/tonne sous réserve de réutiliser les big-bags au maximum.

Quand et comment utiliser la lutte physique ?

La lutte physique curative est à réserver aux situations où le risque économique lié à la présence d’insectes le justifie. Ceci implique de surveiller la présence d’insectes dans le grain stocké afin de détecter précocement les infestations, ainsi qu’une meilleure connaissance des insectes par les chefs de silo. L’appréciation du risque doit mieux tenir compte des conditions d’environnement (température et hygrométrie), qui ont une incidence directe sur le taux d’accroissement des populations, ainsi que de la durée de stockage prévue (à mettre en relation avec une durée de stockage sans risque). Cette analyse serait facilitée si des seuils de nuisibilité économique étaient reconnus par les opérateurs de la filière française, comme c’est le cas aux États-Unis par exemple, où ce seuil a été défini pour le blé non transformé à 2 adultes par kilo.

Puisque sur le plan économique, aucune méthode curative n’est bon marché comparée à la lutte chimique conventionnelle, c’est sur d’autres considérations que s’effectuera le choix des opérateurs : la facilité de mise en œuvre, l’absence d’impact sur la qualité du grain, la durée de traitement et d’immobilisation du stock nécessaire, la rémanence du traitement, le risque pour l’opérateur, les contraintes règlementaires, l’acceptabilité sociale et l’impact environnemental. Il convient enfin de rappeler qu’il existe d’autres méthodes alternatives d’intérêt telles que la lutte biologique ou l’utilisation de biopesticides, que l’on peut combiner avec une lutte physique.

(1) Le débit spécifique est le débit de ventilation rapporté au volume à ventiler.

(2) Plus d’informations sur http://arvalis.info/1yv, notamment sur des techniques innovantes telles que le chauffage par radiofréquences et l’application de rayonnements ionisants.

(3) Désinsectisation : elle est effective quand plus de 95 % des individus présents sont morts.

(4) Émergence : sortie des formes cachées, devenues adultes, en dehors des grains.

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