Protection des semences des céréales à paille : la lumière à ultra-haute intensité, une technologie émergeante

Le traitement des maladies fongiques du végétal par photo-oxydation induite par une lumière bleue très intense pourrait être une alternative aux intrants chimiques pour deux filières agroalimentaires majeures, la vitiviniculture et les céréales à paille. Comment cette lumière agit-elle ? Quels en sont les effets non intentionnels sur les cultures et la biodiversité ?
Protéger les semences des maladies grâce au stress photo-oxydatif

Dans la logique de la transition agroécologique et de la demande sociétale, les filières céréalière et vitivinicole font des efforts significatifs pour réduire les intrants chimiques destinés à lutter contre les maladies cryptogamiques liées à ces cultures, en faisant appel à des méthodes alternatives : prophylaxie, outils d’aide à la décision, lutte génétique, biocontrôle…

Néanmoins, des traitements phytosanitaires demeurent souvent nécessaires pour protéger les semences (par exemple, contre la carie, le charbon nu de l’orge ou encore les fusarioses), ou les parties aériennes des plantes (par exemple, contre la septoriose du blé, l’oïdium ou la pourriture grise de la vigne). De plus, afin de garantir les qualités sanitaires et organoleptiques des produits issus de ces cultures, des intrants chimiques sont également fréquemment utilisés lors de leur transformation en aliments. Par ailleurs, l’efficacité de certaines molécules antifongiques diminue, entrainant l’augmentation des doses utilisées ou des impasses techniques.

Les traitements utilisant l’effet oxydatif induit par la lumière visible (ou photo-oxydation) ont montré leur potentiel vis-à-vis des micro-organismes fongiques phytopathogènes ou responsables d’altération lors de la transformation alimentaire. De quoi s’agit-il ?

L’objectif du projet EFFINOX est de déployer la technologie photo-oxydative en évaluant son efficacité, notamment sur les semences de céréales et sur la vigne au champ.

Protéger par la lumière

La lumière visible est un facteur de stress oxydatif majeur pour de nombreux micro-organismes, qui peut entraîner leur mort. Une réaction photochimique se produit en effet lorsque la lumière active un composé photosensibilisant qui peut être présent dans leurs cellules ou exogène. Cette réaction produit des molécules formées d’atomes d'oxygène (principalement de l'oxygène singulet), très réactives et cytotoxiques - c’est-à-dire capables de détruire les cellules.

Le procédé mis au point par l’UMR Procédés Alimentaires & Microbiologiques (UMR-PAM) exploite une portion très étroite du spectre de la lumière visible : des longueurs d’onde comprises entre 380 et 420 nm. Les premiers résultats obtenus par l’UMR-PAM confirment la possibilité d’éliminer une grande diversité de micro-organismes fongiques - par exemple Botrytis cinerea, responsable de la pourriture grise - en les exposant à cette lumière bleue de très forte intensité durant une courte période (de l’ordre de la minute). En revanche, la létalité de cette technologie doit encore être confirmée sur les espèces fongiques contaminant spécifiquement les semences de céréales.

De potentiels effets négatifs à évaluer

Avant d’utiliser cette nouvelle technologie, plusieurs questions restent en suspens, auxquelles un nouveau projet de recherche doit répondre. Tout d’abord, comment ce traitement photo-oxydatif influe-t-il sur les propriétés physico-chimiques et organoleptiques des grains (semences de céréales, raisin) ou des aliments issus de ceux-ci ?

Piloté par l’UMR-PAM en partenariat avec Arvalis et l’Institut français de la vigne et du vin (IFV), le projet EFFINOX(1) a débuté en janvier 2022 et durera trois ans. Sa première tâche sera donc de déterminer les modifications éventuelles des propriétés physico-chimiques induites par le traitement. Ce travail permettra également de préciser les conditions d’application qui dissipent la chaleur le plus efficacement possible ; afin d’être validé, le mode d’application doit en effet éviter une élévation de température trop importante qui peut entraîner des modifications des propriétés physico-chimiques de la matrice ou de la matière première. Pour être validé, le barème de traitement ne devra pas non plus impliquer une diminution des qualités organoleptiques et technologiques des vins et matières premières traités - d’où des recommandations techniques sur les modalités d’application du traitement.

L’arsenal des techniques alternatives de lutte contre les maladies cryptogamiques doit être renforcé.

La seconde tâche du projet sera de vérifier que le traitement photo-oxydatif n’entraine pas d’effets négatifs sur la physiologie des plantes : perte de vigueur, perte de production, diminution du taux de germination… L’activité photosynthétique des plantes, leur fertilité, leur rendement et leur résistance aux maladies et aux conditions climatiques devront être, a minima, égaux à ceux du témoin sain non traité. Un rapport présentera des recommandations sur les longueurs d’onde causant éventuellement de tels effets négatifs, qui pourront être éliminées du spectre utilisé par le traitement par l’utilisation de LED à spectre plus étroit.

Enfin, parce que la technique agit sur les maladies fongiques des cultures, elle devrait induire des modifications dans les communautés microbiennes présentes mais non pathologiques. La méconnaissance de ce dernier effet constitue actuellement un risque pour le développement de cette technologie ; en effet, la destruction totale du microbiote ou simplement un déséquilibre dans les populations microbiennes pourrait entraîner une recontamination précoce en raison du « vide » laissé dans des niches écologiques. La troisième tâche du projet est donc de préciser les effets du traitement sur le microbiote présent sur chaque type de matrice et tout lien éventuel avec des recontaminations précoces après traitement. Elle devra également repousser au maximum les recontaminations en utilisant des agents de bioprotection, afin de diminuer la fréquence des traitements.

L’efficacité de divers agents de biocontrôle associés au traitement photo-oxydatif sera également évaluée.

Les éventuels effets non intentionnels de la technologie, comme une moindre fonction germinative, seront évalués, ainsi que les conditions d’application limitant ces effets.

Des verrous technologiques à lever

Le projet EFFINOX doit définir les quantités d’énergie lumineuse qu’il faut délivrer par unité de surface à traiter afin d’atteindre une efficacité fongicide suffisante. L’objectif est d’obtenir des barèmes de traitement pour chaque pathogène, en évaluant l’efficacité de la technique sur chaque pathogène ciblé et en précisant les modalités d’application du traitement.

Côté technologie, EFFINOX devra définir les moyens physiques et géométriques pour délivrer cette quantité d’énergie voulue sur les surfaces à traiter, avec des problématiques différentes pour les semences et le vin (traitement en conditions contrôlées) et pour la vigne (application en plein champ). Des prototypes seront élaborés et évalués.

La photo-oxydation induite par une lumière bleue d’ultra-haute intensité est une solution prometteuse pour remplacer les fongicides.

Comme évoqué précédemment, le projet doit également investiguer l’existence ou non d’impacts négatifs de cette technologie, soit intrinsèques à celle-ci, soit en cas de dépassement des limites maximales de traitement. Différentes modalités (utilisation de flashs lumineux, rétrécissement du spectre lumineux utilisé, combinaison avec des agents de biocontrôle) seront évaluées pour leur capacité à diminuer ces effets non intentionnels.

L’institut Arvalis, qui apporte son expertise sur les maladies des semences des céréales ciblées par cette nouvelle technologie et dispose des équipements nécessaires au projet, est chargé des expérimentations sur les céréales à paille.

Au terme du projet, les fournisseurs de solutions lumineuses peu énergétiques et/ou les entreprises d’agroéquipements de la filière agricole et vitivinicole disposeront d’un cahier des charges afin de développer à grande échelle des équipements de traitements physiques répondant aux objectifs environnementaux et économiques de la transition agroécologique.

(1) Ces travaux ont fait l’objet d’un financement de la part des Carnot Qualiment et Plant2Pro, supportés par l’ANR (conventions n° 0026 01 et 0024 01), dans le cadre de leur appel à projets « Ressourcement scientifique » en 2021

Romain Valade - r.valade@arvalis.fr
Cédric Grangeteau - cedric.grangeteau@agrosupdijon.fr
Paloma Cabeza-Orcel - p.cabeza@perspectives-agricoles.com
Laurent Beney - l.beney@u-bourgogne.fr
Sébastien Dupont - sebastien.dupont@u-bourgogne.fr
Pierre Martini - pierre.martini@vignevin.com

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