Projet CropBooster-P : doubler le rendement des cultures d'ici 2050

Afin de pouvoir nourrir a minima sa population en 2050, l’Europe a lancé un projet ambitionnant d’augmenter très fortement sa productivité agricole tout en s’adaptant au changement climatique et en protégeant l’environnement et les consommateurs. La première tâche du projet a été d’inventorier les outils et connaissances déjà disponibles et les domaines à approfondir pour atteindre ce but.
Comment booster la productivité agricole européenne d'ici 2050?

En 2050, la planète devrait compter près de 9,6 milliards d'êtres humains. Pour nourrir les populations et les animaux d’élevage, la productivité agricole devrait gagner 110 % supplémentaires d'ici 2050, continuer à fournir les éléments nutritifs nécessaires et répondre à la demande croissante des consommateurs d’une production plus durable.

La nécessité d'accroître la productivité agricole ne se limite pas à la forte demande en denrées alimentaires et en aliments pour animaux. Un élargissement des utilisations alternatives des produits agricoles est également attendu - par exemple, comme la valorisation des matières premières pour la bioéconomie ou pour la production de biocarburants.

Cependant les prévisions actuelles estiment que les rendements n’augmenteront que de 40 à 70 % d'ici 2050 en l’absence de changement. Accroître la production végétale en augmentant l'allocation de terres à l'agriculture n'est, pour autant, pas souhaitable à plus d’un titre. Pour répondre durablement à nos besoins alimentaires futurs, il faut donc produire davantage de nourriture sur la même surface, en utilisant les ressources avec une efficacité accrue et de manière durable, tout en assurant la protection de l'environnement. Pour répondre à ces enjeux, les cultures actuelles et futures doivent faire l’objet de nouvelles recherches.

L’Europe en première ligne !

Heureusement, la communauté scientifique européenne a non seulement une compréhension approfondie des facteurs qui contrôlent le rendement et la qualité nutritionnelle des productions végétales, mais elle dispose aussi d'importants outils et ressources génétiques qui peuvent être davantage exploités. Par ailleurs, l’Union européenne promeut la collaboration internationale pour accélérer la transition vers des systèmes agroalimentaires durables, notamment au travers de ses programmes cadres pour la recherche et l'innovation : Horizon 2020 et, désormais, Horizon Europe pour la période 2021-2027.

Le projet européen CropBooster-P s’inscrit dans cette démarche. Il participe à l’élaboration d’un plan stratégique de recherche en vue de doubler le rendement des cultures d'ici 2050 avec le moins d'intrants possible, tout en garantissant la qualité nutritionnelle des aliments ; la réflexion porte sur les seules contraintes abiotiques (nutrition, eau, rayonnement…). Le projet s’appuie sur une équipe de travail représentant tous les acteurs de la chaîne alimentaire : universités et centres de recherche, instituts techniques agricoles, sélectionneurs, professionnels agricoles et transformateurs alimentaires ; il associe également des associations de citoyens.

Il doit aboutir à la publication, en 2022, d'un « livre blanc » - une feuille de route qui proposera une série d’actions de recherches réalistes à mettre en place dans les pays de l’Union afin de parvenir durablement à doubler le rendement des grandes cultures d’ici trente ans et à adapter nos cultures au futur climat de l'Europe.

Ce livre blanc ne se contentera pas de présenter un plan technique pour améliorer le rendement des cultures, mais constituera un tremplin vers une économie rurale renforcée, moteur d'une nouvelle bioéconomie alimentaire et non alimentaire.

Quatre scénarios pour adapter les priorités de recherche à la société de demain

Pour s’assurer de la pertinence de cette feuille de route, plus d’une trentaine de parties prenantes du projet issues de divers horizons (scientifiques, politiques et industriels, tous experts des fonctionnements et enjeux des systèmes alimentaires) ont été consultés pour dessiner des scénarios représentatifs des opportunités et des freins qu’offriront ou opposeront les sociétés européennes pour mettre en œuvre ces mesures. Elles ont abouti à quatre scénarios d’anticipation plausibles :

« Plantovation » Les solutions innovantes sont adoptées par la société, fournissant une alimentation stable et de haute qualité de façon durable ainsi que de grands volumes de matières premières pour une bioéconomie prospère.

« Votre alimentation. Votre santé. Votre choix » Les préoccupations en matière de santé et de durabilité incitent les entreprises agricoles et alimentaires à se diversifier et à faire preuve de transparence, en répondant aux besoins et aux préférences de chacun.

« Foodmergency » En raison d'une grave dégradation de l'environnement, l'Union européenne peine à satisfaire la demande alimentaire de base. En réponse à la crise, elle introduit un système agricole géré à l’échelle gouvernementale axé sur la technologie pour en atténuer les effets les plus néfastes.

« REJECTech » La société européenne rejette les nouvelles technologies de l'alimentation. L'agriculture s’y développe donc beaucoup plus lentement qu'à l'étranger, et des déséquilibres commerciaux apparaissent, suscitant un mécontentement général (choix alimentaire limité et prix élevés).

La réalité comportera probablement des aspects de chacun de ces quatre scénarios ainsi que certains imprévus. Mais ces scénarios offrent de nouvelles perspectives, rendent les résultats du projet plus cohérents et permettent d'adopter une attitude proactive face aux enjeux de demain (tableau 1).


Une vision panoramique sur l’état de la recherche

Un grand travail d’analyse de la bibliographie disponible sur les espèces végétales existantes a été réalisé sur la production tant terrestre que marine, afin d’identifier les cultures et les caractéristiques intrinsèques qui seront les plus adaptées aux besoins de demain.

Afin d'avoir une vision prospective, 68 experts de plusieurs pays ont identifié chacun 10 à 15 articles de leur domaine de recherche couvrant les gènes végétaux, les caractéristiques des cultures et les technologies les plus pertinents pour améliorer la productivité et la qualité des cultures. Ce recensement, couvrant plus de 800 articles scientifiques, a permis de constituer une base de données représentative de l’état d’avancement de la recherche dans le domaine (figure 1) et de définir les cultures prioritaires(1). Il s’agit des laminaires, Porphyra et Ulva (algues), du ray-grass et de la luzerne (fourrages), du blé tendre et du maïs, du soja et des pois, du tournesol et du colza, de la tomate et de la laitue, du peuplier et du Miscanthus, des pommes de terre et de la betterave sucrière, de l'arabette-des-dames (Arabidopsis) et du tabac (comme modèles de recherche), de la vigne et des fruits à pépins.

Les partenaires de CropBooster-P se sont appuyés sur ces résultats pour recenser plus de 14 000 publications internationales relatives à ces sujets parues ces cinq dernières années, dont un tiers proviennent de la recherche européenne.

Des modèles pour quantifier le potentiel des axes de recherche jugés prioritaires

Au cours de la première année du projet CropBooster-P, les principales composantes de la photosynthèse ont été modélisées. La simulation a démontré que même une faible amélioration de la photosynthèse peut accroître significativement le rendement des cultures en Europe, malgré les conséquences du changement climatique sur les températures. Les modèles prévoient qu’en améliorant même faiblement un seul trait photosynthétique, l'augmentation moyenne simulée du rendement du blé en Europe peut atteindre 35 % selon les prévisions climatiques futures - une augmentation à peu près similaire de l'Europe occidentale à l'Europe centrale et septentrionale.

L’exercice de modélisation n’a toutefois pas pris en compte l'efficacité maximale potentielle de la photosynthèse, aussi les gains de rendement attendus pourraient-ils être beaucoup plus importants.µ

Ces résultats présentent cependant certaines limites car les modèles de l’efficience photosynthétique utilisés ici sont encore statiques. De plus, ils devront être confirmés par des mesures sur des plantes cultivées en plein champ et prendre en compte les autres aspects des itinéraires culturaux, afin de s'assurer que les modifications de traits identifiées entraînent bien une progression de la production en conditions réelles. À l'avenir, les modèles dynamiques devraient non seulement inclure et mettre à jour en temps réel les tendances liées au changement climatique, mais aussi les variations d'une année sur l'autre, les événements extrêmes (vagues de chaleur, gelées tardives...) et les facteurs environnementaux, tels que le degré de luminosité, qui influencent la photosynthèse et donc le rendement. L'architecture de la couverture végétale pourrait également être intégrée à des approches basées sur un modèle plus précis, simulant plus exactement le rayonnement sur la plante sous différents angles solaires et conditions météorologiques.

Ces analyses préliminaires ont démontré qu'il existe un fort potentiel pour augmenter le rendement des cultures en améliorant les caractéristiques intrinsèques des plantes. À l'avenir, il est essentiel de poursuivre le développement de modèles prenant mieux en compte les multiples contraintes telles que la disponibilité des nutriments, la variabilité génétique, les processus physiologiques et les réponses adaptatives des cultures aux stress, ainsi que leurs interdépendances. Cela permettrait d'identifier et de sélectionner les traits génétiques les plus pertinents à combiner pour préparer l'avenir de nos cultures.

Des voies de progrès qui rassemblent

Si les grands axes de recherches ont été identifiés et leurs pertinences validées par les experts scientifiques, encore faut-il évaluer leur acceptabilité par les différents acteurs de la filière agro-alimentaire et leurs impacts sur la chaîne de valeur. Pour cela, un dispositif participatif a été mis en place.

Près de quarante parties prenantes (agriculteurs, agronomes, sélectionneurs, représentants de la chaîne d’approvisionnement, industriels, experts environnementaux, décideurs politiques, ONG et représentants des consommateurs) ont été consultées pour définir les priorités de demain et donner leur avis sur les impacts économiques, sociaux et environnementaux de l’adoption de ces stratégies au niveau européen.

« Le défi est de parvenir à une forte croissance de la production végétale malgré le changement climatique et la diversité des systèmes agricoles européens. »

Ces réflexions ont été complétées par un sondage autour de cette problématique, diffusé plus largement auprès des acteurs du système agroalimentaire et de la bioéconomie. L’analyse des plus de 300 réponses reçues est toujours en cours, mais certaines priorités ont déjà recueilli un large consensus comme le changement de la période de croissance des plantes (par étalement des précocités), l’augmentation de la qualité des protéines ou encore l’amélioration de la tolérance à la chaleur.

La prochaine étape consistera à réaliser une recherche bibliographique approfondie des impacts économiques, sociaux et environnementaux rattachés à ces stratégies.

Vers un programme européen ambitieux et prometteur

L’objectif final du projet CropBooster-P reste la proposition d’un livre blanc posant les bases d’un programme de recherche en sciences végétales plus complexe que tous ceux entrepris jusqu'à présent en Europe. Un modèle d'organisation et de gestion pour le programme sera développé pour qu’il soit utile et flexible, et qu’il tienne compte des différences culturelles au sein de l'Union européenne en matière de réglementation.

Arvalis, en tant que partenaire du projet, a pris part au recensement des connaissances et à l'organisation des dispositifs consultatifs, et a mobilisé les acteurs de la filière française des grandes cultures pour établir les priorités de demain. L’Institut prend également part au développement du programme propositionnel avec l’ensemble des partenaires pour être prêt à relever les défis futurs.

(1) L’ensemble des cultures sélectionnées pour le projet est listé sur http://arvalis.info/24w

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