Productivité du blé tendre d’hiver : un projet pour améliorer la stabilité des variétés

Les nouvelles pratiques agricoles, moins consommatrices d’énergies et d’intrants chimiques, ainsi que le réchauffement climatique accroissent la variabilité interannuelle de la production de blé. Accepté en août, le projet STABLE vise à proposer des méthodes et outils pour évaluer la capacité des variétés de blé tendre d’hiver à stabiliser cette production, en pur comme en mélange.
Trouver des variétés à la productivité plus stable

Globalement peu satisfaisante, la campagne céréalière 2020 reflète la variabilité croissante des productions de blé : d’une région à l’autre, voire d’une parcelle à l’autre, les rendements catastrophiques ont côtoyé des records de productivité. Plus fréquents, les extrêmes climatiques sont un facteur majeur de cette variabilité, en contrariant la conduite des cultures et en imposant à celle-ci d’importants stress biotiques (maladies, ravageurs…) et abiotiques (sécheresses prolongées, pluies ou chaleurs excessives) localement très différents.

Par ailleurs, l’agriculture doit s’adapter à une nouvelle évolution où les objectifs de productivité sont bousculés par la nécessité de mieux intégrer la durabilité des systèmes de production. De nouvelles pratiques agricoles se développent, mais elles diminuent les capacités de contrôle direct de l’environnement. De ce fait, les contraintes biotiques et abiotiques locales deviennent, là encore, prégnantes et accroissent la variabilité interannuelle des conditions climatiques et des stress subis.

Dans ce contexte, le choix variétal est un levier d’adaptation à la diversité des milieux et de stabilisation interannuelle de la production. Or si les variétés sont généralement bien caractérisées pour leurs performances moyennes dans différents réseaux d’essais, elles le sont peu pour leur stabilité, alors que la variabilité interannuelle (non prédictible) avant semis peut être extrêmement forte (figure 1). Évaluer les variétés pour leur capacité à stabiliser la production apparait donc indispensable : c’est l’objectif du nouveau projet STABLE (évaluer la STAbilité de variétés de BLE tendre d’hiver cultivées en pur et en mélange) qui débutera officiellement en janvier 2021 pour une durée de 40 mois.

Évaluer la stabilité des variétés est complexe

Pour évaluer la stabilité des variétés sur leurs réseaux d'essais, les sélectionneurs et évaluateurs utilisent plusieurs approches. Les deux plus connues étudient la stabilité dite « statique » et la stabilité dite « dynamique ». Une variété stable au sens statique est une variété dont les performances varient peu d’un environnement à l’autre. Mais ces variétés, qui limitent les pertes dans les environnements difficiles, sont aussi souvent moins productives dans les environnements plus favorables.

Une variété stable au sens dynamique est une variété dont l’écart de performances par rapport aux autres variétés testées est stable d’un environnement à l’autre. Ces variétés, lorsqu’elles sont performantes, sont généralement meilleures que la moyenne sur une large gamme d’environnements et sont donc recherchées en sélection. Cependant, elles ne limitent pas les pertes de rendement dans les environnements peu productifs - un élément important pour un agriculteur qui recherche une production stable d’une année sur l’autre tout en minimisant les risques d’accidents.

Les indicateurs proposés pour estimer ces deux formes de stabilité sont généralement peu corrélés, ce qui indique que la stabilité des variétés dépend de la façon dont on la définit et dont on l’évalue. Or, la stabilité telle que perçue par les agriculteurs, et sa confrontation aux indicateurs utilisés par les sélectionneurs et évaluateurs, ont été peu étudiées jusqu’à maintenant. Le projet STABLE propose de clarifier ce concept de stabilité avec et pour les agriculteurs pour différentes variables d’intérêt (rendement, teneur en protéines, qualité de panification…), sur la base d’enquêtes. Il évaluera la pertinence des indicateurs utilisés en évaluation variétale pour estimer cette stabilité et, le cas échéant, en proposera de nouveaux plus adaptés aux besoins des agriculteurs.

Des méthodes de prédiction sont encore à développer

La stabilité des variétés est fortement dépendante de la nature et de la variabilité des stress qui s’expriment, et donc du réseau d’essais dans lequel elle est estimée. Par ailleurs, les agriculteurs s’intéressent moins à la stabilité « absolue » des variétés qu’à leur stabilité dans une gamme d’environnements correspondant à ceux qu’ils sont susceptibles de rencontrer d’une année sur l’autre.

Des avancées importantes ont été réalisées sur la caractérisation des environnements d’essais avec les projets CASDAR SSV Carabiot et Caravage. Il est ainsi possible de modéliser, et donc de prédire les variations de rendement dans les réseaux d’essais, mais avec une qualité encore modeste à l’échelle d’un environnement.

Le projet STABLE poursuivra ce travail de modélisation pour prédire la stabilité de variétés sur des gammes d'environnements variées à partir de résultats obtenus sur des réseaux d’essais classiques (encadré).

De nouveaux outils méthodologiques pour des données « déséquilibrées »Les essais variétaux, aussi nombreux soient-il, ils ne permettent pas de tester tous les mélanges de variétés qu’une gamme limitée d’environnements et de pratiques culturales, alors que les agriculteurs conduisent leur blé tendre en pur ou en mélange de variétés dans une grande diversité d’environnements et de pratiques.
Le projet STABLE construira un système d’évaluation participatif des variétés basé sur des données acquises chez et par des agriculteurs et élaborera des outils collaboratifs pour caractériser les situations de production et recueillir les performances observées. Il sera également nécessaire de développer des modèles d’analyse adaptés à ces données par nature « déséquilibrées » (chaque variété ou mélange n’étant présent que dans un nombre limité d’environnements).
En outre, il examinera les données de réseaux d’essais d’inscription afin de déterminer si les règles actuelles d’inscription éliminent des variétés intéressantes pour la stabilité des portefeuilles et des mélanges de variétés. Ces travaux aboutiront à des recommandations sur la structuration des réseaux d’essais variétaux, sur les mesures à réaliser dans les différents essais et sur les règles d'inscription des variétés.

Réfléchir à l’échelle de plusieurs variétés

Les agriculteurs cultivent souvent plusieurs variétés sur leur exploitation afin de stabiliser leur production, et c’est à cette échelle qu’ils jugent cette stabilité. Le niveau de stabilité atteint dépend fortement du portefeuille de variétés choisi.Une étude préliminaire, menée dans le cadre du groupement d’intérêt scientifique GCHP2E(1) sur dix-neuf environnements répartis sur deux ans et vingt-deux variétés, a montré que la stabilité dynamique des portefeuilles de trois variétés dépendait davantage de la complémentarité des variétés que de leur stabilité individuelle.

Ce résultat doit être confirmé sur plus d’environnements et de variétés, mais il démontre la nécessité d’évaluer la complémentarité des variétés face à des profils de stress variés. Cela pose toutefois des problèmes méthodologiques importants, l’ensemble des variétés proposées aux agriculteurs ne pouvant généralement pas être testées sur les mêmes essais.

La diversification des variétés peut aussi se faire à l’échelle parcellaire. Mélanger des variétés dans une parcelle est facile à mettre en œuvre car cela ne nécessite pas de bouleversement organisationnel ni d’investissements supplémentaires pour l’agriculteur. Cette pratique s’est beaucoup développée ces dernières années : occupant moins de 1 % des surfaces en blé tendre en 2010, les mélanges en occupaient 4,8 % en 2017, 8,3 % en 2018, 11,9 % en 2019 et 12 % en 2020 (d’après France Agrimer). Ce développement rapide nécessite de juger les variétés aussi pour leur aptitude au mélange.

Tout comme un portefeuille de variétés cultivées en pur sur des parcelles différentes de l’exploitation, la diversification variétale offerte par le mélange contribue à une meilleure stabilité de la production par une probabilité accrue de trouver, parmi les variétés utilisées, des variétés mieux adaptées aux conditions de l’année et à même de compenser les contre-performances des autres.

Le projet STABLE propose donc de construire des modèles prédisant la complémentarité des variétés à partir de descripteurs des environnements et des variétés dans différents réseaux d’essais. Il cherchera également à identifier les caractéristiques morphologiques et phénologiques des variétés qu’il est possible d’associer pour assurer la stabilité de la production tant quantitative que qualitative d’un mélange. L’impact de la pratique des mélanges sur la qualité de panification et sa stabilité sera également estimé sur la base de notes de panification existantes et à réaliser au cours du projet sur des mélanges variétaux et leurs variétés en pur.

(1) Le GCHP2E est un groupement d’intérêt scientifique au sein duquel sont menées des études sur les grandes cultures à hautes performances économiques et environnementales. Plus d’informations sur https://www.gchp2e.fr

0 commentaire

Réagissez !

Merci de vous connecter pour commenter cet article.

Se connecter
Ou connectez-vous avec
Pas encore inscrit ?
Créer un compte
Mot de passe oublié

Un email vous sera envoyé pour réinitialiser votre mot de passe.