Politiques agricoles : Le Green Deal va conditionner l’avenir de l’agriculture française

La stratégie européenne de croissance verte (Green Deal) va impacter l’agriculture française et, notamment, les productions végétales. Ses stratégies « De la ferme à la table » et « Biodiversité à l’horizon 2030 » illustrent la montée en puissance des préoccupations environnementales et climatiques au sein des politiques publiques.
La nouvelle donne "croissance verte" de l'UE.

La nouvelle stratégie européenne de croissance verte pour 2030 et 2050 (Pacte Vert pour l’Europe ou Green Deal) et la réforme de la Politique Agricole Commune (PAC) pour 2021-2027, placent actuellement le secteur agricole au cœur des débats politiques et sociaux européens. Il est encore trop tôt pour savoir comment le Green Deal et ses objectifs seront déclinés au travers de la PAC et du Plan Stratégique National (PSN) de chaque état-membre. Difficile donc de connaître leurs impacts concrets sur l’agriculture française. Mais, cette nouvelle feuille de route européenne conditionnera l’évolution du secteur agricole français dans les prochaines années, voire les prochaines décennies.

Lancé le 11 décembre 2019 par la Commission européenne (CE), sous la présidence d’Ursula Von Der Leyen, le Green Deal ambitionne de faire de l’Europe le premier continent neutre en émissions de gaz à effet de serre (EGES) d’ici 2050. Il prévoit un objectif intermédiaire d’une baisse de 50 à 60 % des EGES en 2030 par rapport à 1990. L’agriculture de l’Union européenne (UE), qui fait figure d’exemple dans le monde, a réduit de 20 % ses EGES depuis 1990(). L’ambition climatique affichée se décline en différents objectifs environnementaux, sanitaires et sociaux. Ils visent à protéger à la fois le patrimoine naturel et les citoyens. L’UE souhaite aussi entraîner ses partenaires commerciaux dans une démarche similaire afin de limiter les distorsions de concurrence entre produits importés et produits européens.

Le Green Deal : feuille de route vers la neutralité carbone

Le Green Deal s’apparente à une feuille de route : la CE veut que l’ensemble des politiques et programmes européens s’orientent vers les mêmes objectifs environnementaux et climatiques. Les dispositifs antérieurs au Green Deal, qu’il s’agisse de politiques, de programmes, d’appels à projets ou autres, sont révisés afin d’entrer en adéquation avec cette nouvelle stratégie. La CE a prévu de consacrer 1 000 milliards d’euros aux thématiques climatiques et environnementales d’ici 2030. Ce budget alimentera différents dispositifs qui devront décliner concrètement la feuille de route. Il sera pour moitié alimenté par le budget européen. S’y ajouteront le cofinancement des états-membres ainsi que des investissements publics et privés. Ces derniers devraient être encouragés grâce à des leviers financiers.

L’agriculture est concernée par plusieurs des huit secteurs identifiés par la CE pour atteindre les objectifs environnementaux et la neutralité carbone : le climat, l’énergie, le secteur industriel et l’économie circulaire, la construction et la rénovation, la mobilité, le système alimentaire, la biodiversité, la pollution. Chacun d’entre eux va faire l’objet d’une stratégie opérationnelle qui spécifiera non seulement les objectifs et les progrès attendus mais aussi les moyens à mettre en œuvre (lois, politiques, programmes, plans d’actions…).

Garant de la qualité sanitaire des produits alimentaires mais aussi responsable de 10,3 % des EGES de l’UE(1), le secteur agricole est particulièrement concerné par deux stratégies opérationnelles, étroitement liées, lancées le 20 mai 2020 : « De la ferme à la table » (Farm-to-Fork) pour la thématique « Systèmes alimentaires » ; et « Stratégie en faveur de la biodiversité à l’horizon 2030 » pour la thématique « Biodiversité ». La « Biodiversité à l’horizon 2030 » traite des questions agricoles sous le prisme de la protection et de la restauration de la nature. « De la ferme à la table » aborde la filière alimentaire dans son ensemble, des agriculteurs aux consommateurs.

Lutter contre les EGES et favoriser la biodiversité

Le volet « EGES » est essentiellement développé dans cette dernière. Pour que la filière alimentaire réduise drastiquement ses EGES, « De la ferme à la table » envisage notamment de « récompenser » les pratiques agricoles qui participent à l’élimination du CO2 dans l’atmosphère et contribuent donc à l’objectif européen de neutralité carbone. Ces pratiques pourraient être encouragées par la PAC, par des projets publics comme le marché du carbone ou par des projets privés. Elles constitueraient alors une nouvelle source de revenus pour les agriculteurs. Il est notamment prévu que la Commission élabore « un cadre règlementaire pour la certification des absorptions de carbone » qui se baserait sur une « comptabilité carbone solide ».

Cette stratégie souhaite aussi stimuler le développement des énergies renouvelables (panneaux solaires, méthanisation…) dans les secteurs de l’agriculture comme de l’alimentation.

Le volet « Biodiversité » est abordé par les deux stratégies mais sous des angles différents. La réduction de l’utilisation des intrants chimiques porte des enjeux climatiques (réduction des EGES directes et indirectes), de biodiversité (restauration de la vie dans les sols, l’air et l’eau) et de santé publique (consommations humaine et animale). Cet objectif est donc à la croisée de la restauration de la biodiversité (volet 2 de la stratégie « Biodiversité à l’horizon 2030 ») et de la construction d’une filière alimentaire durable (principal volet de la stratégie « De la ferme à la table »).

"Le risque lié à l’utilisation de pesticides a déjà baissé de 20 % en cinq ans d’après une enquête de la CE."

Dans ses objectifs principaux, la CE envisage de diminuer de 50 % l’utilisation et le risque global des pesticides chimiques d’ici 2030. Cette réduction de moitié doit notamment porter sur les pesticides les plus dangereux à cette date. La rotation des cultures et le désherbage mécanique sont évoqués comme lutte de substitution. Le risque lié à l’utilisation de pesticides a déjà baissé de 20 % en cinq ans d’après une enquête de la CE.

L’usage des engrais devra également décroitre d’au moins 20 % d’ici 2030. Il s’agira de diminuer d’au moins 50 % les pertes de nutriments dans la nature pour lutter contre les pollutions et la perte de biodiversité. La Commission indique que cet objectif devra être atteint sans dégradation de la fertilité des sols. Un plan d’action européen pour la gestion intégrée des nutriments devrait être rédigé en 2022 par la CE et les états-membres.

Vers 25 % de surfaces en bio

La stratégie « De la ferme à la table » vise le développement de l’agriculture biologique avec un objectif chiffré : 25 % des terres de l’UE cultivées en AB d’ici 2030. Les discussions sont toujours en cours pour définir le champ de cette application. Cette proportion est actuellement de 7,5 %, avec des disparités fortes entre Etats-membres. La France (7 %) est par exemple loin derrière l’Autriche (24 % environ)(2). L’AB est mentionnée également pour la qualité sanitaire des produits, l’augmentation de la valeur ajoutée et du nombre d’emplois à l’hectare (de 10 à 20 %) par rapport à l’agriculture conventionnelle(3). Un plan d’action pour l’AB devrait être rédigé prochainement.

Dans son premier volet, la stratégie « Biodiversité à l’horizon 2030 » mentionne certaines mesures de protection de la nature : 30 % de la superficie terrestre de l’UE devrait être protégée d’ici 2030, soit une hausse de 4 points par rapport à aujourd’hui. De surcroit, un tiers de ces surfaces devra faire l’objet d’une protection stricte, comme les forêts primaires.

"Les mesures de protection et de restauration de la nature impacteront aussi le secteur agricole."

Son second volet est consacré à la restauration de la biodiversité. La CE indique que 10 % de la surface agricole devra consister en des particularités topographiques à haute diversité biologique, telles que « les bandes tampons, la mise en gel de surfaces en rotation culturale ou non, les haies, les arbres non-productifs, les murs en pierre ou encore les mares ». Elles doivent séquestrer du carbone, limiter l’érosion et la dégradation des sols, filtrer l’air et l’eau, soutenir l’adaptation au changement climatique.

Cette stratégie formule d’autres mesures comme l’adoption de pratiques durables en gestion des sols (protection de la fertilité des sols, réduction de l’érosion, augmentation de la teneur organique des sols). Elle envisage l'élimination progressive d'ici 2030 des biocarburants qui présentent un risque élevé de changement d'utilisation des terres. .

Des mesures sur l’aval de la filière alimentaire influenceront indirectement le secteur agricole. Dans sa stratégie « De la ferme à la table », la CE souhaite par exemple renforcer la position des agriculteurs, des coopératives et des organisations de producteurs dans la chaîne d’approvisionnement. Elle veut mettre en place un « code de conduite de l’UE pour des pratiques entrepreneuriales et commerciales responsables » qui aura notamment pour objectif de garantir que « les campagnes de prix des denrées alimentaires ne sapent pas la perception qu’ont les citoyens de la valeur de ces denrées ». De plus, le cadre législatif relatif aux indications géographiques pourra être renforcé en ajoutant des critères de durabilité.

Enfin, l’UE souhaite agir sur les régimes alimentaires pour les rendre sains et durables, avec plus de fruits et de légumes, moins de viandes rouges et de produits transformées. Messages pédagogiques, incitations fiscales (par exemple, TVA avantageuse pour les fruits et légumes biologiques) et informations sur les denrées (étiquetage) seront mobilisés pour encourager la consommation de produits agricoles durables au sein des institutions publiques et de la sphère privée.

La PAC sera l’outil principal de mise en œuvre

Les stratégies « De la ferme à la table » et « Biodiversité à l’horizon 2030 » doivent à leur tour être rendues opérationnelles. La CE dispose de différents instruments politiques pour mettre en œuvre leurs volets agricoles. Parmi ceux-ci figurent la PAC, dont les négociations débutées en juin 2018 pour la réforme 2021-2027 sont toujours en cours, et les Plans Stratégiques Nationaux (PSN). 40 % du budget de la PAC serait fléché sur les enjeux climatiques et 30 % à 35 % de celui du second pilier devrait être consacré aux objectifs environnementaux et climatiques.

Les textes de la CE précisent que « la Commission veillera à ce que les plans stratégiques relevant de la PAC soient évalués sur la base de critères solides en matière de climat et d’environnement, et à ce que les États-membres établissent des valeurs nationales explicites pour les objectifs fixés dans la présente stratégie, ainsi que dans la stratégie « De la ferme à la table ». La Commission formulera également des recommandations à chaque État-membre sur les neuf objectifs spécifiques de la PAC avant qu’ils ne présentent officiellement leurs projets de Plans Stratégiques ». Elle envoie déjà des signaux forts aux États-membres pour que leurs plans encouragent « des pratiques durables telles que l’agriculture de précision, l’agriculture biologique, l’agroécologie, l’agroforesterie ou les prairies permanentes à faible intensité ». Les PSN devraient également « accorder la priorité » à des investissements de production d’énergies renouvelables (méthanisation…).

La PAC est donc bien l’un des instruments de diffusion des objectifs du Green Deal et de mise en œuvre des stratégies qui en découlent. Le contenu du PSN français sera donc « encadré » à la fois par le texte européen de la PAC 2021-2027 et par la nouvelle stratégie de croissance verte européenne.

(1) Agence européenne pour l’environnement, « Inventaire annuel 1990-2017 des gaz à effet de serre de l’Union européenne » et « Rapport d’inventaire 2019 », 2019.

(2) https://www.touteleurope.eu/actualite/l-agriculture-biologique-en-europe.html

(3) OCDE (2016), Farm Management Practices to Foster Green Growth.

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