Plateformes expérimentales Syppre : la transition agroécologique reste coûteuse

Les cinq plateformes expérimentales de l’action Syppre élaborent des systèmes de culture conciliant les objectifs locaux des agriculteurs et les enjeux globaux auxquels le monde agricole est confronté. Après cinq années d’expérimentation, rares sont les systèmes qui atteignent cette multiperformance mais de nombreux enseignements peuvent déjà être
Bilan de 5 ans de recherche de systèmes de culture multiperformants

Mises en place par Arvalis, l’Institut technique de la betterave et Terres Inovia pour au moins dix ans, les plateformes expérimentales Syppre1 mettent à l’épreuve du terrain des systèmes de grandes cultures innovants, en rupture avec les pratiques régionales, qui veulent traiter les enjeux nationaux et locaux prioritaires sur ces territoires (tableau 1).

PLATEFORMES SYPPRE : expérimenter des systèmes en rupture

De nombreux leviers agronomiques sont combinés à l’échelle du système de culture : choix des espèces, introduction de couverts, cultures intermédiaires à valorisation énergétique (CIVEs) ou dérobées, réduction du travail du sol, introduction de désherbage mécanique, etc.

Au côté de ces systèmes innovants sont conduits des systèmes témoins dont les rotations sont représentatives des systèmes locaux, pilotés de façon optimisée par l’application de techniques validées et maîtrisées.

Atteindre la multiperformance reste un défi

Après seulement cinq ans d'expérimentation analysés (de 2017 à 2021 inclus), rares sont les systèmes qui concilient productivité, rentabilité, faible usage des intrants, moindres impacts environnementaux et résolution des problématiques locales. Ce résultat n'est pas étonnant si l'on considère l'ampleur du défi. Toutefois de nombreux enseignements peuvent déjà être tirés sur les stratégies qui fonctionnent ou qui, au contraire, se sont avérées non pertinentes.

Face à certains enjeux agronomiques forts, les systèmes innovants apportent des améliorations notables. C’est le cas de la plateforme du Lauragais, dont les sols de coteaux sont très sensibles à l’érosion : une forte couverture du sol (presque 90 % de la durée de la rotation avec un couvert, contre 52 % dans le système témoin) combinée à un travail du sol moins profond ont amélioré significativement la structure du sol et réduit l’impact des phénomènes érosifs. En revanche, en cherchant simultanément à réduire l’usage des produits phytosanitaires et, notamment, à ne pas recourir au glyphosate, la maîtrise de certaines adventices comme le ray-grass s’avère plus problématique que dans le système témoin.

La plateforme du Berry était très concernée par la problématique locale de maîtrise des vulpins. L’allongement et la diversification des cultures de la rotation (notamment l’introduction de cultures de printemps) et une stratégie de travail du sol spécifique (semis direct en intercultures courtes, faux-semis en interculture mi-longue, couverture du sol en interculture longue) portent leurs fruits : la maîtrise des adventices est améliorée.

En Champagne, la volonté de réduire conjointement l’utilisation de produits phytosanitaires et le travail du sol, sans glyphosate, pose quelques difficultés, notamment sur l’itinéraire technique betteravier. L’emploi conjoint d’un strip-till (combiné au semoir) et d’une rampe de localisation des interventions phytosanitaires semble peu compatible à ce stade : le travail du sol superficiel réalisé en sortie d’hiver pour gérer les adventices conduit à une structure meuble, dans laquelle le strip-till forme des buttes de terre ; le guidage de la bineuse et de la rampe de localisation est alors compliqué, voire impossible.

Des gains sur les performances techniques et environnementales

Globalement, les performances environnementales et d’usage des intrants des systèmes innovants sont fortement améliorées sur les cinq plateformes (tableau 2). Une forte diminution de la consommation en énergie et des émissions de gaz à effet de serre (GES) est constatée sur la majorité des systèmes innovants.

MULTIPERFORMANCE : hormis dans le Béarn, la rentabilité reste un point noir

Cela s’explique notamment par l’introduction de légumineuses ou de cultures moins exigeantes en intrants, ce qui réduit mécaniquement la quantité d'azote minéral apportée à l’échelle de la rotation ; de plus, l’introduction de couverts permet de réduire les doses d’azote à apporter aux cultures suivantes grâce à leur effet fertilisant. Dans ces systèmes de grandes cultures sans irrigation, l’azote minéral est, en effet, le principal poste de consommation d’énergie et d’émissions de GES, indirectes (fabrication des engrais) ou directes (épandage, pour les GES).

Les deux autres indicateurs étudiés, l’indice de fréquence de traitement phytosanitaire (IFT) et le stock de matière organique du sol à 30 ans, sont généralement améliorés. Dans le Lauragais, on estime que ce stock augmenterait de près de 11 % après 30 ans.

Toutefois, quelques systèmes affichent des contre-performances. Ainsi, dans le Berry, les résultats de modélisation estiment à 5 % la baisse du stock de matière organique par rapport au système témoin colza-blé tendre-orge : le système innovant a introduit des cultures qui restituent moins de carbone au sol que le colza et les céréales à paille et que l’introduction de couverts ne compense pas. Dans le système I1 du Béarn comme dans le Lauragais, l’IFT des systèmes innovants est plus élevé que celui des témoins. Le maïs et le tournesol sont en effet des cultures à faible IFT. Bien que permettant d’allonger les délais de retour des cultures, l’introduction de nouvelles cultures à plus fort IFT n’abaisse pas suffisamment la pression biotique pour permettre un maintien ou une baisse des IFT à l’échelle de la rotation.

La productivité et la rentabilité sont impactées

À l’exception du système innovant T3 dans le Béarn, la productivité et la rentabilité des systèmes innovants sont bien en-deçà de leurs systèmes témoins (tableau 2), car les nouvelles cultures introduites sont généralement moins productives. C’est, par exemple, le cas de la plateforme picarde sur laquelle la sole de betterave et de pomme de terre représente un tiers des surfaces du système témoin et seulement 2/9e dans le système innovant.

Par ailleurs, pour une même culture, les rendements obtenus dans le système innovant sont parfois plus faibles du fait d’une moins bonne maîtrise de nouvelles techniques culturales, même prometteuses. Ainsi, toujours en Picardie, l’implantation de la pomme de terre et de la betterave en travail réduit du sol dans le système innovant (afin de limiter les risques de tassement et de battance) a conduit à plusieurs échecs en début d’expérimentation. Mais la maîtrise technique de ces nouvelles pratiques s’affine peu à peu. Ainsi, depuis deux ans, la plateforme réussit très bien l'implantation des pommes de terre grâce à la technique de prébuttage d’automne : un couvert est implanté à l’automne et prébutté ; il « travaille » la terre durant l’hiver puis est détruit avant l’implantation des pommes de terre. Celles-ci sont plantées au printemps sur la ligne de présence des couverts (photo).

En Picardie, pour éviter un travail du sol tardif durant l’automne ou l’hiver, l’implantation des pommes de terre se fait maintenant après un prébuttage d’automne.

Dans le contexte économique des années 2017 à 2021, la rentabilité des systèmes innovants est directement impactée par la présence d'espèces de diversification moins compétitives économiquement. Même dans les systèmes dans lesquels il y a eu une forte baisse des intrants azotés et phytosanitaires (exemple dans le Berry ou en Picardie), la baisse des charges est insuffisante pour compenser la perte de produit brut.

Le système innovant T3 conduit dans le Béarn est celui qui, aujourd’hui, s’approche le plus des indicateurs de multiperformance visés. Dans ce contexte pédoclimatique spécifique (sols profonds, très riches en matière organique, conditions de pluviométrie et de température élevées), la rotation courte « 3 cultures en 2 ans » (un soja la première année, et une CIVE d’hiver constituée d'avoine récoltée immature en plus du maïs la seconde année) dégage des performances intéressantes mais au prix de contraintes organisationnelles supplémentaires.

Légumineuse à faible IFT et à rentabilité élevée dans le Sud-Ouest, le soja contribue positivement à la majorité des indicateurs de multiperformance. Sa moindre productivité comparée au maïs est compensée par la productivité supplémentaire amenée par la CIVE précédant le maïs ; celle-ci est valorisée grâce à la proximité d’un méthaniseur – condition nécessaire à sa valorisation économique.

Dans ce système, en revanche, l’introduction d’une CIVE et d’un couvert entraine une augmentation du nombre d’interventions culturales, notamment en avril-mai, rendant plus difficile l’organisation des chantiers et incertain le nombre de jours disponibles pour les réaliser. Le temps de travail est ainsi accru : + 27 % temps de traction par rapport au système de référence.

Un juste équilibre à trouver

Ces résultats montrent que si les systèmes témoins à rotations courtes présentent généralement des limites agronomiques (comme ceux du Berry et du Lauragais), à l'inverse, les systèmes trop diversifiés, qui intègrent des espèces moins adaptées au contexte de production, « diluent » les performances des cultures historiques et réduisent la robustesse climatique - et donc économique - du système. C’est ainsi le cas des systèmes innovants du Berry, de Picardie et de Champagne.

L'enjeu est donc, dans chaque contexte, de trouver un équilibre et d’insérer des cultures de diversification les plus adaptées possibles au contexte afin de bénéficier de leur intérêt agronomique sans trop altérer les performances des cultures historiques. L’introduction de légumineuses est souvent une stratégie prometteuse dans la recherche de la multiperformance, parce qu’elles réduisent l'utilisation d'engrais azotés, la consommation d'énergie et les émissions de gaz à effet de serre ; certaines légumineuses altèrent la productivité et les performances économiques, d’autres non.

La situation de production a un effet majeur sur les performances des systèmes de culture. Dans les terres humifères du Béarn, l’un des systèmes de culture innovant expérimenté atteint les objectifs prioritaires de performance de Syppre.

Ces résultats contrastés démontrent aussi l’importance de ne pas tirer de conclusions générales sur les profils de performances des systèmes agroécologiques. Certains systèmes innovants stockent davantage de matière organique dans les sols ; certains réduisent fortement l’IFT ; et un système innovant sur les six expérimentés peut être considéré comme multiperformant - mais dans un contexte pédoclimatique très particulier. La situation locale de production a un effet majeur sur les performances obtenues.

D’autre part, d’une année à l’autre, les performances des systèmes innovants comme des témoins sont très variables. Pour le moment, l’analyse réalisée sur ces cinq premières années ne met pas en évidence l’effet de l’amélioration progressive des performances des systèmes innovants, comparé aux systèmes témoins techniquement bien maîtrisés. Il est donc nécessaire de poursuivre la mise au point de ces systèmes innovants, en affinant certaines techniques (à l’image du pré-buttage en pommes de terre, en Picardie) et certaines séquences de cultures (à l’image du travail de reconception ayant eu lieu sur la plateforme Berry2), afin d’atteindre davantage la multiperformance recherchée.

(1) Pour en savoir plus, consulter leur site internet https://syppre.fr. Il est possible de visionner les replays des six webinaires organisés entre novembre 2022 et avril 2023.

(2) Cette reconception a été présentée dans l’article « Systèmes plus robustes en sols superficiels : les pistes de Syppre-Berry » du n°505 de Perspectives Agricoles (décembre 2022).

Anne-Laure de Cordoue - al.decordoue@arvalis.fr
Stéphane Cadoux - s.cadoux@terresinovia.fr
Clotilde Rouillon - c.rouillon@arvalis.fr
Paul Tauvel - p.tauvel@itbfr.org
Loïc Viguier - l.viguier@arvalis.fr

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