Sécrétion nectarifère du tournesol : quel est l’effet de l’environnement et des variétés ?

La production française de miel de tournesol diminue depuis les années 1990. Les différents facteurs susceptibles d’affecter la nectarification de cette culture ont été étudiés à partir de mesures pluriannuelles.
Les tournesols nourrissent-ils moins bien les abeilles ?

Il est important d’étudier la sécrétion nectarifère des plantes entomophiles, c’est-à-dire pollinisées par les insectes, car plus une culture sécrète de nectar floral, plus elle est visitée par les insectes pollinisateurs. C’est le cas du tournesol de consommation, pour lequel il faut la visite, en moyenne, d’une abeille pour cinq capitules pour atteindre le potentiel maximum de rendement. Ces cultures doivent donc être suffisamment attractives pour attirer assez d’insectes afin que les rendements ne soient pas limités par un déficit de pollinisation.

Les nouvelles variétés de tournesol ne sont pas particulièrement moins nectarifères que celles des années 1980-1990.

Cultivé pour la production d’huile alimentaire ou de diester, le tournesol est aussi très recherché par les apiculteurs comme plante mellifère. Différents facteurs sont avancés pour expliquer la tendance à la baisse de production de miel de tournesol observée en France depuis trente ans : une baisse des surfaces en tournesol, qui ont été divisées par près de deux entre les années 1980-1990 et 2000, des conditions climatiques défavorables à la nectarification et au butinage des insectes, mais aussi une faible attractivité des variétés récentes. La profession apicole suspecte en effet les nouvelles variétés de tournesol de produire moins de nectar que celles plus anciennes. Malheureusement, aucune donnée officielle n’est disponible pour étayer ces observations. C’est pourquoi cette étude a examiné les effets variétaux et météorologiques, en mesurant la sécrétion nectarifère de trente-quatre variétés actuelles de tournesol.


Les sécrétions de nectar fluctuent d’une variété à l’autre

Plusieurs études ont observé des différences de quantités de nectar sécrétées, à l’échelle de la fleur ou de la plante entière, entre lignées ou entre hybrides. Ces différences de sécrétion peuvent s’expliquer en partie par des différences de taille de nectaire (l’organe qui produit le nectar) entre génotypes.

En revanche, il ne semble pas exister de différence de sécrétion de nectar à l'échelle du fleuron entre genres génétiques, c’est-à-dire entre les lignées mâles stériles d’une part, et les lignées mâles fertiles ou les hybrides d’autre part. De fait, il n’existe pas de différence connue de taille de fleuron (et donc a fortiori de nectaire) entre ces deux genres génétiques, contrairement au colza par exemple. Mais existe-t-il une différence entre variétés oléiques et linoléiques ?

Introduits depuis les années 2000, les tournesols oléiques produisent des huiles riches en acide gras oléique (oméga 9), tandis que les variétés linoléiques « classiques », caractère plus ancien, favorisent la production d’acide gras linoléique (oméga 6). La gamme de variation de la nectarification entre trente-quatre variétés actuelles d’hybrides a donc été étudiée, en comparant le nectar produit par vingt-trois variétés oléiques et onze linoléiques.

Les variétés ont été échantillonnées de 2016 à 2019, soit dans des parcelles de production en conditions « agriculteur » dans la région autour de Toulouse (dans le cadre de l’Opération Pollinisateurs portée par Syngenta), soit dans des parcelles d’essai du site de Lombez de Syngenta. Pour chaque variété, trois capitules ont été isolés sous tulle la veille de l’échantillonnage pour empêcher leur butinage, puis échantillonnés à quatre reprises durant le mois de juillet.

La sécrétion nectarifère étant très variable d’un fleuron à l’autre selon la région du capitule, quatre fleurons en phase mâle ont été échantillonnés par capitule au niveau de quatre régions (en haut, en bas, à gauche et à droite de la couronne de fleurons). Le volume de nectar par fleuron a été extrait et mesuré à l’aide de microcapillaires de 1 microlitre. La concentration en sucres du nectar a été mesurée avec un réfractomètre, puis la masse de sucres sécrétée par fleuron a été calculée. Cette méthode « classique » directe mesure le taux de sécrétion apparent (TSA).

Le type, l’âge et l’autofertilité de la variété n’influencent pas la quantité de sucres sécrétée

Comme dans d’autres études, la quantité de sucres sécrétée a varié selon la variété échantillonnée (figure 1), mais aucune différence significative entre les caractères oléique et linoléique n’a été observée.



D’autre part, la gamme de variation observée entre les variétés, de 101 à 216 µg de sucres par fleuron, est comparable à celle observée par une autre étude menée en 1990. À partir de ces quelques éléments, il n’est donc pas possible d’affirmer que les hybrides actuels sont moins productifs en nectar que ceux des années 1980 ou 1990.

La baisse de production de miel pourrait-elle alors être imputée à une production plus faible de nectar chez les variétés de tournesol les plus autofertiles ? Pour répondre à cette interrogation, le taux d’autofertilité de chaque variété a été mesuré en comparant les rendements obtenus sous cage et en pollinisation libre. Puis, pour chaque variété, le taux d’autofertilité a été comparé à la masse moyenne de sucres produite par fleuron (figure 2).



D’après les données de cette étude, parmi les hybrides étudiés, les variétés les plus autofertiles n'ont pas produit moins de nectar que les autres. Si la nectarification et le taux d’autofertilité sont deux caractères qui ne sont pas liés génétiquement, il n’y a, en effet, pas de raison de penser qu’ils puissent être inversement corrélés. S’il est vrai que la production de nectar peut être coûteuse pour la plante, la sélection naturelle n’opère pas dans les programmes de sélection des plantes cultivées.


Les conditions environnementales impactent la production de nectar

Une étude menée sur le colza a montré que la désertion des fleurs par les abeilles observée par les apiculteurs dans les années 2000 s’expliquait par des conditions météorologiques défavorables plutôt que par les nouvelles variétés, pas moins nectarifères que les variétés antérieures. La sécrétion nectarifère est, en effet, directement dépendante de la température et du niveau de stress hydrique des plantes, et donc de la tension hydrique du sol. La concentration en sucres du nectar est aussi directement dépendante de l’humidité ambiante : une faible humidité conduit à une évaporation rapide du nectar, et donc à une concentration en sucres élevée, tandis qu’à l’inverse une humidité élevée limite l’évaporation du nectar et maintient une concentration plus faible, proche de celle du phloème.

Cette étude a donc exploré l’effet des conditions environnementales (humidité de l’air ambiant, température, tension hydrique du sol) sur la sécrétion nectarifère du tournesol. La température et l’humidité relative de l’air ont été mesurées une fois par heure à l’aide de capteurs placés dans chaque parcelle, et la tension hydrique du sol, une fois par jour à 30 et 60 cm de profondeur à l’aide de sondes tensiométriques. La concentration en sucres du nectar a été très variable dans nos mesures : de 20 % à près de 80 % pour une humidité relative de l’air comprise entre 28 et 92 % (figure 3). En-dessous de 72 % d’humidité, la concentration en sucres est stable, autour d’une moyenne de 56 %. En revanche, la concentration chute au-delà de ce seuil d’humidité. (C’est pour s’affranchir de cet effet que la quantité de nectar sécrétée a été analysée avant et par la suite à partir de la masse de sucres et non du volume.)



Malgré une forte variation de la tension hydrique du sol, de 0 à 240 centibars à 30 cm de profondeur et de 0 à 200 centibars à 60 cm, il n’a pas été observé d’effet de la tension hydrique du sol sur la production de nectar. Il aurait probablement fallu des tensions hydriques du sol encore plus élevées pour identifier un seuil de stress hydrique qui puisse induire un impact sur la sécrétion de nectar.

En revanche, la quantité de sucres sécrétée a augmenté avec la température sur l’intervalle 16-32°C (figure 4), mais il a manqué des mesures à 35-40°C pour pouvoir réellement observer une diminution de sécrétion au-delà de 32°C.



Ainsi donc, les gammes de variations limitées de température et de tension hydrique du sol expérimentées au cours de cette étude n’ont pas permis de mettre en évidence un impact de la tension hydrique du sol sur le niveau de nectarification du tournesol. Et elles n’ont montré qu’un effet partiel de la température : un effet positif jusqu’à l’optimum thermique, mais pas l’effet négatif attendu au-delà de cet optimum. De plus, si des différences de nectarification ont été constatées entre variétés, ces différences ne sont pas liées aux facteurs oléique/linoléique, nouvelle/ancienne variété, ou très/peu autofertile. Des études restent donc à mener pour expliquer les mauvaises miellées rencontrées aujourd’hui sur tournesol. D’autres facteurs peuvent en effet intervenir - par exemple, la longueur des fleurons, qui peut limiter l’accès des abeilles au nectar s’ils sont trop longs, ou encore la densité de colonies d’abeilles à l’hectare : si cette densité est trop importante, les colonies peuvent rentrer en compétition entre elles pour la ressource.


Les auteurs de l’article souhaitent remercier l’ensemble des personnes ayant pris part à cette étude, ainsi que les agriculteurs ayant mis à disposition leurs parcelles.

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