Limitation des usages : les systèmes sans labour ont besoin d’alternatives

Le glyphosate a été appliqué sur moins de vingt pour cent des surfaces de grandes cultures lors de la campagne 2016-2017. Son usage s’avère très dépendant des successions de cultures et de la stratégie de travail du sol. Les résultats d’une enquête inter-instituts montrent que plus des trois-quarts des agriculteurs qui l’emploient ne sauraient pas comment gérer les adventices sans cet herbicide.
Enquêtes sur les pratiques de désherbage en France

Les enjeux liés à l’utilisation du glyphosate sont très importants et demandent aux pouvoirs publics et aux acteurs des filières agricoles d’avoir une bonne connaissance des pratiques agricoles. Deux enquêtes récentes ont rassemblé des informations précieuses. La première, réalisée par le Service de la statistique et de la prospective (SSP) du ministère de l’Agriculture, a porté sur les pratiques réalisées entre la récolte du précédent (en 2016) et la récolte de la culture enquêtée en 2017 (encadré).

Une seconde enquête a été réalisée durant l’été 2019 par les instituts techniques agricoles ACTA, Arvalis, FNAMS, ITB et Terres Inovia (encadré). Elle avait pour objectif de connaître quel usage est fait du glyphosate en grandes cultures, et de recueillir l’avis des producteurs sur ce sujet, qu’ils en utilisent ou non. Ces deux enquêtes sont complémentaires, par leurs représentativités et les données recueillies.

L’enquête inter-instituts de 2019 ciblait le glyphosateLe questionnaire a été accessible sur internet durant l’été 2019. Conçu par plusieurs instituts techniques agricoles des grandes cultures, il a recueilli l’avis et les pratiques des agriculteurs, utilisateurs ou non de glyphosate. L’enquête ne portait pas sur une campagne en particulier mais plutôt sur la pratique moyenne des dernières années. Elle a recueilli 10 183 réponses, dont 7677 réponses exploitables, ce qui est plutôt important pour une enquête internet et montre la volonté des producteurs de partager leurs pratiques. Les exploitations enquêtées ont, en moyenne, une surface de 176 ha, principalement en grandes cultures céréalières et, notamment, en cultures d’hiver. Par suite, l’enquête n’est pas forcément représentative de toute la population agricole, mais sa force réside dans les réponses qualitatives obtenues et dans le très grand nombre de répondants utilisant du glyphosate.

Une enquête sur les pratiques culturales en grandes cultures en 2017Les enquêtes du SSP sont réalisées tous les 5 à 6 ans. Celle de 2017 a recueilli des informations sur la campagne 2016-2017 sur près de 27 600 parcelles de grandes cultures (céréales, oléoprotéagineux, cultures industrielles…) et de prairies. Arvalis, qui dispose d’un accès aux résultats de cette enquête, a analysé les itinéraires techniques selon différents paramètres agronomiques : culture de la campagne 2016-2017 et des cinq précédentes, type de sol, grande région, travail du sol de l’année et présence ou absence de retournement du sol les cinq campagnes précédentes, etc.

Le glyphosate est utilisé avant tout en interculture, sur une surface limitée

L’enquête 2017 du SSP précise que 17,5 % des surfaces de grandes cultures ont été traitées au moins une fois pendant la campagne 2016-2017 avec du glyphosate. 16 % sont traitées pendant l’interculture jusqu’au jour du semis, et le reste (1,5%), en post-semis avant la levée. Les traitements en végétation ou avant récolte sont rares (0,2 %). Pour les parcelles qui ont reçu une application en interculture ou sur la culture, la dose moyenne d’utilisation pour la campagne est de 917 g/ha. Cette dose varie assez peu en fonction des pratiques culturales, au contraire de la fréquence d’utilisation. Le traitement par tâche est peu répandu et ne concerne que 3,5 % des parcelles.

L’enquête inter-instituts de 2019 n’avait pas pour objectif de déterminer le taux d’utilisateurs ; les non utilisateurs sont d’ailleurs peu représentés (5 %). Pour les 95 % de répondants utilisateurs, l’usage du glyphosate est raisonné et concerne, dans la plupart des cas, une part limitée de l’exploitation : 55 % l’appliquent sur moins d’un tiers de leur surface chaque année (figure 1).

Que visent les applications ?

L’enquête 2017 du SSP met en évidence que la cible « plantes annuelles » reçoit la plus grande part du volume de glyphosate appliqué. Ainsi, la gestion des repousses du précédent concerne 53 % des volumes de glyphosate utilisés au total, et celles des adventices annuelles, 41 % (graminées ou dicotylédones). Les couverts représentent, quant à eux, 17 % de cet usage. L’utilisation du glyphosate sur les vivaces et les bisannuelles ne représente que 12 % des volumes utilisés de cette matière active.

Paradoxalement, l’usage le plus cité, par plus de 70 % des répondants à l’enquête inter-instituts de 2019, concerne les vivaces. Ces agriculteurs utilisent du glyphosate contre les adventices vivaces mais pas forcément tous les ans, ni sur toutes les parcelles. Dans cette enquête, les autres usages principaux cités sont la destruction des repousses ou des adventices annuelles en interculture (courte ou longue) et la gestion des plantes invasives. Les doses(1) sont également variables, ce qui montre un raisonnement en fonction de la cible visée par les applications de glyphosate. Par exemple, en interculture courte d’été, les doses sont plutôt limitées : 73 % des utilisateurs appliquent entre 360 et 1040 g/ha.

Quelles situations amènent à utiliser du glyphosate ?

D’après l’enquête du SSP, les trois facteurs déterminants dans la fréquence d’utilisation du glyphosate sont la culture implantée, le précédent cultural et la technique d’implantation. La région, le type de sol et la rotation culturale ne semblent pas avoir d’influence directe sur l’usage du glyphosate ; ils peuvent cependant en avoir indirectement puisqu’ils déterminent les trois facteurs précédents.

La culture à semer impacte en partie l’usage de glyphosate, surtout en non labour (figure 2). D’après l’enquête du SSP, les intercultures précédant une culture de printemps font l’objet de plus de traitements que celles devançant une culture d’automne, notamment en cas d’implantation sans labour. En cas de retournement du sol, l’usage est plus faible et les écarts entre cultures sont minimes. Les cultures de printemps semées précocement au printemps (betteraves, orge…) font l’objet de plus de traitement que celles semées plus tard. L’implantation des prairies temporaires fait très rarement appel au glyphosate alors que leur destruction, assez difficile, y recourt plus souvent.

Le précédent cultural de la culture à implanter joue un rôle déterminant. Les précédents prairie, céréale à paille et colza favorisent le plus l’usage d’herbicides totaux en interculture. Le maïs et le tournesol y ont moins recours, et les betteraves et pommes de terre, peu. Derrière l’impact du précédent cultural se cachent deux notions. Le précédent laisse un sol plus ou moins exempt de repousses ou d’adventices encore viables à la récolte ; avec la culture suivante, il conditionne aussi la durée de l’interculture. Ainsi, une betterave ou une pomme de terre suivie d’un blé d’hiver fait l’objet de très peu d’applications de glyphosate, quel que soit le travail du sol, dans la mesure où ces précédents laissent peu d’adventices et où l’interculture, très courte, ne laisse pas le temps au sol de se resalir. C’est aussi le cas d’un maïs grain lorsque celui-ci est suivi d’un blé. Cependant, s’il est suivi d’un autre maïs, la plus longue interculture laisse le temps aux adventices de lever et se développer, et les applications de glyphosate deviennent presque aussi fréquentes que pour un précédent céréale à paille.

La technique de travail du sol influence fortement l’utilisation de glyphosate

En comparant les techniques pour les mêmes couples « précédent-culture », l’enquête 2017 du SSP montre que la fréquence d’usage du glyphosate est différente entre trois grands groupes de pratiques (figure 3). Les parcelles labourées lors de la campagne 2016-2017 ont reçu assez rarement un traitement. En revanche, le semis direct fait l’objet d’applications beaucoup plus fréquentes. Le strip-till, suffisamment représenté sur maïs essentiellement, est assez comparable au semis direct sur cette culture. La fréquence d’usage du glyphosate est intermédiaire pour les autres techniques sans labour, avec un travail superficiel ou plus profond sur la totalité de la surface du sol.

L’enquête inter-instituts de 2019 confirme l’impact du travail du sol sur l’usage du glyphosate. En système avec labour, les répondants sont plutôt des utilisateurs ponctuels de glyphosate (une année sur trois), et sur des surfaces limitées (moins de la moitié de l’exploitation). À l’inverse, les répondants pratiquant le non labour l’utilisent tous les ans et toute la SAU est traitée. Schématiquement, les exploitations de taille assez importante sont plutôt utilisatrices de glyphosate sur toute la surface, tandis que les exploitations en système labouré, moins utilisatrices de glyphosate avec des applications sur une partie de l’exploitation, sont de taille plus modeste.

Beaucoup d’agriculteurs n’ont pas identifié d’alternatives

L’enquête inter-instituts de 2019 a également demandé aux agriculteurs à l’été 2020 s’ils avaient déterminé des alternatives crédibles à l’utilisation du glyphosate. Or 78 % des répondants ignorent encore comment ils feraient s’ils devaient se passer de glyphosate (s’il était totalement interdit). Néanmoins, sur les 7 677 répondants, 352 (4,6 %) n’utilisent plus de glyphosate et ont opéré un changement de leur système de culture : agriculture bio, allongement de rotation, retour à plus de travail du sol, etc.

En cas d’interdiction totale à court ou moyen terme, les inquiétudes mentionnées par les agriculteurs dans cette enquête, importantes, concernent la viabilité des exploitations et des systèmes de culture tels qu’ils sont menés aujourd’hui. C’est le cas de l’agriculture de conservation, vertueuse sur de nombreux sujets tels que l’érosion mais étroitement dépendante de l’utilisation du glyphosate. Ces systèmes, sans glyphosate, devraient réintensifier le travail du sol, avec des conséquences importantes, à la fois économiques (investissements), agronomiques (érosion, matière organique…), environnementales (consommation de carburants fossiles, bilan Carbone…) et organisationnelles (capacité à travailler toute la surface, main-d’œuvre, jours disponibles).

L’enquête du SSP montre d’ailleurs une évolution des pratiques de gestion des sols, avec notamment une réduction progressive du travail du sol : le non labour représentait en 2017, 48 % des surfaces de grandes cultures, contre 35 % en 2011 ; ces surfaces non retournées concernent majoritairement les cultures d’automne. Alors qu’en 2011, les sols argilo-calcaires étaient nettement moins labourés que les autres, on ne retrouve plus vraiment d’écart avec les autres types de sols en 2017. C’est dans ces derniers que la progression du non labour s’est opérée.

Environ 70 % des répondants de l’enquête inter-instituts de 2019 estiment qu’ils devraient se rééquiper en matériel de travail du sol, cette proportion étant plus forte chez ceux qui ne labourent plus. Les inquiétudes portent aussi sur de possibles recrudescences de vivaces et d’adventices annuelles. Finalement, selon les agriculteurs, la balance bénéfice/risque d’un tel retrait, total ou partiel, n’a pas été clairement établie.

(1) Plus d’informations sur les résultats de cette enquête sur http://arvalis.info/219

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