Le paysage : une échelle de travail pertinente

La biodiversité et les services de régulation naturelle des ravageurs et de pollinisation sont favorisés par des mesures de gestion qui dépassent l’échelle de la parcelle agricole (et même celle de l’exploitation) pour être déployées à l’échelle du paysage.
Gérer les paysages favorisant les auxiliaires

Parmi les auxiliaires de cultures, certaines espèces ont des exigences écologiques et des cycles de développement adaptés aux conditions qui règnent en parcelles agricoles : perturbations fréquentes en lien avec le travail du sol, traitements, périodes de sol nu, conditions de températures et de luminosité parfois extrêmes, etc. C’est notamment le cas de certains carabes très fréquents en parcelles agricoles, comme Poecilus cupreus et Pterostichus melanarius.

En revanche, d’autres organismes s’en accommodent mal et naviguent entre les parcelles agricoles et les milieux non cultivés environnants, au gré de leurs besoins alimentaires et de leurs stades de développement ainsi qu’au rythme des saisons, des alternances jours/nuits et de la disponibilité en ressources alimentaires. Ces organismes, parmi lesquels on compte des prédateurs de pucerons comme les coccinelles ou les syrphes, les hyménoptères parasitoïdes et certains pollinisateurs sauvages, vont utiliser les espaces semi-naturels à partir desquels ils coloniseront ensuite, avec plus ou moins d’intensité, les parcelles agricoles. C’est pourquoi les lisères de bois, les bordures de champs, les chemins herbeux, les jachères et talus sont des milieux particulièrement riches en biodiversité. Ils jouent un rôle déterminant pour la faune auxiliaire et les services qui lui sont associés.

Les milieux semi-naturels, vitaux pour les auxiliaires

Les éléments de paysage naturels et semi-naturels assurent des fonctions essentielles vis-à-vis de la biodiversité, et notamment de la biodiversité fonctionnelle.

Alimentation Ils fournissent des sources de nourriture qui ne sont pas toujours présentes dans les champs cultivés. Les plantes, arbres ou arbustes à fleurs produisent du nectar et du pollen ; ce sont des sources d’énergie et de protéines pour la faune volante, particulièrement pour les ennemis naturels des ravageurs et pour les insectes pollinisateurs comme les syrphes et les abeilles. Ces espaces assurent une continuité d’apports alimentaires tout au long de l’année, en prenant le relai pendant les périodes de disettes alimentaires rencontrées en milieu agricole au début du printemps, en été, et avant l’hiver.

Pour les abeilles, ces milieux assurent la diversité du bol alimentaire, clé de leur santé, de leur longévité et de leur résistance aux stress environnementaux (parasites, maladies, etc.). Pour les ennemis naturels des ravageurs, ces espaces sont aussi des sources de proies alternatives - par exemple, des pucerons spécifiques de certaines plantes sauvages (dont l’ortie) -, ce qui leur permet de se maintenir en vie en attendant que leurs proies de prédilection arrivent sur les cultures. Certaines espèces fournissent également des petits fruits consommés par les oiseaux, qui peuvent aussi se nourrir d’insectes.

La diversification des éléments paysagers est très favorable aux régulations.

Habitats S’ils sont pérennes, les espaces semi-naturels présents en bord de parcelles agricoles sont aussi utilisés comme des habitats échappant aux perturbations liées aux activités humaines qui ont lieu dans les champs cultivés. Les conditions de fraîcheur et d’ombre fournies par les haies offrent un abri aux auxiliaires volants, comme les syrphes, lorsque la chaleur et le vent sont trop importants dans les champs.

Beaucoup d’auxiliaires utilisent aussi ces milieux pour passer l’hiver sous l’écorce des arbres, à l’intérieur de tiges creuses, ou sous des touffes de graminées.

Circulation Les milieux non cultivés sont aussi des voies de circulation pour la biodiversité - notamment pour les passereaux, les petits mammifères et les insectes auxiliaires volants. Il est donc très important que ces milieux soient connectés entre eux, afin que la faune utile à l’agriculture puisse se déployer dans le paysage et parvenir jusqu’aux champs. Par exemple, un réseau de haies connecté à des bosquets facilite le déplacement de certains auxiliaires de culture entre la parcelle agricole et le milieu forestier.

Une mosaïque d’habitats qui conditionne la production agricole

La diversité des cultures et des pratiques agricoles associées, la configuration du parcellaire agricole (et notamment la taille et la forme des parcelles) ainsi que la diversité des espaces semi-naturels environnants sont les constituants de paysages agricoles plus ou moins hétérogènes.

Un paysage varié aura une influence positive sur les services écosystémiques rendus à l’agriculture, et plus largement à la société. En effet, des éléments paysagers tels que les haies, les bandes fleuries, les jachères ou les bandes enherbées réglementaires de 5 m en bordure des cours d’eau contribuent aussi bien à la réduction des contaminations des ressources en eau par les intrants agricoles (azote, phosphore et produits phytopharmaceutiques) qu’au maintien des services de régulation naturelle et de pollinisation.

La mosaïque d’habitats qui constitue ces paysages agricoles et leur dynamique spatio-temporelle sont des déterminants importants de la biodiversité en milieu agricole et des interactions que celle-ci a avec les productions. En effet, si cette complexité du paysage a un impact positif sur les services de régulation naturelle et de pollinisation, l’agencement des espaces semi-naturels mais aussi des cultures dans le paysage et leur succession dans le temps, influencent également la dynamique des populations d’insectes ravageurs, et donc les dégâts qu’ils occasionnent aux cultures.

La régulation des populations de ravageurs afin d’atténuer les dégâts qu’ils infligent aux cultures est une problématique qui, comme celle de la qualité de l’eau, bénéficie de mesures de gestion mises en œuvre de manière cohérente à grande échelle, et ce pour plusieurs raisons. Tout d’abord, les insectes ravageurs (comme certains de leurs ennemis naturels) sont mobiles. Certaines espèces ont des capacités de dispersion de plusieurs kilomètres, et visitent à la fois les cultures et les éléments semi-naturels.

D’autre part, les actions de modifications du paysage sont plus facilement mises en œuvre par des collectifs d’agriculteurs (encadré) qui ont un niveau important de maîtrise du foncier. De plus, certains leviers à mettre en place sont beaucoup plus puissants s’ils sont issus d’actions concertées à l’échelle de plusieurs centaines d’hectares : c’est le cas par exemple de la mise en place d’intercultures destinées à piéger les ravageurs, de la création de corridors écologiques, etc.

Caractériser le potentiel d’accueil des auxiliaires volants

Bien que de nombreuses études aient montré le rôle favorable des éléments semi-naturels sur la régulation naturelle des ravageurs par les auxiliaires de culture, peu de méthodes de diagnostic paysager sont actuellement disponibles à l’échelle de l’exploitation agricole. C’est pourquoi Arvalis travaille actuellement au développement d’une méthodologie pour diagnostiquer la capacité d’un paysage à accueillir des auxiliaires volants : coccinelle, syrphe, hyménoptère parasitoïde et chrysope.

Une étude pilote est en cours sur la Digiferme de Saint-Hilaire-en-Woëvre, située dans la Meuse dans un contexte de polyculture-élevage. Le projet se déroule en trois phases. Lors de la première phase, l’ensemble des éléments semis-naturels ont été recensés sur un périmètre d’un kilomètre autour du parcellaire de l’exploitation à partir de photographies aériennes. La nature, la surface et la longueur des éléments semis-naturels ont été caractérisées grâce à un système d’information géographique (figure 1).

Une caractérisation plus fine des éléments semi-naturels a été ensuite effectuée, grâce à un diagnostic « terrain ». Par exemple, pour les haies et les ripisylves (les formations végétales bordant les cours d’eau), le diagnostic terrain comprend le repérage de la présence de branchages ou de bois morts, le dénombrement des strates présentes (herbacée, arbustive, arborée) ainsi que leur largeur, l’identification des espèces végétales dominantes, ainsi que l’âge et l’état général de chaque élément.

Une dernière phase évaluera le potentiel d’accueil des auxiliaires volants des éléments du paysage autour de la ferme grâce à un outil d’évaluation multicritères. Ces résultats permettront de dégager des leviers d’action pertinents pour le contexte particulier de l’exploitation.

Les leviers mobilisables sont de différentes natures : modification du mode de gestion des haies (notamment en limitant leur entretien au minimum et en laissant le bois mort), implantation de nouvelles haies pour augmenter leur connectivité et de nouvelles espèces végétales afin de fournir le gîte et le couvert à des auxiliaires insuffisamment présents, implantation de bandes fleuries… Cette méthodologie de diagnostic pourra être reproduite sur d’autres Digifermes afin d’évaluer le potentiel d’accueil des auxiliaires dans des contextes agricoles et paysagers différents.

Nicolas Cerrutti - n.cerrutti@terresinovia.fr
Jonathan Marks Perreau - j.marksperreau@arvalis.fr

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