Irrigation du maïs semence : de la caractérisation du stress hydrique aux stratégies

Depuis 2013, des essais étudient les effets de stress hydriques précoces et tardifs sur différentes composantes de la fertilité et du rendement du maïs semence. Une des deux stratégies explorées pour limiter ces effets semble prometteuse.

En culture de maïs semence, la sensibilité intrinsèque des géniteurs au stress hydrique et les spécificités de l’itinéraire technique (dispositifs de semis, semis décalés, castration…) constituent des facteurs importants à prendre en compte pour l’obtention du rendement optimal et de la qualité requise. Dans les conditions de culture très diverses du réseau de production français, le maïs semence est donc implanté sur des parcelles généralement irrigables et le plus souvent irriguées.

Dans le cadre du programme Actions Techniques Semences piloté par la FNPSMS(1), avec le soutien du GNIS, des essais(2) de plein champ sont conduits depuis 2013 sous différents niveaux de contrainte hydrique. Ils ont d’abord visé à caractériser les effets des stress hydriques sur la physiologie de la plante, sur la mise en place des composantes du rendement et sur la qualité. Depuis 2016, ils portent sur la mise au point de stratégies de conduite sous contrainte hydrique. Les données ont contribué à élaborer la fonction de production du maïs semence et alimenté le paramétrage d’Irré-LIS, désormais largement déployé pour le pilotage de l’irrigation sur cette culture.

Six années d’essais dans le Sud-Ouest

Les essais ont été menés à Gaillac (81) de 2013 à 2016, sur des sols d’alluvions récentes du Tarn (réserve utile maximale pour maïs grain estimée à 120 mm) et depuis 2017, sur la station d’En Crambade (31), sur des terreforts profonds (RU max maïs : 145 mm).

La réussite de ces expérimentations de plein champ est fortement dépendante des conditions climatiques de l’année. Des aléas de conduite culturale ont rendu inexploitables les données expérimentales des campagnes 2016 (implantation trop hétérogène) et 2017 (déficit hydrique trop faible sur les modalités restrictives). Les résultats portent donc principalement sur les campagnes 2013 à 2015 pour la compréhension des effets liés au stress hydrique, et sur l’année 2018 pour les stratégies adaptatives.

Pour les années retenues, les scénarios climatiques se distinguaient par l’intensité du stress hydrique par rapport à la normale durant deux phases du cycle du maïs : du stade « 10 feuilles » à la floraison (stress qualifié de précoce), puis de la floraison au stade « 50 % d’humidité du grain » (stress tardif). Les stress ont été plutôt tardifs en 2013 et 2018, précoces en 2014, et généralisés sur tout le cycle en 2015.

De 2013 à 2015, le protocole incluait quatre régimes hydriques visant à générer des stress hydriques bien différenciés : bien irrigué avec volume d’eau suffisant pour couvrir les besoins (ETM, régime T1), bien irrigué puis arrêt précoce en première quinzaine d’août, afin de tester les effets de restriction des prélèvements (T2), bien irrigué puis réduction très précoce des irrigations, dès « 14-15 feuilles », afin de provoquer un stress hydrique dès la floraison femelle et tester les effets de restriction des prélèvements pour des lignées tardives ou (et) des semis tardifs (T3), et stress hydrique modéré mais continu sur tout le cycle (T4).

En 2018, les deux modalités T1 et T2 sont maintenues, mais les modalités T3 et T4 sont modifiées pour explorer des stratégies visant l’atténuation des effets des stress sous volume restreint (trois irrigations en moins, soit le volume optimal - 40 % environ). Le T3 correspond alors au pilotage de l’irrigation avec un volume limité, en concentrant les irrigations sur la période de forte sensibilité au stress hydrique (de la floraison au stade « limite d’avortement des grains ») tout en conservant une irrigation au moment de l’initiation florale autour de « 10 feuilles » si le début de cycle est sec. Le T4 devient une irrigation en volume limité (idem au T3), avec fractionnement des apports sur la période de forte sensibilité au stress hydrique ; la dose est fractionnée en deux apports espacés de un à deux jours au plus.

Le stress hydrique pénalise l’indice foliaire et la fécondation

L’indice foliaire (ou LAI pour leaf area index) est très nettement influencé par les régimes hydriques. Les stress qui débutent avant floraison limitent le LAI maximal, pour les mâles comme pour les femelles. Les perturbations de l’indice foliaire de l’un, de l’autre ou des deux géniteurs, générées par ces stress précoces peuvent induire une réduction de la photosynthèse, la différenciation des gabarits, des hétérogénéités de hauteurs de plantes, des effets d’ombrage… Ces effets se répercuteront lors de la phase de fécondation. Ces points appellent à prêter une attention toute particulière au démarrage des irrigations en maïs semence. Les stress après la floraison accélèrent la senescence foliaire et diminuent le LAI vert en fin de cycle.

Les effets des stress ont été particulièrement observés pour les géniteurs mâles et la production de pollen, paramètre spécifique et fondamental de la réussite d’une production de semence. En situation de stress hydrique, le développement des panicules est réduit, notamment le nombre de brins secondaires et leur longueur ; le potentiel pollinique est nettement affecté, et le taux de pollen bloqué dans les anthères est augmenté.

Mais le paramètre le plus sévèrement affecté est la viabilité du pollen. Dans le témoin bien irrigué, celle-ci a varié entre 20 et 70 % au cours des trois ans. Dans le régime hydrique restrictif, elle a été significativement réduite : de 45 % en moyenne sur trois ans. Pourtant, la lignée mâle utilisée dans les essais était dotée d’un potentiel pollinique élevé. Les effets mis en évidence auraient été bien plus néfastes sur des lignées mâles dotées d’un potentiel plus faible. Des mesures spécifiques réalisées sur le pouvoir fécondant du pollen (pollinisation croisée des femelles du régime T1 bien irrigué avec du pollen issu des régimes restrictifs T3 et T4) ont montré des nombres de grains par épi inférieurs et des nombres de grains avortés en tendance supérieurs pour les régimes stressés.

Côté géniteur femelle, la capacité des ovules à être fécondés (par fécondation croisée des femelles T3 et T4 avec apport de pollen du mâle T1 bien irrigué) est, en tendance, affectée dans les régimes stressés par rapport à la référence bien irriguée. Les diagnostics d’anomalies de fécondation ont montré, en 2015, un impact du stress hydrique sur le nombre potentiel d’ovules via une diminution du nombre de couronnes.

L’ensemble de ces observations confirme l’impérieuse nécessité d’une conduite hydrique sans faille dans la phase la plus sensible du cycle qui encadre la floraison, du stade « post-initiation florale » au stade « limite d’avortement des grains ».

Des composantes du rendement inégalement affectées

Dans les conditions des essais 2013 à 2015, les stress hydriques ont généré des pertes de rendement de l’ordre de 15 %. Il est important de préciser que cet ordre de grandeur ne peut pas être déconnecté du contexte expérimental dans lequel il a été obtenu, en particulier des modalités des stress appliqués.

Du fait des types de stress constatés, plus concentrés sur la période « 10 feuilles / stade limite d’avortement du grain » que sur la fin de cycle, c’est logiquement le nombre de grains par mètre carré qui a été le plus régulièrement affecté.

En raison des fins de cycle assez clémentes, avec des pluies vers le stade « 50 % d’humidité du grain », le poids de mille grains a été moins régulièrement touché dans ces essais.
Dans ces conditions, nous n’avons pas observé d’effet discriminant des régimes hydriques sur la faculté germinative, qu’il soit en défaveur ou en faveur des modalités restrictives.

Le tableau 1 résume l’ensemble des enseignements issus de ces essais.

Un effet positif du fractionnement sous contrainte hydrique

La fonction de production est la relation mathématique existant entre la consommation en eau et le rendement. Établie en référence à une situation d’irrigation non limitante pour le rendement, elle estime la perte de rendement due à un déficit hydrique.

Le calcul des consommations en eau a été établi pour les différents régimes hydriques des essais. Il a permis d’estimer le déficit hydrique (le rapport e/E où e est l’eau consommée en régime restrictif et E l’eau consommée en régime non restrictif, à l’ETM) et la perte relative de rendement (rapport r/R, où r est le rendement obtenu sous régime restrictif et R, celui obtenu en régime non limitant). Les données de ces essais ont été complétées par des données acquises antérieurement en Limagne, dans le cadre du programme ATS. Tous les calculs de consommations en eau ont été effectués selon la même méthode, à l’aide du bilan hydrique établi par Irre-LIS.

La fonction de production établie sur ce jeu de données élargi (figure 1) est principalement renseignée jusqu’à 20 % de déficit. C’est une droite de pente proche de 1 : autrement dit, la perte de rendement est directement proportionnelle au déficit hydrique, mais la variabilité de réponse est assez forte. Les différences de conduite pour un même niveau de consommation en eau peuvent être à l’origine de cette variabilité. Ainsi, en 2018, pour un même volume d’irrigation et un même déficit limité à 4 %, les régimes T3 et T4 se distinguent par un écart de rendement de 13 % en faveur du régime T4 (apports fractionnés).

Le même rapport de proportionnalité est observé entre le déficit hydrique et la perte relative de nombre de grains/m².

Les expérimentations se poursuivent pour affiner les stratégies sous conduite restrictives. La piste du fractionnement des apports observée en 2018 est connue pour ses effets bénéfiques, liés d’une part à une meilleure synchronisation avec les besoins et, d’autre part, au maintien de la continuité hydrique du sol entre les horizons. Elle sera de nouveau travaillée en 2019 en intégrant les contraintes techniques qu’elle peut engendrer, contraintes qui diffèrent selon les équipements d’irrigation.

« Dans les conditions des essais, les déficits hydriques abaissent le rendement mais n’affectent pas la faculté germinative des semences. »

(1) FNPSMS : Fédération nationale de la production de semences de maïs et de sorgho. GNIS : Groupement national interprofessionnel des semences et plants.
(2) Le suivi de ces essais a été assuré par les équipes techniques des stations de Montans et d’En Crambade d’Arvalis, par Caussade Semences Groupe et les membres du groupe de travail ATS Irrigation.

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