Services rendus par la biodiversité : une grande diversité d’organismes supportant des fonctions essentielles

Dans le milieu agricole, le terme « biodiversité » est encore souvent perçu comme une préoccupation de naturalistes et une source de contraintes règlementaires de plus en plus lourdes pour les producteurs. Expression du vivant sous toutes ses formes, si la biodiversité peut être une source de nuisances, elle offre également des services qui peuvent permettre à l’agriculture de répondre aux grands enjeux auxquels elle est confrontée.
Les enjeux de la biodiversité

Qu’elle soit sauvage ou cultivée, végétale ou animale, commune ou patrimoniale, la biodiversité en milieu agricole se manifeste dans tous les compartiments - le sol, l’eau et l’air - et à différentes échelles, du gène aux écosystèmes en passant par les espèces. Elle regroupe une grande diversité d’espèces aux écologies très variées, qui sont liées au travers des chaînes trophiques.

Certains organismes n’interagissent pas ou peu avec la production agricole ; on parle alors de « biodiversité extra-agricole ». D’autres, regroupés sous la dénomination de « biodiversité para-agricole », sont partie prenante du processus de production. Parmi ces derniers, on compte les bioagresseurs, qui occasionnent des dégâts aux cultures, les insectes pollinisateurs qui contribuent à la production grainière, les ennemis naturels des ravageurs ainsi que les recycleurs de matière organique.

Ces trois dernières catégories d’organismes rendent de précieux services aux agriculteurs en soutenant des fonctions clés indispensables à l’acte de production. Ainsi, qu’ils soient carabes, araignées, abeilles, passereaux, vers de terre, syrphes ou parasitoïdes, nombreux sont les organismes sans lesquels il ne saurait y avoir de produits agricoles.

Pourquoi dans ce cas, leur action passe-t-elle si souvent inaperçue ? Sans doute parce que dans la majorité des situations de production, les services offerts par les auxiliaires sont la résultante de processus « gratuits », qui ne nécessitent aucune intervention humaine. Sans doute aussi parce que ces organismes sont très discrets : on les observe peu, et on manque encore de connaissances à leur sujet.

Pourtant dès qu’on essaie d’évaluer la valeur monétaire des services rendus par la biodiversité, les chiffres donnent le vertige. Le seul service de pollinisation des cultures est évalué à l’échelle mondiale à 153 milliards d’euros par an ! Parmi les autres services écosystémiques, citons également l’action régulatrice des ennemis naturels des ravageurs, qui s’effectue tout au long de l’année, à la fois dans les parcelles agricoles et à leurs abords ; ces auxiliaires des cultures atténuent les pullulations d’insectes et leurs dégâts, permettant ainsi d’éviter certains traitements. D’autres services aussi essentiels à l’agriculture qu’à la vie sur terre sont fournis : ainsi, les vers de terre et les vers nématodes contribuent à la fertilité et à la structuration du sol.

Des services gratuits… ou payants

Dans la majorité des situations, nul besoin d’intervenir puisque les fonctions évoquées sont assurées par des espèces sauvages. C’est ainsi que les abeilles sauvages, dont il existe environ 970 espèces en France, les diptères (mouches) naturellement présents dans l’environnement, et les abeilles domestiques issues de l’apiculture sont généralement suffisants pour que le colza et le tournesol produisent à l’optimum. Toutefois, ces deux espèces sont seulement partiellement dépendantes des insectes pollinisateurs ; chez le tournesol, par exemple, la visite d’une abeille en moyenne pour cinq capitules est suffisante pour que les fleurs atteignent leur potentiel de production maximal.

Dès qu’on tente d’évaluer la valeur monétaire des services rendus par la biodiversité, les chiffres donnent le vertige.

Si les conditions de production ne sont pas favorables à l’expression des services écosystémiques, par exemple sous serres, pour des cultures spécifiques ou dans des environnements très dégradés, il est possible de mettre en place des services payants. On renforce, par exemple, les services fournis naturellement par les espèces sauvages en louant des ruches d’abeilles domestiques afin de favoriser la multiplication de semences ou la fructification des vergers de pommes ou d’amandiers. Des colonies de bourdons terrestres sont également louées en production de tomates ou de fraises. Sur le même principe, des lâchers d’insectes auxiliaires sont parfois réalisés : des trichogrammes sur maïs, ou des Encarcia formosa pour lutter contre l’aleurode des serres, par exemple.

On prend plus facilement la mesure de l’importance des services rendus par la biodiversité quand ceux-ci sont insuffisants et engendrent des manques à gagner pour l’agriculteur. Cependant, lorsqu’on souhaite renforcer l’action des auxiliaires en grandes cultures, les lâchers inondatifs ne sont pas indispensables. Dans le contexte actuel de recherche de solutions durables tant sur le plan économique qu’environnemental, il est préférable de mettre en place des actions pour transformer le milieu et le rendre plus favorable aux insectes et donc à l’expression des services plutôt que de chercher à agir directement sur les populations d’insectes : c’est le principe de la lutte biologique par conservation des habitats (encadré).

Quand la régulation naturelle fait défaut

Dès 2018, des déficits de régulation naturelle importants ont été mis en évidence sur le territoire du projet R2D2 (encadré) localisé sur les plateaux de Bourgogne. Sur cette zone de plateaux, caractérisée par des sols à faible potentiel et dominée par des rotations courtes à base de céréales, on assiste à de véritables pullulations d’insectes ravageurs du colza : principalement l’altise d’hiver et le charançon du bourgeon terminal. Ces insectes, très préjudiciables à la culture du colza, ont développé d’importants niveaux de résistance aux insecticides de la famille chimique des pyréthrinoïdes, principale famille de matières actives utilisées pour limiter les infestations.

Ce territoire, berceau de la problématique de résistance de ces insectes en France, est aujourd’hui sinistré. Les surfaces de colza, traditionnellement la principale tête d’assolement, ont connu une chute drastique : -60 % en cinq ans dans l’Yonne.

153 milliards d'euros, c’est la valeur monétaire annuelle du service de pollinisation des cultures fourni à l’échelle mondiale.

Les premières analyses effectuées à la recherche de causes possibles à ces pullulations ont révélées que les phénomènes de régulation naturelle des ravageurs par leurs ennemis naturels (des hyménoptères parasitoïdes) étaient quasiment inexistants. En effet, les taux de parasitismes mesurés sur des larves de grosses altises par le laboratoire de Terres Inovia pendant les campagnes 2018 et 2019 à partir d’élevages et de techniques de biologie moléculaire n’ont pas dépassé les 13 %.

En 2018, 13 parcelles sur les 14 étudiées ont même révélé une absence totale de parasitisme. Ces résultats sont bien en deçà de ceux que l’on peut rencontrer dans d’autres études où il n’est pas rare d’atteindre 75 % de parasitisme. Il apparait ainsi que la restauration de niveaux satisfaisants de régulation naturelle est une piste prometteuse pour réduire les niveaux de pression de ces ravageurs.

Plutôt fournir des habitats aux auxiliaires qu’effectuer des lâchers Pour assurer leurs fonctions régulatrices, les auxiliaires des cultures doivent trouver dans l’environnement agricole des habitats propices, des sources de nourriture et, plus généralement, les conditions nécessaires pour l’accomplissement de leur cycle de développement. Le principe de la lutte biologique par conservation est d’agir - voire, parfois, de ne pas agir, en laissant faire la nature ! - pour que ces conditions soient remplies. On peut ainsi aménager des espaces semi-naturels (haies, bandes enherbées, bandes fleuries, etc.) lorsqu’ils ne sont pas suffisamment présents, ou encore conserver des espaces non cultivés et en adapter la gestion pour que la végétation spontanée s’exprime, en bordure de chemins et en lisière de bois, notamment. Il faut également tâcher de limiter* les effets non intentionnels des pratiques agricoles sur ces organismes utiles : par exemple, réduire le travail du sol et éviter le labour afin de ne pas bouleverser la stratification naturelle des horizons superficiels, dans lesquels de nombreux organismes auxiliaires se développent, et enfin réduire les applications d’insecticides.

(*) Plus de leviers favorisant la présence des auxiliaires des cultures sont décrits dans l’article « Favoriser la biodiversité : des actions possibles dans et au abords des parcelles », de ce dossier.

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