Thibaut Constant : « Rémunérer nos efforts en faveur de l’environnement »

Le GIEE des Cinq Éléments des Sablons, dans l'Oise, propose de rémunérer les efforts des agriculteurs adhérents via des contrats d’atteinte d’objectifs environnementaux. Une démarche qui s’appuie sur un travail fouillé et une large compilation de données, comme nous l’explique Thibaut Constant, son président.
Thibaut Constant, président du GIEE des Cinq éléments des Sablons : « Nous proposons de rémunérer les agriculteurs en fonction de leurs résultats sur la baisse des concentrations en nitrate et en substances actives phytosanitaires modélisées dans les eaux d’infiltration. »

Thibaut Constant, président du GIEE des Cinq éléments des Sablons : « Nous proposons de rémunérer les agriculteurs en fonction de leurs résultats sur la baisse des concentrations en nitrate et en substances actives phytosanitaires modélisées dans les eaux d’infiltration. »

Perspectives Agricoles : Comment est né ce projet ?
Thibaut Constant :
L’aventure a commencé en 2019 au cours d’une réunion entre agriculteurs concernés par les aires d’alimentation de captage (AAC), organisée par le Syndicat mixte d’eau potable des Sablons. L’idée de créer un groupement d’intérêt économique et environnemental (GIEE) autour des enjeux de la préservation de la qualité de l’eau a vite pris corps. Nous avons rapidement mesuré que nous pouvions également aborder les questions du stockage du carbone et de la biodiversité via un projet de paiement pour services environnementaux (PSE). En parallèle, nous avons conduit une étude économique pour vérifier que notre projet s’accompagnerait d’une amélioration de la rentabilité de nos exploitations.


PA : Qu’est ce qui a convaincu les agriculteurs ?
TC :
Pour une fois, on parlait de l’agriculture positivement. L’agriculture apportait des solutions en matière de préservation de l’environnement et ce n’est pas rien. Cela contraste avec le discours ambiant d’agribashing. L’agriculture apporte des bienfaits pour l’environnement presque toujours ignorés. Notre projet consiste à développer et mettre en œuvre une méthode permettant de créer des contrats de PSE et d’en tirer un revenu. Par ailleurs, améliorer la rentabilité de nos exploitations par le biais du PSE reste pour chacun d’entre nous un impératif.

L’idée était de s’orienter sur une démarche basée sur des indicateurs environnementaux pour réaliser l’état initial de l’impact de nos pratiques agricoles, et modéliser l’efficacité a priori de nos plans d’action. La rémunération des agriculteurs s’appuie sur des résultats environnementaux modélisés.

Cela tranche avec les politiques habituelles des mesures agro-environnementales (MAEC), basées sur des objectifs de moyens, lesquels ne sont pas directement corrélés aux résultats environnementaux attendus et induisent une perte de rendement pour l’agriculteur (réduction de dose d’azote ou d’IFT par exemple).

Par ailleurs, les captages d’eau potable étant situés dans la nappe de la craie, le temps moyen de migration des nitrates moyen est d’environ 25-30 ans entre l’application au champ et l’arrivée au captage. De ce fait, on mesure actuellement la qualité de l’eau résultant des pratiques agricoles d’il y a 25 à 30 ans. Le recours à des outils de modélisation nous a permis d’évaluer l’impact environnemental de nos pratiques actuelles et de modéliser l'efficacité a priori de nos plans d'action.

Un projet répondant aux objectifs de l’Agence de l’eau Seine-Normandie

L’Agence de l’eau Seine-Normandie (AESN) a financé l’état des lieux des pratiques agricoles et la modélisation d’indicateurs de résultats sur les volets qualité de l’eau, stockage de carbone, biodiversité et économique. Ce financement porte sur 315 000 euros, financés à 80 % par l’Agence, les 20 % restants étant supportés par les agriculteurs du GIEE. Cette enveloppe est la plus grosse attribuée à ce jour par une agence de l’eau à un projet de ce type sous la forme d’un GIEE. L’agence teste ainsi une autre approche que les MAEC pour répondre aux exigences environnementales.

PA : Qui est regroupé dans le projet ?
TC :
Nous nous sommes regroupés en association de type loi 1901. L’association des Cinq Éléments des Sablons est composée de 18 agriculteurs et 25 exploitations, cultivant 5831 ha. Une surface qui représente 30 % de la SAU de la communauté de communes.


PA : Quels sont les voies explorées par votre GIEE ?
TC :
L’association a répondu à un appel à projet GIEE de l’Agence de l’eau Seine-Normandie (AESN) au printemps 2020 et notre dossier a été retenu.

Nous avons également construit trois PSE sur le carbone, l’eau et la biodiversité. Ils s’adressent à des entreprises privées pour le carbone et la biodiversité, à qui nous proposons un contrat privé d’une durée de 5 ans pour rémunérer les efforts accomplis pour l’environnement, mais aussi à la collectivité pour le thème de la qualité de l’eau.
 

Le temps de migration des nitrates du champ jusqu’au captage avoisine les 25 ans mais les outils de modélisation permettent d’évaluer l’impact des pratiques actuelles.Le temps de migration des nitrates du champ jusqu’au captage avoisine les 25 ans mais les outils de modélisation permettent d’évaluer l’impact des pratiques actuelles.


PA : Comment se sont mis en place ces PSE ?
TC :
Nous avons fait appel au cabinet d’étude Peri-G et à Arvalis pour réaliser l’état des lieux de nos pratiques agricoles sur trois campagnes à l’échelle de la parcelle agricole (2018 à 2020), y compris la définition du parc matériel et des résultats économiques de l’exploitation. Une pédologue de la coopérative Agora a réalisé l’étude pédologique permettant la définition de 12 types de sols différents, et un projet d’ingénieurs de l’école Unilasalle Beauvais a permis de cartographier et de décrire les espèces floristiques et ligneuses des aménagements paysagers (haies, bords de champs, bandes fleuris…).

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Les données quotidiennes de pluie et d’évapotranspiration ont été recueillies auprès de Météo France. Les agriculteurs ont ensuite exporté les itinéraires techniques de leurs parcelles, depuis leurs outils de traçabilité vers l’outil SYSTERRE, permettant de calculer un ensemble d’indicateurs techniques et économiques à différentes échelles (parcelle, culture, exploitation, moyenne de groupe).

Concernant les indicateurs environnementaux, nous avons sélectionné des indicateurs de résultats modélisés. Agrosolutions et Peri-G avaient la charge de produire les résultats en utilisant quatre modèles à l’échelle de la parcelle agricole :

  • Le modèle Epiclès pour modéliser les flux de nitrates vers les eaux souterraines,
  • Le modèle Macro 5.2 pour modéliser les flux de matières actives phytosanitaires vers les eaux souterraines,
  • Le modèle Carbon Extract validé dans le cadre du Label Bas Carbone pour modéliser le stockage de carbone,
  • Un modèle cartographique pour modéliser la production de pollen et nectar des aménagements paysagers des exploitations agricoles (offre alimentaire en pollen et nectar).

Tous les résultats ont été agrégés aux échelles parcelles, cultures, exploitations et moyennes de groupe.

L’étude s’est achevée fin 2022 par la remise d’un rapport de synthèse à chaque agriculteur et permettant de se comparer à la moyenne du groupe. Un plan d’action a également été rédigé.

La transition agroécologique à l’œuvre dans l’Oise

Les exploitations de l’Oise sont majoritairement orientées vers les grandes cultures et les cultures spécialisées industrielles (céréales, oléoprotéagineux, betterave sucrière, etc.), avec des systèmes de production souvent dépendants des intrants pour l’expression pleine du potentiel, notamment l’azote, les engrais ou encore les produits de protection des cultures. Une réalité qui se heurte, ici comme ailleurs, aux nouvelles attentes sociétales, orientées vers la préservation de la santé, de la biodiversité, de l’environnement et des ressources naturelles (préservation de la qualité de l’eau, stockage du carbone…). Pour répondre à ces nouveaux enjeux, de nombreux groupes d’agriculteurs se créent - pour la plupart des GIEE, qui entament, comme le GIEE des Cinq Éléments des Sablons, une réflexion vers un changement de pratiques, tout en cherchant à préserver leurs résultats économiques.


PA : Quelles mesures vous permettent d’arriver aux résultats annoncés ?
TC :
Le volet « nitrate » du plan d’action s’appuie sur le pilotage très fin de la fertilisation et sur une série de leviers agronomiques allant au-delà de la réglementation. Il propose, par exemple, d’ajuster la fertilisation au potentiel de rendement précis du type de sol de chaque parcelle, de moduler le dernier apport d’azote sur céréales, de limiter la durée de sol nu et d’augmenter la biomasse des couverts, de semer les colzas plus tôt, d’introduire des cultures peu consommatrices d’azote et de limiter les doses d’azote organique d’automne à la capacité d’exportation du colza ou de la culture intermédiaire à l’automne.

Pour certains, cela ira jusqu’à l’agriculture de précision en faisant varier les objectifs de rendement en intra-parcellaire en fonction des variations pédologiques afin de moduler l’azote. L’efficacité du plan d’action a été modélisée à l’échelle de chacune des parcelles. Il permet de diviser par deux la concentration en nitrates vers les eaux souterraines afin de passer sous le seuil des 50 mg/l sous les parcelles agricoles, ce qui permettra d’assurer une eau potable au captage avec les dilutions successives par les surfaces en forêt et l’eau déjà présente dans la nappe.
 

Les actions correctives, comme la substitution des matières actives à problème par d’autres sans ces inconvénients, concernent cinq matières actives sur les 146 utilisées.Les actions correctives, comme la substitution des matières actives à problème par d’autres sans ces inconvénients, concernent cinq matières actives sur les 146 utilisées.


PA : Que dit le plan d’action concernant le transfert de produits phytos ?
TC :
Pour le volet « phytos » du plan d’action, nous avons modélisé les flux de phytos pour les 146 matières actives utilisées par les agriculteurs et étudié 26 555 scénarios d’application différents (un scénario d’application représente une matière active à une date d’application donnée, une dose d’application, sur une culture et sur un des 12 types de sol). Parmi cette somme, 485 scénarios d'application de matières actives phytosanitaires dépassent la norme de 0,1 µg/l, soit seulement moins de 2 % des scénarios modélisés. à l’échelle du groupe, la somme des matières actives est de 0,22 µg/l, soit un chiffre inférieur au seuil de potabilité de 0,5 µg/l. Par matière active, seul le chlortoluron dépasse la norme de potabilité de 0,1 µg/l, avec une concentration atteignant 0,55 µg/l en moyenne à l’échelle du groupe. Nous agissons également sur quatre autres substances actives, dont trois herbicides colza. Leurs résultats moyens à l’échelle du groupe se situent entre 0,01 et 0,1 µg/l ce qui impose une certaine vigilance (aminopyralid, 2-4D, propyzamide, métazachlore). Il faut noter que pour la grande majorité des matières actives, leur concentration modélisée dans les eaux d'infiltration respecte la règlementation.

Les actions combinent la substitution par des matières actives qui ne posent pas de problème de concentration dans les eaux d'infiltration, du désherbage mécanique et des actions agronomiques. Certains adoptent la pulvérisation localisée. Ces actions permettront de réduire considérablement les quantités de phytosanitaires appliquées.
Ces actions visent cinq des 146 matières actives utilisées, sur seulement quatre types de sols qui posent problème. Il s’agit donc d’une action chirurgicale sur des scénarios d’application à problème bien identifiés. C’est bien différent de l’habituelle réduction aveugle de 30 à 50 % des IFT, qui ne garantit pas le résultat environnemental si les scénarios à risque ne sont pas identifiés et qui, de plus, réduit le rendement. Nous gérons le problème environnemental par les résultats et non par les moyens mis en œuvre. Cette stratégie est donc plus efficiente.

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PA : Et pour le stockage du carbone et la biodiversité ?
TC :
Pour le volet « stockage de carbone », l’outil Carbon Extract montre que nous pouvons générer 1,34 tonne de carbone par hectare et par an en moyenne en mettant en place des leviers de réduction des émissions de GES et de stockage de carbone. Cela représente 7 312 tonnes de carbone par an à l’échelle du groupe. Les écarts d’une exploitation à l’autre sont importants mais les leviers sont nombreux. Nous en avons identifié onze, notamment autour de la gestion de la fertilisation organique et minérale et de l’augmentation de la biomasse restituée au sol. Grâce aux diagnostics individuels, chaque agriculteur connait ses leviers et les tonnes de carbone supplémentaires à stocker sur lesquelles il peut s’engager.

Concernant le volet « biodiversité », nous avons réalisé, en partenariat avec Unilasalle, des comptages de vers de terre sur 120 parcelles. Une étude statistique met en évidence des variables qui expliquent leur abondance.

En parallèle, un plan d’action permet d’augmenter la production de nectar et de pollen du territoire, source de nourriture pour les pollinisateurs. Il consiste à implanter de nouvelles haies ou des bandes fleuries mais aussi à introduire dans les aménagements existants des espèces floristiques et ligneuses qui fleurissent soit tôt en mars, soit tardivement en octobre. L’objectif est d’augmenter la production de nectar et de pollen du territoire aux deux périodes clés pour les pollinisateurs durant lesquelles la ressource alimentaire est rare.

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