Impacts environnementaux des systèmes agricoles : l’AB sous la loupe de l’analyse du cycle de vie

En forte croissance en France et dans le monde, l’agriculture biologique a été reconnue comme écologiquement vertueuse à travers plusieurs études. Toutefois celles-ci ont peu souvent caractérisé ses impacts environnementaux. Le projet ACV Bio s’est attelé à ce travail au niveau français et, en appliquant la démarche de l’Analyse du Cycle de Vie, il a réalisé un bilan environnemental de onze systèmes de production « bio » en grandes cultures spécialisées.
L'agriculture biologique est-elle si vertueuse que cela ?

La méthode de l’Analyse du Cycle de Vie (ACV) réalise le bilan environnemental d’un produit, d’un système ou d’un service tout au long de son cycle de vie. Elle est régulièrement appliquée aux produits agricoles, y compris en France où, grâce à cette méthode, le projet AGRIBALYSE, initié en 2009, a constitué une base de données des impacts environnementaux des produits agricoles français, depuis la fabrication de leurs intrants jusqu’à leur sortie de la ferme (étapes de collecte et de transformation non comprises).

Cette base de données permet aux acteurs du monde agricole d’évaluer les impacts de leurs productions et d’initier des démarches d’écoconception, c’est à dire d’amélioration des systèmes de production afin de réduire leurs impacts. Une nouvelle version de la base de données AGRIBALYSE a été mise à disposition en 2020, qui intègre, entre autres, les données du projet ACV Bio.

Ce projet, financé par l’ADEME et le ministère de la Transition écologique et coordonné par INRAE, regroupe des partenaires de la recherche et de l’enseignement (INRAE-Rennes et Colmar, l’École Supérieure d’Agricultures d’Angers) et des instituts techniques (Arvalis, Terres Inovia, IDELE, IFIP, ITAVI, IFV, ITAB). Son objectif principal est la production de données d’analyse du cycle de vie d’une diversité de produits végétaux et animaux issus de l’agriculture biologique française.

Comment évaluer les systèmes conduits en AB ?

Le bilan environnemental se fait en quantifiant les flux de matières et d’énergie qui sont à l’origine d’impacts environnementaux. Classiquement, ces flux sont calculés en retraçant l’itinéraire technique de la culture sans tenir compte de la succession culturale.

En agriculture biologique, cependant, il est difficile d’en faire abstraction car l’itinéraire technique d’une culture dépend beaucoup de la succession culturale dans laquelle elle se situe, ce qui peut conduire à des estimations d’impact environnemental très différentes d’une succession à l’autre. De plus, l’impact de certains intrants (comme les produits organiques) est difficilement attribuable à une seule culture. L’une des innovations développées par le projet a ainsi été d’adapter la méthode de l’ACV en réalisant les calculs d’impact non plus à l’échelle d’une culture mais d’une succession culturale.

En revanche, concernant le choix des impacts étudiés (tableau 1) et des méthodes de calcul associées, les développements sont identiques à ceux utilisés pour la réalisation de la base de données AGRIBALYSE.

Ces impacts peuvent être exprimés par unité de surface occupée ou par kilogramme de produit récolté. Ces deux unités offrent un angle de vue différent : la première est adaptée pour réaliser des bilans territorialisés alors que la seconde offre un angle de vue « filière » grâce à la comparaison de l’éco-efficience(1) de différents systèmes de production.

Qu’apporte l’ACV à l’évaluation environnementale des systèmes en AB ?Les bilans environnementaux ont plusieurs utilisations possibles. D’abord, ils permettent de chiffrer certains impacts environnementaux, pour une culture ou une succession, dans différents contextes, notamment territoriaux. Le projet ACV Bio a ainsi permis de compléter les données de la base de données AGRIBALYSE en explorant une diversité de systèmes conduits en AB. Ces systèmes ne sont cependant pas représentatifs au niveau national. À ce titre, les données d’impacts environnementaux des produits du projet ACV Bio n’ont pas vocation à être utilisées pour calculer des moyennes régionales ou nationales.
Ces valeurs peuvent néanmoins être utilisées pour conduire des évaluations environnementales diverses, notamment sur les produits transformés issus de ces matières premières agricoles. Il est également possible de comparer les impacts obtenus et d’évaluer la variabilité des résultats en fonction des contextes. Sur ce point, les choix méthodologiques faits pour la réalisation de l’ACV sont essentiels. L’ACV est une méthode en évolution continue, et des améliorations sont nécessaires pour mieux évaluer le bilan environnemental des systèmes en AB (prise en compte de l’impact sur la biodiversité, intégration des services écosystémiques rendus…). Enfin, l’autre vocation de ces données est d’alimenter des démarches d’écoconception*, en améliorant le bilan environnemental d’un produit ou d’un service via la modification des pratiques agricoles à l’origine de ce produit.
(*) Un exemple d’analyse à visée d’écoconception pour la production de porc bio est donné en complément web sur http://arvalis.info/200

Onze successions étudiées à l’aide de l’ACV

Onze successions culturales ont été étudiées dans le cadre du projet, dans sept régions différentes, issues d’exploitations spécialisées en grandes cultures bio. Il s’agit de rotations d’une durée de 3 à 9 ans, dont quatre sont irriguées. Cinq d’entre elles, aux caractéristiques et impacts environnementaux contrastés, sont détaillées ici (tableau 2).

Ces cinq successions diffèrent par leur durée, les cultures qui les composent, les niveaux de rendement, et les quantités d’engrais, d’eau et de diesel utilisées. Les consommations d’énergie (diesel) sont proches, alors que les quantités d’eau, d’azote et de phosphore apportées sont très différenciées. Les rotations courtes ont, en tendance, davantage recours à ces intrants que les rotations longues.

La consommation d’eau est directement liée à la fraction de la rotation en cultures d’été. Cette fraction est moins importante dans les rotations longues décrites ici. Ces dernières présentent aussi une luzerne ou une prairie temporaire en tête de rotation, peu ou pas fertilisée, qui permet aussi de modérer la fertilisation des cultures suivantes tout en garantissant un bon niveau de rendement.

Intrants et cultures pérennes pèsent fortement dans le bilan environnemental par hectare cultivé

Leurs bilans environnementaux par unité de surface cultivée (figure 1) sont exprimés, pour chaque indicateur, en pourcentage de l’impact maximum obtenu par l’une des successions étudiées (valeur 100). Les successions ayant les impacts les plus forts vis-à-vis de l’eutrophisation de l’eau douce, l’acidification et l’écotoxicité de l’eau douce sont celles pour lesquelles les doses d’engrais apportées sont aussi les plus importantes. En effet, ces impacts sont très dépendants des quantités d’azote, de phosphore ou encore de métaux lourds exogènes dont les principaux vecteurs en AB sont les engrais.

Les successions ayant les demandes cumulées d’énergie les plus élevées sont celles ayant recours à l’irrigation, qui occasionne un surcroît de consommation d’électricité non négligeable. Les deux rotations courtes ayant recours à la fois aux engrais et à l’irrigation ont ici les impacts environnementaux les plus importants. À l’inverse, les deux rotations longues, malgré le recours à l’irrigation pour l’une d’elle, présentent les impacts environnementaux les plus faibles. Cet avantage pour les rotations longues s’explique, d’une part par un moindre recours aux engrais du fait de cultures de légumineuses pérennes en tête de rotation, et d’autre part par un effet de « dilution » des impacts de cultures « consommatrices » sur une durée plus longue.

On retrouve ainsi au sein des systèmes biologiques un poids très fort des intrants utilisés, à l’instar de ce qui a été mis en évidence dans d’autres études pour les systèmes conventionnels. D’un point de vue environnemental, les successions les moins consommatrices d’intrants sont les plus vertueuses.

Cette évaluation sera cependant à compléter, en regardant d’autres critères non couverts par l’ACV comme la rentabilité économique, le temps de travail ou encore la complexité technique à conduire ces successions. Par ailleurs, si sur le plan des émissions de polluants, les apports d’engrais, qu’ils soient organiques (ou minéraux dans le cas de l’agriculture conventionnelle), sont pénalisants, il ne faut pas oublier que ces produits contribuent au maintien de la fertilité des sols, indispensable pour assurer la durabilité de ces systèmes.

L’effet du choix de l’unité fonctionnelle est important dans ce type d’analyse

L’unité fonctionnelle est l’unité dans laquelle sont exprimés les résultats. Le bilan précédent était basé sur des résultats exprimés par unité de surface cultivée, qui évalue les impacts environnementaux pour un territoire. Si l’on exprime ces résultats par kilogramme de produit récolté (figure 2), on tient alors compte d’un service rendu par la mise en culture des terres, en quantifiant les produits sortants.

Dans ce cas, le bilan est encore favorable à la succession longue la moins consommatrice d’intrants (LG_IR0_Fer-), et beaucoup plus resserré entre les successions courtes CT_IR0_Fer- et CT_IR-_Fer+ (tableau 2). En effet, lorsque les bilans sont exprimés par kilogramme de produit, le rendement moyen de la succession est, cette fois, déterminant. La succession CT_IR-_FER+ est donc favorisée de même que la succession LG_IR0_Fer-, qui de surcroît utilise peu d’intrants.

Le choix d’exprimer les résultats dans l’une ou l’autre des deux unités doit donc être mûrement réfléchi en fonction des objectifs de l’étude.

(1) Éco-efficience : elle caractérise le coût environnemental ramené aux services rendus par le produit agricole.

Avec la collaboration d’Anne Laure Toupet-de Cordoue (Arvalis) et Aurélie Tailleur.

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