Formes d’azote à privilégier : entre rendement et charges d’engrais, le portefeuille balance

Entre objectifs de productivité et nécessités économiques, choisir ses engrais minéraux est devenu aujourd’hui très compliqué. Voici des pistes pour faciliter cette décision.
Quelle forme d'engrais choisir en blé d'hiver, maïs ou colza ?

Fin septembre, le cours de l’ammonitrate 33,5 % atteignait 975 €/t (départ usine), celui de l’urée, 857 €/t (départ port), et celui des solutions azotées, 695 €/t (départ Rouen). À cela s’ajoutent des difficultés d’approvisionnement : 70 % de la production européenne d’ammonitrate est à l’arrêt, faute de gaz, tandis que les importations sont en berne car une grande partie provenait de Russie… Conséquence de ces tensions, selon des données provisoires, le cumul des livraisons d’engrais azotés en mai 2022 depuis le début de la campagne serait en baisse de près de 17 % sur un an (selon l'UNIFA).

En parallèle, les cours du blé et du maïs se sont envolés, de même que celui du colza qui, après une courte stagnation, semble repartir à la hausse. Sur les marchés agricoles, le blé tendre se négocie ainsi autour de 350 € la tonne, le maïs grain, autour de 340 €/t, et le colza, autour de 630 €/t.

Perdre en rendement en raison d’une sous-fertilisation pourrait sembler contre-productif à première vue. Et décider du volume et de la forme de l’azote à apporter à ses cultures n’a jamais été aussi difficile.

Comment s’y retrouver ? Le raisonnement tenu ci-après pour le blé reste valable pour le maïs (encadré 1 p.45) et le colza (encadré 2 p.46) à la différence près que ces cultures ne sont pas concernées par de possibles réfactions.

L’efficience technique, un premier critère de choix

Le choix de la forme d’azote impacte le rendement mais aussi la qualité de la récolte. De nombreuses études en céréales ont montré que sur le plan de l’efficience de l’absorption de l’azote, l’ammonitrate sort gagnant devant l’urée et surtout devant les solutions azotées lorsque ces deux dernières formes sont sans adjuvant ni enrobage. En blé1 par exemple, il n’y a pas d’écart de rendement significatif entre une fertilisation à base d’urée ou d’ammonitrate, mais l’urée est moins efficace pour gagner des protéines (-0,23 % point de protéines par rapport à un ammonitrate). L’ammonitrate est également préférable à l’urée pour le colza.

Les solutions azotées sont moins efficientes tant sur les plans du rendement que des pro­téines avec, en moyenne, 3,3 q/ha de rendement en moins qu’avec l’ammonitrate, et plus d’un demi-point de protéines en moins. Cette moindre efficience pourrait s’expliquer par une plus grande propension de l’azote de la solution azotée à être organisé par les micro-organismes du sol.

"La solution azotée est moins efficiente que l’ammonitrate et l’urée et affiche des rendements en retrait de 3 à 3,5 q/ha."

Afin d’optimiser l’emploi de ces formes d’engrais, il est essentiel de respecter certaines conditions d’application : ne pas appliquer en cas de vent ou de chaleur sèche afin de limiter la volatilisation et apporter l'engrais seulement lorsqu’au moins 15 mm de pluie sont attendus sous quinzaine.

Certaines spécialités s’appliquent en pulvérisation foliaire (action systémique). L’azote peut s’y trouver sous forme d’urée, de nitrate d’ammonium, d’amide et/ou d’urée polymérisée. Selon une étude d’Arvalis2, à quantité totale d’azote identique (40 kg/ha) appliquée en fin de montaison au stade «dernière feuille» du blé, ces engrais foliaires ont été aussi efficaces que l’ammonitrate sur le plan du rendement mais obtiennent des teneurs en protéines inférieures de 0,5 % en moyenne. Toutefois, la plupart de ces engrais sont préconisés par les fabricants à des doses de 20 à 100 l/ha, ce qui correspond à des apports de 6 à 20 kg N/ha, insuffisants pour les besoins en fin de montaison. Ainsi, l’obligation de restreindre l’apport à de faibles quantités d’azote, pour éviter les brûlures et leur coût à l’unité fertilisante, limitent fortement l’intérêt technico-économique de ces produits.

Un moyen de faire des économies d'engrais azotés est de minimiser la volatilisation ammoniacale par le choix de la forme d’engrais et les conditions d’application.

Minimiser la volatilisation ammoniacale

La volatilisation de l’am­monium contenu dans les engrais en gaz ammoniac est une source de pollution et diminue la marge de production. Elle est favorisée par les sols de pH supérieur à 7,53, les conditions sèches et venteuses et un temps chaud durant les 6 à 48 heures suivant l’apport. Le phénomène est drastiquement réduit quand les engrais sont enfouis, même superficiellement (5 cm).

L’addition d’inhibiteur(s) d’uréase est également efficace. Cela explique que les performances des urées et des solutions azotées additionnées d’inhibiteurs d’uréase soient améliorées1. Chez le blé, l’urée avec inhibiteurs s’avère même un peu plus efficace, en sols calcaires, que l’ammonitrate pour le rendement et les deux formes s’équivalent pour le taux de protéines. En colza, les comparaisons menées entre urée avec inhibiteurs d’uréase et ammonitrate ne mettent pas en évidence de différence significative de rendement ; cependant, en tendance, l’ammonitrate est toujours plus efficace. En revanche, les performances des solutions azotées restent très inférieures à celles de l’ammonitrate, même additionnées d’inhibiteurs d’uréase.

Une autre voie pour contenir la volatilisation consiste à enrober l’engrais. Les urées enrobées, ou « engrais protégés », mettent progressivement à disposition l'azote minéral pendant le cycle de la culture. Cela peut permettre aussi de s’affranchir en partie du fractionnement et d’économiser ainsi un passage d’épandeur, et donc du carburant. Selon une synthèse de plus de 50 essais sur blé4, l’urée enrobée testée (COTEN 3 41 N) apporte un gain de rendement par rapport à l’ammonitrate.

En colza, les essais menés de 2016 à 2020 montrent qu’en conservant un fractionnement « classique », l’urée enrobée réduit le rendement de 1 à 2 q/ha. En réduisant le fractionnement, les rendements obtenus sont similaires à l’ammonitrate mais s’accompagnent d’une petite baisse de teneur en protéines. Cependant, leur coût étant plus élevé que l’ammonitrate, leur utilisation n’est pas rentable sur colza, même en réduisant le fractionnement.

Sur maïs, l’intérêt économique de l’urée enrobée comparée à l’urée classique varie selon les produits : en moyenne, elle n’apporte pas de gain significatif de rendement mais permet d’économiser un passage d’épandeur. Cependant, il est crucial de bien choisir la date d’apport en fonction des caractéristiques techniques du produit (ratio urée enrobée/urée non enrobée et vitesse de libération de l’azote) afin de ne pas voir les résultats décrocher par rapport à une urée classique en deux passages. Enfin, la formulation revient plus cher que l’ammonitrate et que l’urée avec inhibiteur d’uréase.

Faut-il aussi agir sur la dose totale ?

Au prix actuel des engrais et vu les risques de pénurie, il est désormais prudent de raisonner son choix d’engrais non seulement en fonction de son efficience technique mais aussi du seuil de rentabilité - et accessoirement, de sa disponibilité.

Se pose alors la question : peut-on réduire la dose prévisionnelle d’azote jusqu'à perdre du rendement, mais ainsi économiser sur les charges d’engrais5, de façon que le coût de la fertilisation reste soutenable et que la marge de l’exploitation soit maintenue ? Et si oui, de combien ?

La dose prévisionnelle est calculée pour assurer un rendement et une qualité optimale en fonction des objectifs de production de la culture. Elle tient compte des reliquats azotés qu’il faut, plus que jamais, estimer le plus précisément possible. Le COMIFER recommande de calculer cette dose prévisionnelle avec un outil d’aide à la décision6 afin de bénéficier des dernières avancées de la recherche.

Un compromis raisonnable doit être trouvé entre cette dose technique optimale et la dose d’azote maximisant la marge brute (optimum technico-économique). Un indicateur simple est le ratio « Prix de la tonne de la culture »/« Prix des 100 kg d’azote ». En dessous d’un certain seuil, l’optimum technico-économique est plus pertinent que l’optimum agronomique.

Concernant le blé, si le ratio « Prix de la tonne (en €/t, sans réfaction) »/« Prix des 100 kg d'azote » passe au-dessous de 1,2 , il devient alors opportun de viser l’optimum technico-économique et de baisser la dose d’azote en conséquence. Si le prix de vente du blé inclut une rémunération de la teneur en protéines, la valeur du ratio à retenir est de 1,1 - voire 1 si la grille de réfactions proposée est très incitative. En effet, la prise en compte de ces réfactions conduit à moins réduire la dose d’azote pour préserver la teneur en protéines et éviter des malus sur le prix de vente du blé.

Des tables ont été produites par Arvalis pour estimer la réduction acceptable de la dose totale d’azote en fonction du contexte des prix, avec et sans prise en compte des réfactions « protéines ». Leur prise en compte conduit à moins réduire la dose d’azote pour préserver la teneur en protéines et éviter des malus sur le prix de vente du blé. Ces tables sont disponibles (avec leur mode d’emploi) dans l’article « Optimiser la fertilisation en fonction de l'assolement », de ce numéro.

Compte tenu du contexte actuel, il peut être intéressant, voire nécessaire, de diminuer la dose totale d’azote apportée aux cultures - mais sous certaines conditions !

Qu’en est-il pour le maïs ?Le ratio « Prix de vente du maïs (en €/t) / Prix de l’azote (en €/100 kg) » est un indicateur simple à calculer et assez fiable pour juger rapidement de l’intérêt ou non de réduire la dose totale d’azote à apporter au maïs. Si ce ratio est inférieur à 1,5, il devient plus avantageux, pour maximiser la marge, d’apporter une dose d’azote inférieure à la dose prévisionnelle (qui vise l'optimum technique) : la perte de produit brut générée par des rendements légèrement inférieurs au potentiel (de l’ordre de -1 à -2,5 q/ha) est alors compensée par la réduction des charges de fertilisation. Il peut s’avérer judicieux de contractualiser une partie de la récolte afin de sécuriser le prix de vente et la valeur du ratio.

Arvalis a publié une table estimant, pour divers contextes de prix, la réduction de dose acceptable pour amortir la hausse du prix de l’azote ; elle est disponible dans l’article « Optimiser la fertilisation en fonction de l'assolement », de ce numéro. Par exemple, pour de l’azote acheté autour de 2,5 €/kg et du maïs négocié, en moyenne, autour de 260 €/t (soit un ratio de 1,04), il faudrait réduire la fertilisation azotée d’environ 25 kg N/ha par rapport à l’optimum technique.

L’économie d’engrais est à répartir sur l’ensemble des apports ou uniquement sur le premier selon l’importance du reliquat azoté avant le semis. La bonne valorisation de l’azote apporté passe par l’enfouissement des engrais et leur fractionnement, et le choix des formes d’azote les moins sujettes à la volatilisation ammoniacale. Pour limiter cette dernière, il est conseillé de positionner les apports juste avant une pluie d’au moins 15 mm ou un tour d’irrigation.

Chercher d’autres voies pour amortir les pénuries et/ou le choc des prix

Dans tous les cas, chaque unité d’azote apportée compte et doit être valorisée au mieux en l’apportant au bon moment. En blé, par exemple, les besoins en azote sont relativement faibles durant le tallage mais croissent fortement durant la montaison et restent élevés jusqu’à la fin de la phase de remplissage des grains. Il est donc déconseillé de réduire la dose d’azote du dernier apport et a fortiori de supprimer celui-ci, d’autant que cet apport tardif a un effet positif sur le taux de protéines, et donc sur la rémunération du blé. Mieux vaut répartir la diminution nécessaire sur les autres apports, voire supprimer le premier apport au tallage si le niveau de reliquats en sortie d’hiver est satisfaisant.

Différents leviers agronomiques réduisant la dépendance aux engrais minéraux de synthèse peuvent également être mobilisés. On peut citer l’introduction dans les rotations de légumineuses a minima en couvert d’interculture, voire en culture principale. Et, lorsque c'est possible, il peut s’avérer intéressant de nouer un partenariat avec un éleveur afin d’obtenir des engrais organiques, ou d’utiliser les digestats de méthaniseur ou d’autres produits résiduaires organiques (voir l’article suivant).

(1) Ces résultats sont détaillés en complément web sur http://arvalis.info/2h1
(2) Plus de précisions dans l'article « Les apports de nutriments par voie foliaire sur céréales à paille ont-ils un intérêt ? » sur le site web de Perspectives Agricoles.
(3) Une grille du COMIFER pour auto-évaluer le risque de volatilisation à la parcelle est consultable sur http://arvalis.info/2gz.
(4) Plus de précisions dans l’article « Choix des engrais azotés : des références économiques nouvelles », Perspectives Agricoles n°469 (septembre 2019).
(5) Arvalis a développé un OAD gratuit pour estimer l’impact des coûts de production sur la marge de l’exploitation : http://oad.arvalis-infos.fr/impactcoutproduction.
(6) Le COMIFER propose une liste d’OAD pour gérer la fertilisation azotée, labellisés « Prev’N » et conformes à la Directive Nitrate, sur http://arvalis.info/2h0 (mise à jour : août 2022) dont l’outil FertiWeb, promu par Arvalis, disponible sur https://aurea.eu/services/fertiweb.

Le colza d’hiver préfère l’ammonitrateDouze essais menés sur cinq ans 7 ont montré un net avantage à choisir l’ammonitrate par rapport à l’urée sur colza d’hiver. La comparaison de ces deux formes d’azote a porté sur le rendement, la teneur en huile et l’efficience d’absorption de l’azote. Si l’on considère l’effet de la forme d’engrais apportée durant la campagne sans tenir compte de la forme apportée les années précédentes (effet annuel), l’apport d’ammonitrate conduit à un gain moyen de rendement de 1,2 q/ha par rapport à l’urée, liée à une moindre volatilisation de l’ammonitrate.

À l’échelle « pluriannuelle », l’effet de l’apport répété d’ammonitrate sur cinq ans conduit à un gain moyen de rendement de 2,4 q/ha par rapport à l’urée, en raison d’une meilleure valorisation de cette forme d’azote par le colza : la quantité d’azote absorbée mesurée au stade G4 est en moyenne supérieure de 27 kg/ha pour l’ammonitrate. La teneur en huile du colza apparaît légèrement dégradée par l’utilisation d’ammonitrate par rapport à l’urée (-0,48 %) mais cette baisse est compensée par une augmentation de la production d’huile à l’hectare.

Cinquante-deux essais « Courbes de réponse du rendement à la dose d’azote » conduits par Terres Inovia ont permis d’évaluer la dose d’azote optimale sur le plan technico-économique à apporter au colza, qui tient compte des prix des engrais et des graines de colza. La table calculant la réduction de dose d’azote à réaliser par rapport à l’optimum technique afin d’amortir la hausse des prix de l’azote (pour différents prix du colza et de l’azote) est disponible dans l’article « Optimiser la fertilisation en fonction de l'assolement », de ce numéro.

Il n’est pas nécessaire d’envisager une réduction de dose par rapport à la dose optimale calculée avec la « Réglette azote Colza » tant que le rapport entre le prix de la tonne de graines et le prix des 100 kg d’azote est supérieur à 2,7. En dessous de 2,7, une réduction d’au moins une vingtaine d’unités est possible (zone orange foncé de la table). La réduction de dose peut être portée à au moins 40 kg N/ha lorsque ce rapport devient inférieur à 1,9.

Sur petits colzas, en cas de forte réduction de dose, préserver le premier apport en sortie de l’hiver (env. 40 kg N/ha) afin de faciliter le démarrage de la croissance ; la réduction de dose totale sera répartie sur les autres apports. Dans les autres cas, la réduction peut être répartie sur les différents apports.

Grégory Véricel - g.vericel@arvalis.fr
Luc Champolivier - l.champolivier@terresinovia.fr
Paloma Cabeza-Orcel - p.cabeza@perspectives-agricoles.com
Cécile Le Gall - c.legall@terresinovia.fr

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