Fertilisation : l’injection d’azote réduit les pertes ammoniacales

Le projet « Innov.AR » vise à mettre à disposition des agriculteurs les solutions agroécologiques les plus pertinentes pour la zone du Rhin Supérieur. L’injection d’azote dans le sol est une des innovations dont les premiers résultats apparaissent prometteurs.

L’agriculture doit relever le défi de la réduction des incidences environnementales, en particulier celles des engrais (pertes dans le sol ou par volatilisation), tout en optimisant les coûts. Cela est d’autant plus vrai dans les espaces densément peuplés comme celui du Rhin Supérieur (Alsace-Bade-Wurtemberg). La méthode CULTAN, pour Controled Uptake Long Term Ammonium Nutrition, est ainsi testée dans le cadre de travaux transfrontaliers, regroupant des instituts techniques et des entreprises françaises et d’Outre-Rhin.

La fertilisation du maïs par cette méthode « d’absorption d’ammonium contrôlée à long terme» est née en Allemagne dans les années 1970. Elle consiste à injecter en un passage la dose totale d’azote sous forme d’un dépôt concentré d’ammonium, localisé un inter-rang sur deux, à une profondeur constante de 15 à 18 cm.

La concentration en ammonium conduirait localement à une toxicité pour les micro-organismes, réduisant ainsi la nitrification et les pertes par l’adsorption aux colloïdes du sol. La plante assurerait alors une part plus importante de son alimentation azotée sous forme d’ammonium (NH4+), de manière plus efficiente en concentrant son système racinaire autour du dépôt d’azote.

Un même niveau de rendement

Depuis 2012, les projets franco-allemands «INDEE» puis «Innov.AR» ont établi un grand nombre de références sur la méthode CULTAN testée au champ. Le choix de l’engrais s’est tout d’abord tourné vers une forme uréique avec retardateur de nitrification. Cependant, les comparaisons avec des urées simples n’ont pas fait apparaitre de différence de résultat ; dans beaucoup d’essais, l’urée 46 a été retenue.

La fertilisation classique a été réalisée par des apports en surface ou enfouis par binage. Plusieurs formes d’engrais ont été utilisées (ammonitrate, Alzon…). Pour une large gamme de rendement, les résultats n’indiquent pas une tendance particulière en faveur de la fertilisation classique ou de la méthode CULTAN. Toutefois, de moins bons résultats en urée de surface peuvent être attribués à des pertes par volatilisation. A dose identique, la fertilisation CULTAN aboutit à des rendements similaires à ceux d’une fertilisation classique, quel que soit le niveau de rendement de la parcelle (figure 1).

Pas d’effet de réduction de dose, ni de meilleure efficience

En se basant sur l’hypothèse d’une meilleure valorisation de l’azote apporté par la méthode CULTAN, des essais à dose réduite d’azote ont été menés (comparaisons de courbes de réponse complètes ou comparaisons à dose X et X-20 %). Dans seize situations où l’ensemble des données sont disponibles, les résultats montrent que réduire de 20 % la dose bilan (dose d’azote calculée avec la méthode du bilan) en appliquant l’injection d’azote CULTAN ne provoque pas de perte de rendement par rapport à la dose bilan (+ 0,47 q/ha). La perte est plus conséquente (-2,4 q/ha) en mettant en œuvre la réduction de 20 % dans le cadre d’une fertilisation classique avec un engrais de surface ou enfoui par binage. Les différences entre ces résultats ne sont toutefois pas significatives, ce qui ne permet pas de conclure catégoriquement à un effet de réduction de dose grâce à la méthode CULTAN.

Une approche de l’efficience de l’azote a été réalisée en mesurant l’azote absorbé par des plantes fertilisées de manière différentes. Les courbes de réponse ont montré des coefficients apparents d’utilisation de l’azote (CAU) similaires. Sur 50 couples différents, il n’est pas possible de mettre en évidence une différence significative sur l’azote absorbé.

Le projet « Innov.AR » se poursuit en 2019, d’une part, avec la mesure de l’effet d’une fertilisation starter en complément de la fertilisation CULTAN, et d’autre part, avec la détermination de la date d’apport la plus favorable (notamment avant le semis grâce au guidage RTK). Par la suite, il est envisagé d’étudier l’effet de la méthode CULTAN sur la culture suivante.

Suppression de la volatilisation

Installer une barrière physique par l’enfouissement de l’engrais, appliqué sous forme uréïque ou ammonium, limite les pertes ammoniacales dans l’air. Les travaux utilisant la méthode CULTAN depuis 2012 confirment ce principe(1), en particulier en utilisant un engrais avec inhibiteur de nitrification. Les essais 2018, menés avec un prototype plus abouti, ont cherché à connaitre les conséquences de l’enfouissement sur la volatilisation de la simple forme urée, moins onéreuse.

Les résultats obtenus à Rumersheim-le-Haut (68) montrent que, suite au premier apport d’azote(2), les quantités d’ammoniac (NH3) s’échappant de la parcelle sont faibles. Toutefois, la hiérarchie des émissions est nette. L’enfouissement par binage réduit les flux mais des granulés peuvent persister en surface et provoquer des pertes en ammoniac. L’utilisation de retardateur d’uréase (NBPT), qui ralentit l’hydrolyse de l’urée, est très efficace dans les conditions de l’essai. Enfin, l’injection d’urée par la méthode CULTAN réduit complétement la volatilisation. Après les deux apports d’engrais à Rumersheim-le-Haut, le pourcentage d’azote perdu selon le mode d’apport est sans appel : urée de surface 12 %, urée enfouie par binage 8 %, urée avec NBPT 3 % et urée injectée 0 %.

(1) Voir Perspectives Agricoles n°421, avril 2015, p. 33.
(2) 130 kg N/ha pour l’urée de surface, l’urée enfouie par binage et l’urée avec NBPT ; 220 kg N/ha pour l’urée injectée CULTAN.

Zoom : Mutualiser pour transférer les innovationsAutour de la frontière franco-allemande, un projet de recherche fédère de nombreux partenaires afin de développer des solutions agroécologiques dans les domaines de la nutrition des plantes et de la lutte contre les ravageurs.

Le projet « Innov.AR », pour innovations en agroécologie dans l’espace du Rhin supérieur, associe les entreprises agricoles et les organismes de recherche appliquée de ce territoire (encadré). Ce réseau transfrontalier a été mis en place dans le cadre d’un projet « Interreg »(1) soutenu par l’Union européenne.
S’étendant de 2017 à 2020, les recherches portent sur la fertilisation et la protection des cultures majeures de la plaine rhénane, en vue de produire avec moins d’intrants chimiques. « Innov.AR » travaille d’une part sur la fertilisation du maïs (évaluation de la méthode d’injection d’azote CULTAN), et d’autre part sur les moyens de lutte, à l’aide de solutions de biocontrôle, contre les maladies du blé, contre le taupin sur maïs et pomme de terre et contre la chrysomèle du maïs. Le partenariat transfrontalier consacre chaque année, une dizaine d’essais sur la septoriose du blé, et le même nombre sur la fusariose des épis.

Des sites d’étude spécifiques…


En plus des essais communs, certains sites du projet « Innov.AR » mettent en œuvre des dispositifs particuliers. La brumisation sur le site de Colmar permet de s’affranchir des printemps sec et d’étudier chaque année le potentiel des produits de biocontrôle contre la fusariose des épis. L’installation de bougies poreuses à Speyer en Rhénanie-Palatinat par l’institut technique Lufa, ainsi qu’à Schirrhein en Alsace par la chambre d’Agriculture, a pour but de mesurer l’impact de la méthode CULTAN sur la qualité de l’eau de percolation. Arvalis et Atmo Grand-Est, l’organisme de surveillance de la qualité de l’air, suivent sur deux sites annuels la volatilisation en ammoniac des engrais agricoles, susceptible de se combiner avec les émissions provenant du trafic routier. L’injection de nématodes entomopathogènes contre la chrysomèle du maïs est mise en œuvre dans le Bade-Wurtemberg par Anna, un bureau d’étude, et le Landratsamt, la chambre d’Agriculture du Bade-Wurtemberg.

…et des travaux à grande échelle

Outre les essais réalisés par les partenaires, ce projet comprend la mise en œuvre du prototype d’injection d’azote CULTAN chez des agriculteurs volontaires. Avec plus de 600 hectares de tests, il s’agit d’évaluer la fiabilité de ce procédé, mais aussi ses contraintes, dans un grand nombre de situations (parcelles en pente, sensibles à la battance, etc.). Par ailleurs, des enquêtes sont réalisées par des étudiants auprès d’agriculteurs des deux côtés du Rhin pour connaitre les freins et les motivations à adopter ces nouvelles méthodes de travail.

(1) « Innov.AR » est soutenu par le FEDER (fonds européens) dans le cadre du programme INTERREG V (2014-2020). Sur un budget global de 1,9 M€, l’Union européenne participe à hauteur de 942 K€, la région Grand-Est apporte 40 K€ et le Ministère du Bade-Wurtemberg 10 K€. Les dix partenaires techniques financent le reste, soit 894 K€. Arvalis coordonne les travaux et les communications.

Un pool transfrontalier

« Innov.AR » regroupe dix partenaires techniques, prenant directement part aux travaux, et dix-huit partenaires associés, situés dans l’espace du Rhin supérieur (Alsace, Bade-Wurtemberg, Rhénanie Palatinat, canton de Bâle campagne). Les études sont menées sur la base de protocoles communs explorant toutes les situations régionales. Ce projet est animé par un groupe mixte transfrontalier, dont les 90 membres, pour moitié des partenaires techniques et pour moitié des entreprises agricoles, se réunissent tous les six mois et déterminent les orientations des travaux.

En savoir plusUne présentation détaillée du projet « Innov.AR » est disponible sur www.agroecologie-rhin.eu. Il est associé à «AGRO-Form», un autre projet développant des formations en agroécologie et un réseau de groupes d’agriculteurs.

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