Épandage d’engrais minéraux : Prévoir et atténuer le risque de volatilisation

Trois ans d’essais ont étudié avec une précision améliorée la dynamique de la volatilisation ammoniacale consécutive à l’épandage de différents types d’engrais minéraux et organiques, enfouis ou non.
Travailler en combinaison les formes d’azote et d’enfouissement

L’azote présent dans les engrais minéraux ou organique n’est pas entièrement valorisé par les plantes : une partie est transférée dans l’air et dans l’eau ou stockée dans le sol. L’un des processus impliqués dans les transferts d’azote entre les engrais et l’environnement est la volatilisation ammoniacale. Celle-ci correspond à une réaction acido-basique de l’ion ammonium (NH4+) présent dans la solution du sol qui conduit à la formation d’ammoniac sous forme gazeuse (NH3).

L’ammoniac est un précurseur de particules fines dans l’atmosphère, néfastes pour la santé humaine. Pour cette raison, les niveaux d’émissions en Europe et en France sont surveillés et réglementés (directive NEC 2016/2996, Plan national de réduction des émissions des polluants atmosphériques 2017). Les réglementations internationales imposent une réduction de 4 % des émissions à l’horizon 2020 puis de 13 % d’ici 2030 par rapport à l’année de référence (2005).

94 % des émissions d’ammoniac dans l’atmosphère sont attribuables à l’agriculture. Afin de respecter les objectifs en matière de qualité de l’air, des mesures de réduction des émissions agricoles doivent être développées, notamment lors de l’apport d’engrais, en augmentant au maximum l’efficacité des apports d’azote.

Dans ce contexte, les pertes par volatilisation ammoniacale consécutives à l’épandage d’engrais minéraux et organiques et les pratiques agricoles qui les réduisent ont été étudiées par deux projets financés par l’ADEME(2) : EVAPRO (Évaluation des pertes d’azote par Volatilisation Ammoniacale suite à l’épandage de Produits Résiduaires Organiques) et EVAMIN (Évaluation des pertes d’azote par Volatilisation Ammoniacale suite à l’épandage d’engrais MINéraux). Ces projets évaluent plus particulièrement les leviers d’atténuation des pertes par volatilisation ammoniacale. La précision des prédictions des modèles de volatilisation ammoniacale des outils AzoFert et Syst’N, ainsi que de la grille d’évaluation du risque COMIFER-RMT Fertilisation et Environnement est également évaluée.

Ces projets calculent en outre les pertes spécifiques des conditions françaises, aux itinéraires culturaux et contextes pédoclimatiques variés. Leur originalité consiste à estimer les émissions d’ammoniac pour d’autres cultures que le blé, ainsi qu’à évaluer plusieurs leviers agronomiques, non seulement individuellement mais aussi en combinaisons, dans les mêmes conditions.

« Bien qu’encore perfectibles, les OAD peuvent contribuer à limiter les émissions d’azote vers l’environnement. »

Cinquante et une modalités d’épandage évaluées

Les essais au champ, menés à l’échelle nationale, cherchent à déterminer la sensibilité à la volatilisation ammoniacale des diverses formes d’engrais disponibles en France et à quantifier la part de cette volatilisation dans l’efficacité agronomique des engrais azotée (CAU). Ils évaluent également l’efficacité de nouvelles technologies des engrais, telles que les inhibiteurs de l’hydrolyse de l’urée (NBPT), et enfin l’efficacité des méthodes d’applications des engrais, dont l’enfouissement.

Pour les engrais minéraux, les expérimentations ont eu lieu sur seize essais répartis sur trois ans, de 2016 à 2018. Pour l’ensemble du réseau, deux groupes de modalités ont été travaillés en combinaison : la forme d’azote et l’enfouissement. Deux essais étudiaient uniquement différents modes d’enfouissement (binage après l’apport, enfouissement au moment de l’apport et incorporé par le semis) sur le colza et deux autres, sur le maïs ; cinq essais évaluaient uniquement quatre formes d’engrais (solution azotée, solution azotée + NBPT, urée, et urée + NBPT) sur le blé et deux autres, sur le colza ; un essai étudiait à la fois l’enfouissement et les formes d’engrais sur betteraves et deux autres, sur maïs.

L’évaluation des leviers d’atténuation repose sur les données collectées dans les essais au champ. Les concentrations en ammoniac au-dessus des champs sont mesurées directement par des capteurs(3) qui absorbent l’ammoniac sous forme gazeuse dans l’air ambiant à trois hauteurs : 30 cm, 2 m et 3 m ; ces concentrations évoluent en fonction de la durée d’exposition des capteurs. Les flux d’ammoniac sont calculés à partir de la différence de concentrations en ammoniac mesurées entre le premier et le deuxième capteur. Le capteur à 3 m sert à détecter d’éventuelles autres sources de pollution ammoniacale provenant de l’air ambiant. Ces mesures permettent de calculer les valeurs absolues des flux d’ammoniac à la surface de chacune des placettes d’essais au moyen du modèle FIDES . Elles permettent ainsi de comparer avec précision les pertes pour chacune des formes d’engrais.

Les pertes d’azote par volatilisation ammoniacale sont très variables selon la forme d’azote et les conditions d’apport (pH du sol, vent, pluie…) - de 0 à 42 kg d’azote par hectare fertilisé. Les cinétiques des pertes pour les engrais minéraux sont plus progressives que pour les produits résiduaires organiques (PRO) : pour les premiers, la majorité des pertes par volatilisation se déroule dans les 4 à 6 jours après l’apport, alors que pour les PRO, 80 % des pertes interviennent dans les deux jours suivants l’apport. La dynamique de volatilisation est également plus progressive lorsque le produit contient de l’urée, en raison de son hydrolyse progressive.

Parmi les engrais minéraux, l’ammonitrate est la forme la moins sujette à la volatilisation, tandis que l’urée présente le risque le plus élevé de perte vers l’atmosphère. La solution azotée présente des risques intermédiaires, mais a une efficacité agronomique moindre.

En raison de conditions météorologiques annuelles ne favorisant pas les émissions d’ammoniac pendant ces essais, il n’a pas été trouvé de différences significatives en matière de réduction de la volatilisation ammoniacale entre les différentes pratiques d’apport d’engrais (enfoui ou non). Cependant, d’autres études(4) ont clairement démontré l’intérêt de l’enfouissement pour réduire cette volatilisation.


Améliorer l’estimation des émissions d’ammoniac

Les données collectées ont permis d’évaluer trois outils estimant les pertes par volatilisation ammoniacale : la grille COMIFER-RMT Fertilisation et Environnement, et les logiciels AzoFert et Syst’N.

L’objectif de la grille COMIFER est de quantifier le risque de pertes d’azote par volatilisation en fonction des pratiques, des formes d’azote et du contexte pédoclimatique. Pour pallier à ces pertes, elle propose d’ajuster l’apport prévu en appliquant une majoration de 0 à 15 % à cet apport selon les propriétés du sol (pH et CEC) et les conditions météorologiques au moment de l’apport (pluviométrie prévue à 3 jours, vitesse du vent, température le jour de l’apport). Les comparaisons entre les mesures au champ et les évaluations à partir de la grille COMIFER sont difficiles, car cette grille intègre déjà une partie de la volatilisation - mais couplée à un effet plus global de l’efficacité de la forme d’engrais. Elle représente donc mieux l’efficacité des engrais (tenant compte de la volatilisation) que la volatilisation proprement dite.

AzoFert est un outil d’aide à la décision qui calcule une dose d’azote à partir de la méthode du bilan. Les calculs de volatilisation sont faits a priori et n’incluent donc pas les variables météorologiques au moment de l’apport puisqu’ils ne sont pas connus. L’OAD considère que les conditions météorologiques sont optimales pour l’apport d’engrais. Par contre, le type d’engrais utilisé, ainsi que les paramètres du sol tels que les teneurs en argile et en carbone et le pH, sur lesquels l’agriculteur ne peut pas agir, entrent en compte dans le calcul. Les résultats des essais montrent que les estimations de la volatilisation ammoniacale par AzoFert tendent à être sous-estimées (figure 1-A). En effet, le conseil de dose d’azote est donné pour des conditions idéales d’apport, donc avec des risques de pertes minimes.

Syst’N est un outil évaluant les émissions d’azote des parcelles agricoles vers l’environnement. Il est utilisé par des conseillers afin d’évaluer l’impact des différentes pratiques agricoles à l’échelle de la rotation. Les calculs tiennent compte des variables météorologiques (comme la température ou la pluviométrie) lors de l’apport des engrais. Les résultats du projet montrent que l’outil Syst’N simule correctement la plupart des essais (figure 1-B), mais que certains facteurs doivent être mieux pris en compte tels que les sols très basiques ou la solubilisation des granulés.

La volatilisation ammoniacale calculée avec les OAD est plus précise que celle donnée par les facteurs d’émissions issus du programme EMEP(5) de surveillance et d’évaluation des transmissions de long cours des polluants de l’air en Europe. En outre, les calculs des OAD prennent en compte les propriétés physico-chimiques du sol, qui jouent un rôle important dans la variabilité des émissions.

La modélisation de ce flux d’ammoniac est donc une étape importante pour pouvoir estimer les pertes de façon fiable, afin de pouvoir conseiller le cas échéant un levier d’atténuation.


(1) Du laboratoire départemental d’analyses et de recherche (LDAR) du Conseil départemental de l’Aisne.
(2) Programmes CORTEA 2015-2019 et PRIMEQUAL, respectivement.
(3) Les badges Alpha ont été mis au point dans le projet CASDAR VOLAT’NH3.
(4) Voir, par exemple, l’article « Fertilisation azotée minérale du blé et du maïs : optimiser l’efficacité des apports », Perspectives Agricoles n°464, mars 2019.
(5) Plus d’informations sur https://www.unece.org/env/lrtap/emep_h1.html.

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