Pour nourrir le monde, il faut des gains de productivité

Les besoins en nourriture d’ici 2050 grimperont de 70 % par rapport aux années 2000. Comment y faire face ? Quels facteurs conditionnent la réussite d’une agriculture performante à même de nourrir sa population ? Dans leur « Atlas des politiques agricoles et alimentaires », Philippe Ducroquet et Jean-Paul Charvet passent en revue trente pays.
Dans le nord de la Côte d’Ivoire, des paysans ont pu, grâce à la culture attelée, plus que doubler leurs surfaces en coton et cultures vivrières et augmenter leurs rendements.

Dans le nord de la Côte d’Ivoire, des paysans ont pu, grâce à la culture attelée, plus que doubler leurs surfaces en coton et cultures vivrières et augmenter leurs rendements.

Dans un contexte où la sous-nutrition progresse de nouveau dans le monde, les disparités sont considérables entre les pays qui ont réussi à la réduire dans des proportions importantes (à commencer par la Chine) et beaucoup d’autres où la faim a progressé, en particulier en Afrique et au Moyen-Orient. La faim a partout reculé en Asie et, dans une moindre mesure, en Amérique latine. (…)

Des conditions naturelles favorables ne suffisent pas pour éradiquer la sous-nutrition. Les exemples de la Zambie (excès d’autorité), de Haïti (excès de libéralisme) et de Madagascar (carences de l’état) montrent que ces pays ont vu leur situation alimentaire se dégrader en raison de politiques agricoles inadaptées ou inexistantes. Chaque fois, les politiques agricoles et agroalimentaires retenues ont joué un rôle fondamental dans ces succès et échecs respectifs. (…)

Nourrir 10 milliards d’hommes en 2050

Les dernières projections prévoient que [la population mondiale] pourrait atteindre près de 10 milliards d’individus en 2050 (selon l’hypothèse moyenne) après avoir dépassé 8,5 milliards en 2030. Alors que la croissance démographique constitue le principal facteur d’augmentation de la demande alimentaire dans les pays les plus pauvres, ce sont donc 2 milliards d’humains supplémentaires qu’il faudra pouvoir nourrir. (…) Ce phénomène va continuer à soutenir le dynamisme de la demande en produits alimentaires et agricoles.

Libéralisme ou protectionnisme ?

Faut-il choisir une politique agricole et alimentaire plutôt libérale, sans trop d’aides publiques tout en développant les échanges, pour favoriser au moins à court terme les consommateurs, au risque de défavoriser les producteurs locaux ? Ou faut-il développer l’agriculture nationale pour assurer la sécurité alimentaire, à coup d’aides publiques pour les producteurs et de protections aux frontières, au risque de défavoriser, au moins à court terme, les consommateurs ? (…)

Pour des pays encore peu performants, le protectionnisme peut être aussi un moyen de développer leur propre agriculture. C’est ainsi, par exemple, que l’Union européenne a eu besoin d’environ 35 ans (1957-1992) pour devenir une grande puissance agricole. (…) La crise sanitaire de la Covid-19 de 2020-2021 et plus encore la guerre en Ukraine rappellent à chacun qu’il peut être raisonnable de produire chez soi des produits vitaux qui pourraient être importés à meilleur marché, ne serait-ce que parce que ces importations peuvent se trouver interrompues du jour au lendemain. (…)

SOUTIEN à LA PRODUCTION LOCALE : plusieurs pays en développement ont les ressourcesEn réalité, aucun pays ne s’inscrit entièrement dans une doctrine ou dans une autre. La plupart des économies libérales présentent des lois ou des organismes de contrôle visant à éviter – ou du moins à limiter – les excès de fluctuation et de fonctionnement des marchés. La question n’est pas d’opter de façon systématique pour une politique soit libérale, soit protectionniste, mais plutôt de déterminer où placer le curseur en prenant en compte les atouts et les contraintes nationales. (…) En dépit du retour des politiques protectionnistes qui ont suivi les émeutes de la faim, les échanges internationaux continuent à augmenter, avec des gagnants et des perdants. Les échanges internationaux de grains (blé, maïs, riz) sont en forte croissance (…) et continuent de croître, passant de 17 à 25 % de la production mondiale pour le blé, de 13 à 15 % pour le maïs (…).

Huit prérequis

Les politiques agricoles, qu’elles soient libérales ou protectionnistes, doivent répondre à un minimum de conditions connexes pour être efficaces. Un certain nombre de prérequis sont nécessaires. Doivent être surmontés les insuffisances de l’état, l’absence d’infrastructures rurales (routes, écoles, dispensaires) et de développement des autres secteurs de l’économie, le handicap des technologies trop rudimentaires, la mise en place de politiques sans organisations paysannes ni véritables marchés agricoles, enfin le manque d’industries de transformation sur place et l’insuffisance des moyens financiers consacrés au développement de l’agriculture et à l’accompagnement des agriculteurs.

À la différence de l’Afrique, il est intéressant de noter qu’en Asie, tous les pays étudiés, à l’exception peut-être de l’Inde, ont considérablement amélioré leur situation alimentaire grâce à des politiques satisfaisant l’ensemble de ces prérequis.

Doubler les rendements dans beaucoup de pays

Parmi les incertitudes liées au potentiel de production :  les surfaces cultivées et la progression des rendements (figure 2). [Les] terres agricoles ne pourront être étendues que dans des proportions limitées, sauf en Afrique et en Amérique latine.
Les rendements élevés devraient rapidement plafonner, en particulier avec les techniques de production relevant de l’agroécologie, tout au moins dans les pays développés. (…) Au niveau mondial, depuis 1960, l’accroissement de la production agricole a reposé pour 85 % sur la progression des rendements et seulement pour 15 % sur l’extension des surfaces cultivées. (…)

Puisque les réserves en terres cultivables apparaissent limitées (10 à 15 % au plus dans les décennies à venir), il demeurera indispensable que les rendements continuent à progresser. Sans cela, la production agricole ne parviendrait pas à répondre à l’accroissement de la demande alimentaire. Il existe heureusement une importante marge d’amélioration des rendements dans beaucoup de pays d’Afrique subsaharienne qui ont encore des rendements extrêmement faibles (de l’ordre de 7 à 10 q/ha) et qui pourraient les doubler avec une amélioration des méthodes de culture et le recours à des intrants. Avec des semences plus productives, on peut réduire la faim et éviter la déforestation. Pour accroitre les rendements par hectare et réduire les pertes de récolte liées aux bioagresseurs (sauterelles, nécroses diverses), le recours aux intrants d’origine naturelle pourrait devenir une solution alternative et souhaitable, mais les intrants d’origine industrielle resteront encore longtemps indispensables.

Éviter les émeutes

Quels pays ont été les plus efficaces pour réduire la faim ?  

L’étude répartit les 30 pays en quatre catégories, en fonction de leur situation :

  • Les pays à fort potentiel agricole et disposant d’avantages comparatifs, qui ont naturellement tendance à profiter de ces avantages en pratiquant une politique libérale.
  • Les pays tirant profit de rentes d’origine non agricole pour leur alimentation (pétrole, or, cuivre, diamant) ou provenant de culture de rente (cacao, café, caoutchouc), qui sont tentés par une politique libérale en finançant leur facture alimentaire grâce aux recettes procurées par ces ventes. L’exemple le plus illustratif est sans doute le Botswana, pays désertique regorgeant de diamants, d’or, de cuivre, de nickel et d’argent. (…)
  • Les pays à potentiel agricole plus ou moins limité, avec une politique d’autosuffisance forte. Parmi les exemples les plus illustratifs figurent le Malawi, l’Indonésie, la Chine, la Turquie, le Japon, l’Inde et la Russie depuis l’arrivée du président Poutine. (…)
  • Les pays libéraux sans forte ou unique volonté d’autosuffisance alimentaire, soit par réalisme économique (Maroc, éthiopie, Israël, Sénégal), soit par manque de moyens financiers (égypte, Cuba, Mali). (…)
CROISSANCE DE LA PRODUCTION : des marges de manœuvre qui diffèrent selon les pays

CROISSANCE DE LA PRODUCTION : des marges de manœuvre qui diffèrent selon les pays

Figure 2 : Potentiel d’augmentation de la production agricole par les rendements et par les surfaces.

L’ère de la souveraineté alimentaire

Entrons-nous durablement dans une phase protectionniste (…), puisque les principaux dirigeants de la planète (Trump aux états-Unis jusqu’en 2021, Poutine en Russie, Xi Jinping en Chine) brandissent à la moindre occasion des menaces de fermeture des frontières ?
Le leitmotiv depuis la pandémie de Covid-19 et la guerre en Ukraine est celui de la souveraineté alimentaire. (…)

L’appel des responsables politiques à davantage d’autosuffisance alimentaire ne se traduira probablement ni par un retour à l’autarcie, ni par des relocalisations massives, mais plutôt par des politiques de sécurité alimentaire plus diversifiées dans leurs approvisionnements pour ne pas dépendre d’un seul pays.

Atlas des politiques agricoles et alimentaires Philippe Ducroquet, Jean-Paul Charvet.  éditions du Rocher, 248 pages, 24,90 €.En savoir plus

Atlas des politiques agricoles et alimentaires
Philippe Ducroquet, Jean-Paul Charvet.
Éditions du Rocher, 248 pages, 24,90 €.
 

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