Comment affronter une mauvaise année ?

Faire une mauvaise récolte, subir des prix en berne et l’augmentation vertigineuse des charges : comment passer ce mauvais cap ? Si aucune réponse toute faite n’existe, plusieurs conseils – parfois de bon sens – méritent d’être rappelés.
L’évolution des charges est telle que des marges de manœuvre peuvent parfois être trouvées en se comparant à des moyennes de groupe.

Et si l’inconfort d’une mauvaise récolte alliée à une forte inflation était l’occasion de remettre en question le niveau de ses charges opérationnelles, des charges de structures, et plus globalement du fonctionnement de l’exploitation ? Tous les boulons ont-ils déjà été serrés ? Sûrement, mais parfois, de nouveaux tours de vis sont possibles. « Je rencontre des agriculteurs qui ont parfois l’impression d’avoir déjà maximisé tous leurs postes de charges et qui, lorsqu’ils comparent leurs chiffres à des moyennes de groupe, identifient des marges de manœuvre », rappelle ainsi Céline Sibout, ingénieure conseil agricole chez Fiteco. Est-ce si surprenant ? En régime de croisière, il arrive que les entreprises dévient de leur objectif de départ.

Pour y voir clair, une analyse de la situation est requise. Comment ? D’abord en mettant à jour son prix de revient, par culture. Ce ratio bien connu mais trop peu utilisé est indispensable pour savoir quand le prix de vente des grains couvre le coût de production. Pour ceux que l’exercice rebute, l’outil en ligne ImpactCoutProduction, développé par Arvalis en 2022, est précieux : il effectue (gratuitement !) ce calcul et, de plus, compare une récolte donnée à deux autres situations de charges et de rendements de l’exploitation. L’exercice peut permettre d’identifier un poste de charge plus élevé que la moyenne et de s’interroger. « Il est utile de faire une hypothèse basse, avec prix de vente et rendements bas, une hypothèse haute, avec prix et rendements élevés, et une hypothèse médiane », confirme Céline Sibout. « Mais attention aussi à comparer des choses comparables, en particulier la rémunération du travail : le prix de revient tient-il compte de la rémunération comptable ou de la rémunération réelle ? »

Anticiper les dépenses, même inattendues

Vu les augmentations de charges, sécuriser les dépenses de charges opérationnelles en engageant des ventes de grains à hauteur du même montant, jusqu’au tiers des volumes prévus, est un acte de gestion prudent, qu’il faut rappeler. « On prend des risques uniquement lorsqu’on est en mesure de l’assumer. Quand la trésorerie est tendue, il ne faut pas jouer », rappelle Didier Roinson, chargé de méthodes conseil au CER France Seine-Normandie.

Autre règle de prudence : souscrire une assurance « aléas climatique », même si celle-ci coûte cher. « Sur 17 aléas, plusieurs reviennent assez souvent, comme les coups de chaleur, l’excès d’eau, le manque de rayonnement ou la grêle », rappelle Emmanuel Lambert, conseiller d’entreprise chez Agriexperts. « En cas de nouvel aléa, l’assurance climatique ne couvre pas tout mais elle permet de rebondir. »

Plus généralement, des économies peuvent être trouvées dans le poste assurance. « Les agriculteurs sont parfois trop assurés ou doublement assurés pour la même chose », remarque Céline Sibout. « La période actuelle mérite de s’y pencher. »

Quant aux projets d’investissement, ils doivent être réfléchis à l’aune de leur nécessité et d’un prévisionnel de résultat. « Il faut surveiller son endettement et caler ses échéances bancaires en fonction de l’EBE moyen de l’exploitation. Il ne faut pas retenir l’EBE de 2016, qui était à zéro, ni l’EBE de 2022, qui a été multiplié par 2 ou 2,5, mais vraiment la moyenne, à 1 », détaille Emmanuel Lambert.

Étaler les prélèvements

Si la situation est tendue, quelques mécanismes de gestion existent pour lisser les résultats. « Il faut d’abord évaluer les prélèvements fiscaux et sociaux à venir », recommande l’expert. « Les niveaux de revenus ont souvent été importants l’an passé et ils génèrent cette année des prélèvements très importants ». C’est la raison pour laquelle l’option triennale est recommandée. Elle permet de calculer les assiettes des impôts et de la MSA non pas sur le seul revenu de l’exercice précédent mais sur la moyenne de trois derniers.

Lorsque la trésorerie est peu disponible, il est également possible d’étaler des revenus exceptionnels. « À périmètre constant, une entité peut se voir accorder par l’administration fiscale un lissage des prélèvements sur 7 ans » rappelle Emmanuel Lambert. La condition ? Que le revenu lié à la production soit supérieur de 1,25 à la moyenne des 3 dernières années. « C’est une bonne option surtout quand on prévoit une augmentation des rentrées de trésorerie à l’avenir. », indique Emmanuel Lambert.

Mais l’idéal est d’avoir mis de côté les bonnes années, par exemple en créditant des comptes de type dépôt à terme, ou Déduction pour Epargne de Précaution. « C’est parfois difficile mais, quand on fait un excédent, il faut savoir le placer plutôt que d’investir. C’est la seule façon d’être moins dépendant de l’extérieur en cas de retournement de situation », souligne Céline Sibout. Une recommandation appuyée par Emmanuel Lambert : « Trop souvent, on confond trésorerie et compte courant. Or, ce qui compte, c’est la trésorerie nette : si le solde disponible à la banque est lié à un prêt à court terme, la trésorerie nette est négative. »

Quand la trésorerie manque

À défaut de disposer d’une épargne et d’un fonds de roulement suffisant (autour de 10 mois minimum en système céréalier), le prêt à court terme reste une solution intéressante – mais désormais coûteuse. Les taux d’intérêt pour ce type d’emprunt avoisinent aujourd’hui les 6 %. Encore faut-il que l’exploitation respecte les critères d’éligibilité bancaire, lesquels se sont nettement resserrés ces derniers mois. « Si on a déjà ouvert un court terme, il va être difficile d’en solliciter un supplémentaire en cas de besoin. Le bilan doit avoir une bonne physionomie », rappelle Emmanuel Lambert. Ces derniers mois, les banques scrutent également le taux d’endettement de l’exploitant, à la fois pour ses emprunts professionnels et privés : pour éviter un refus, mieux vaut donc organiser ses investissements pour éviter que les projets ne soient pas bloqués ultérieurement.

Autre option : refinancer les éventuels autofinancements. Si l’achat d’un matériel a été financés avec la trésorerie disponible l’an passé, même en partie, la banque peut accepter d’accorder un crédit rétroactivement. « Les banquiers n’aiment pas ça mais cela peut se négocier », conseille Didier Roinson.
 

Chercher des plus-values

Reste une autre voie de passage pour préserver ses marges : augmenter ses produits. « Investir pour diversifier ses productions ou ses activités est un bon moyen de limiter l’effet ciseau », observe Mathilde Schryve, responsable des études économiques au CERFRANCE Bourgogne Franche-Comté. « La recherche de valeur ajoutée permet de faire face à des coûts de production plus élevés et n’implique pas forcément de changer d’activité. » Ces filières rémunératrices, type blé CRC ou Lu Harmony, n’existent pas partout mais elles génèrent de vraies plus-values. Si la situation financière de l’exploitation est tendue, il n’est pas raisonnable d’imaginer une diversification plus poussée, surtout si ces projets impliquent de gros investissements.

Dans tous les cas, si les problèmes s’accumulent, il importe de solliciter ses partenaires, qu’ils soient banquiers, comptable ou conseiller d’entreprise. « Plus on réagit vite, plus il est facile de faire un pas de côté et de réajuster », rappelle Mathilde Schryve. « Il ne faut pas avoir honte de confier ses difficultés. Tout le monde peut subir une mauvaise année. »

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