Changement climatique et agriculture : agir aujourd’hui pour limiter les dégâts

Pour Jean Jouzel, expert mondial sur le climat, « Le réchauffement climatique est sans équivoque, sans précédent et une large part résulte des activités humaines. » Il a mis l’accent, lors de la « journée CASDAR 2021 » du 27 janvier, sur l’impact de cette évolution sur les rendements agricoles et les leviers d’action pour l’atténuer.

« Le changement climatique est une réalité. Les 6 années les plus chaudes depuis 150 ans ne sont autres que les 6 dernières années ». C’est par ces faits marquants que Jean Jouzel, climatologue, glaciologue, vice-président du groupe scientifique du Giec de 2002 à 2015 et directeur de recherche émérite du CEA a commencé son discours introductif du webinaire organisé, le 27 janvier dernier, par le Gis Relance agronomique sur la contribution de l’agriculture à l’atténuation du changement climatique.

Si 2020 reste dans les esprits « l’année Covid », elle détient également un triste record : c’est l’année la plus chaude depuis 150 ans en France. Les températures ont été très élevées à l’échelle mondiale alors qu’il n’y avait pas de phénomène El Niño y contribuant.

L’éminent spécialiste a aussi rappelé l’origine anthropique du changement climatique. Exceptée la vapeur d’eau sur laquelle nous n’agissons pas, l’effet de serre est dû au dioxyde de carbone (dont le pouvoir de réchauffement global ou PRG est de 1), au méthane (PRG = 25) et au protoxyde d’azote (PRG = 298). Leurs émissions ne cessent d’augmenter : depuis 1985, la fraction de CO2 dans l’atmosphère a augmenté de 40 %, celle de N2O de 20 % et la fraction de CH4 a été multipliée par 2,6 (figure 1).

Figure 1 : Fraction des gaz à effet de serre dans l’atmosphère (en ppm) selon l’année

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Source : Jean Jouzel

L’évolution du climat actuel correspond aux prévisions de 1990

Nous constatons actuellement ce que les spécialistes du Giec avaient prévu dans leur 1er rapport en 1990 : rythme de la hausse du niveau des mers (fonte des glaces et dilatation de l’eau sous l’effet de la chaleur), intensification et multiplication des évènements extrêmes, rythme de hausse des températures, etc.

Si rien n’est fait, la hausse des températures moyennes à la fin du siècle par rapport à l’ère préindustrielle* atteindra ou dépassera 4-5°C, c’est-à-dire le même changement qu’entre la dernière ère glaciaire et la période actuelle… Mais à une vitesse 100 fois supérieure !

Des rendements agricoles de plus en plus impactés

Conséquence pour l’agriculture, les rendements des principales cultures (blé, riz, maïs, soja) diminueront de plus en plus (figure 2).

Sur la période 2010-2029, le changement climatique influencera positivement les rendements pour presque la moitié des situations et négativement pour un peu plus de la moitié des situations. À la fin du siècle, le rapport entre situations favorisées et pénalisées passera à 20 / 80.

Figure 2 : Prévisions des rendements dus au changement climatique au cours du XXIe siècle

Les variations du rendement des cultures (en couleurs) s’entendent par rapport aux rendements de la fin du XXe siècle.

Source : Jean Jouzel, rapport du Giec

Au global, le changement climatique n’est pas favorable au rendement et ses effets se font déjà sentir dans plusieurs régions du monde (notamment dans les zones tropicales et en Afrique, avec une hausse des infestations de maladies et ravageurs ainsi qu’une baisse du taux de croissance et de productivité des animaux, etc.). En France, il se traduit par des vendanges avancées d’un mois en un siècle par exemple.

Le climat en France se définira par davantage de pluie l’hiver, moins l’été, avec une évaporation accrue (à cause de la hausse des températures) et donc plus de difficultés sur la ressource en eau.

« Il faut agir tout de suite »

L’agriculture doit donc non seulement répondre à l’enjeu de la sécurité alimentaire, mais également au défi climatique. Pour Jean Jouzel, les accords de Paris, s’ils peuvent paraître ambitieux, ne sont en réalité pas à la hauteur de l’objectif de limiter à 1,5°C voire 2°C la hausse des températures pour la fin du siècle. En effet, il faut atteindre la neutralité carbone en 2050 et stocker plus de carbone qu’on en émet ensuite pour contenir la hausse des températures à 1,5°C. La limitation à 2°C implique de diviser par 3 les émissions de gaz à effet de serre (GES) d’ici 2050 et d’atteindre la neutralité carbone en 2075. Ces gros changements nécessitent de commencer dès maintenant.

Plusieurs leviers pour atténuer le changement climatique

Actuellement, l’agriculture mondiale contribue à hauteur de 11 % des émissions anthropiques de GES. Cette contribution monte à 30 % en incluant tout le système alimentaire avec transport, stockage, conditionnement et entreposage des denrées.

Pour atténuer le changement climatique, ce secteur peut stocker du carbone dans les sols et dans la biomasse forestière et réduire ses émissions (combustibles fossiles, fertilisants azotés, produits phytosanitaires…).

Le potentiel d’atténuation par les cultures, l’élevage et l’agroforesterie est estimé entre 2,3 et 9,6 Gt d’équivalent CO2 par an d’ici 2050. Les trois leviers de réduction des émissions sont par ordre décroissant d’importance la réduction du méthane issu des fermentations entériques, la réduction du méthane par amélioration de la culture du riz et la réduction du protoxyde d’azote par une meilleure gestion de la nutrition des grandes cultures. Outre la réduction de ses émissions, l’agriculture peut également stocker du carbone et le potentiel est particulièrement important par rapport aux réductions d’émissions citées ci-dessus.

Une transition des régimes alimentaires (potentiel entre 0,7 et 8 Gt de CO2 équivalent par an d’ici 2050 avec un impact le plus élevé pour le véganisme) et la réduction du gaspillage alimentaire (potentiel 0,6 à 6 Gt de CO2 équivalent par an) sont également nécessaires, et pourraient libérer des millions de km² de terres.

* les données de 1850-1900 servent d’approximation aux températures préindustrielles

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