S’adapter pour préserver la rentabilité des exploitations

Sans adaptation, la rentabilité des exploitations d’aujourd’hui est compromise dans le climat de 2040. La ferme France doit ajuster son assolement pour faire face au déficit hydrique qui augmentera dans le futur. Exemple dans les Pays de la Loire où des pistes d’adaptation se dessinent à travers le projet CLIMATVEG.
S’adapter au changement climatique pour préserver la rentabilité des exploitations

Quelle(s) stratégie(s) d’adaptation la ferme France doit-elle adopter pour survivre au climat de 2040 ? Une question à laquelle Arvalis apporte son éclairage à travers une série de projets dans lesquels sont simulés des scénarios d’adaptation territoriaux (figure 1). À l’aide des outils de modélisation Asalée et Systerre qu’il a développées, l’institut est capable de projeter l’impact de ces scénarios sur la rentabilité des exploitations. Focus sur les premières tendances issues du projet CLIMATVEG (2021-2024), financé par la région Pays de la Loire, qui s’étend sur 5 territoires de la région.

SCÉNARIOS D’ADAPTATION : des projets menés à l’échelle des territoires

Des scénarios co-construits avec les agriculteurs pour une analyse multicritère

Dans l’étude CLIMATVEG, le climat futur retenu pour les modélisations est celui de la trajectoire RCP 4.5 du GIEC, qui prévoit une stabilisation des émissions de gaz à effet de serre et une hausse des températures comprise entre + 1.6 à + 2.5°C à l’horizon 2060.

Le modèle ASALEE utilisé pour les simulations d’impact du climat a été développé par Arvalis à partir des données d’essais au champ. Il allie des modèles phénologiques et des modèles de bilan hydrique combiné a une fonction de production permettant d’estimer la perte de rendement due au manque d’eau des cultures d’un assolement. L’étude CLIMATVEG repose sur la simulation de la production compte tenu des sols, sur 20 années climatiques du passé récent (1980-2000) et sur 20 années climatiques du futur proche (2040-2060). Pour chacune de ces périodes, les données météorologiques utilisées sont issues des modèles du DRIAS (modèle retenu : ALADIN). L’aléa économique des prix de marché est également pris en compte pour le calcul des indicateurs économiques.

La spécificité du projet a été d’associer à la réflexion une soixantaine d’agriculteurs de Vendée, Mayenne, Sarthe et Maine-et-Loire ainsi que leurs partenaires économiques (figure 2). « Nous avons co-construit des scénarios réalistes à partir de ce que les agriculteurs constatent d’ores et déjà sur leurs fermes, et parce qu’ils ont les connaissances des filières propres à leurs territoires », expose Anne-Monique Bodilis, ingénieure régional Pays de la Loire. Six fermes-types, représentatives des secteurs étudiés, ont ainsi été établies pour évaluer l’impact du climat futur et tester différents scénarios dans chaque territoire. L’analyse repose sur une approche multicritère avec des indicateurs socio-économiques (marge nette et temps de travail), environnementaux (la consommation en eau d’irrigation) et agronomiques (dépendance aux intrants, capacité à maîtriser le désherbage).

PROJET CLIMATVEG : répartition territoriale et partenaires économiques

Premier constat, sans adaptation, la marge nette des exploitations dans le climat futur baisse de 21 % à 53 % selon les fermes types. Les scénarios d’adaptation les plus efficients reposent sur les leviers de l’agrandissement, de l’adaptation de l’assolement avec une diminution des cultures d’été, ou du développement et de la sécurisation de la ressource en eau pour l’irrigation.

L’agrandissement pour compenser la baisse de production à l’hectare est un levier fréquemment actionné dans les scénarios co-construits avec les agriculteurs (figure 3), y compris en bio. « Mais cela suppose que le chef d’exploitation soit capable d’absorber le temps de travail supplémentaire », commente Clément Gras, ingénieur régional Pays de la Loire. Ce qui, selon les agriculteurs partenaires, n’est pas forcément envisageable. « La disponibilité en main-d’œuvre devient problématique, notamment en élevage. D’ailleurs dans certains scénarios, les agriculteurs nous ont demandé de simuler l’arrêt de la production laitière. D’une part car le changement climatique vient fragiliser l’équilibre du bilan fourrager, mais aussi parce qu’ils estiment que l’accès à la main-d’œuvre restera une réelle difficulté à l’avenir », complète l’ingénieur.

FERME TYPE DANS LA SARTHE : ferme de polyculture irriguée, élevage de volaille, en sols superficiels

Outre l’agrandissement, la diversification des cultures avec l’introduction de soja, de légumineuses et/ou d’oléagineux est une stratégie prometteuse. Mais à date, les filières n’existent pas forcément. Il faudrait donc trouver non seulement des débouchés mais aussi réorganiser, voire créer des structures de collecte et de stockage. « Attention aussi à l’équilibre des rotations. Si on a une grande majorité de cultures d’automne, certaines adventices seront favorisées et il deviendra probablement difficile de les maîtriser. Le retour trop fréquent de cultures oléo-protéagineuses expose aussi à des problèmes sanitaires accrus », pointe par ailleurs Anne-Monique Bodilis.

 

La gestion territoriale de l’eau au cœur des préoccupations

Les projections montrent que le maintien, voire le développement des capacités d’irrigation est déterminant pour la survie des exploitations et des savoir-faire associés. Dans un contexte haussier des coûts de l’énergie, l’hypothèse d’une hausse de 50 % des charges opérationnelles d’irrigation en 2040 a été retenue. Mais au-delà du prix, c’est de la disponibilité de la ressource dont il est question. « Les résultats économiques plongent lorsque l’on réduit le volume d’eau disponible pour l’irrigation. Sans eau, les productions à haute valeur ajoutée comme les haricots, les semences et les autres cultures spécialisées ne sont plus envisageables », alerte Anne-Monique Bodilis. Sur un territoire comme celui de la Vallée de l’Authion par exemple, c’est tout un pan de l’activité économique qui serait remis en cause. De même, dans les territoires dont les sols ont un faible réservoir en eau comme le centre et le sud Sarthe, les productions de cultures d’été seraient compromises avec des conséquences sur l’ensemble des filières agro-alimentaires locales.

La question du stockage de l’eau excédentaire en hiver se pose inévitablement. La création de réserves pour ne pas prélever dans la ressource en eau en période de sécheresse estivale permet de préserver la production des cultures par l’irrigation. Dans les simulations réalisées, la totalité des coûts de construction est à la charge de l’exploitant, occasionnant une pression forte sur le résultat économique de la ferme. « Les projections faites dans le cadre de CLIMATVEG sont à la disposition des décideurs pour éclairer leur réflexion prospective. Elles ont le mérite d’apporter des éléments de quantification des enjeux en termes de production et de résultats économiques. », indique l’ingénieure.

 

Des tendances, pas une « boule de cristal »

Les projections dégagent des tendances qui doivent accompagner les décisions stratégiques que devront prendre les agriculteurs dans les prochaines années. « Mais ce n’est pas une boule de cristal », avertit Anne-Monique Bodilis. La modélisation des impacts face au déficit hydrique estival accru permet déjà de quantifier les enjeux, bien que les modèles omettent le développement de systèmes alternatifs. « Nous n’avons pas été en mesure de modéliser des scénarios de rupture comme le développement de l’agrivoltaïsme, ou l’agro-foresterie, ne disposant pas du recul suffisant et des outils pour quantifier les performances de ces systèmes », ajoute Clément Gras. Une seule certitude : d’ici 2040, les fermes telles qu’on les connaît aujourd’hui seront profondément différentes ou ne seront plus.

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