Protection fongicide : s’appuyer sur l’agronomie pour alléger les programmes

Les programmes fongicides n’évoluent pas franchement mais restent efficaces. Et surtout, ils s’allègent. Le T1 n’est plus de mise, sauf contexte particulier, grâce à des variétés productives et multi-tolérantes. Huit ingénieurs régionaux d’Arvalis illustrent cette réalité par des exemples concrets.
Protection fongicide : s’appuyer sur l’agronomie pour alléger les programmes

Pour les programmes fongicides, l’heure est à la diète : la dernière campagne a confirmé l’intérêt de se passer d’un T1 si la pression septoriose est faible. Mais cet allégement se justifie uniquement si les variétés cultivées sont résistantes aux maladies (note globale > 6,5) et si la nuisibilité potentielle, qui varie selon le contexte pédo-climatique, est faible. Le long des côtes de la Manche et en Bretagne, le risque reste élevé et cette possibilité est à exclure. Si un T1 se justifie, un produit de biocontrôle comme l’association de phosphonate de potassium et de soufre est digne d’intérêt. Le risque rouille jaune, qui évolue à la hausse et génère de vrais dégâts, justifie par contre parfois de prévoir un T1, en l’adaptant à la cible.

Pour estimer la nuisibilité des maladies foliaires du blé et adapter le programme de traitement a priori, Arvalis a élaboré un indicateur régional de risque, traduit en cartes de nuisibilité. Ces cartes compilent les écarts de rendements entre essais traités et non traités observés dans 2861 essais conduits entre 2000 et 2020 dans tous les bassins de production de blé hexagonaux.

« La Champagne est par exemple une zone ou la nuisibilité est modérée quel que soit le profil variétal retenu », explique Jérome Thibierge, spécialiste des maladies des céréales à paille chez Arvalis. « Elle atteint en moyenne 14 q/ha pour un profil de variété sensible, 11 q/ha pour un profil moyennement résistant et 10 q/ha pour un profil résistant ». à l’inverse, le niveau moyen de nuisibilité est très fort en Bretagne et en Basse Normandie. « Il atteint en moyenne plus de 25 q/ha pour un profil sensible, près de 20 q/ha pour un profil moyennement sensible et 16 q/ha pour un profil résistant », précise le spécialiste.

Si le traitement à dernière feuille étalée s’impose partout comme le traitement « pivot » de la protection fongicide, le T3 peut également être raisonné. « L’analyse de nos essais depuis 2008, soit un total de 104 essais, indique que la rentabilité du T3 n’est pas toujours assurée », assure Jérome Thibierge. Ces travaux montrent que les gains de rendement moyens ne dépassent 2,5 Q/ha que dans 50% des cas. Or un peu plus de la moitié des surfaces de blé tendre sont protégées par cette application à épiaison.

Hauts-de-France : la couverture de la dernière feuille reste le traitement de base

Charlotte Boutroy, ingénieure régionale

Les variétés peu sensibles à la septoriose et à la rouille jaune (telles que Chevignon, KWS Extase…) permettent de réaliser l’impasse du T1 dans un grand nombre de situations. Un passage bien positionné sur la dernière feuille étalée (T2) pourra être suffisant sur la base de produits combinant SDHI et triazoles ou fenpicoxamid associé à une SDHI ou une triazole. En cas de risque fusariose, un passage à floraison (T3) à base de prothioconazole ou de tébuconazole pourra être nécessaire, mais en conditions sèches en fin de cycle, l’impasse du T3 sera également envisageable.

Sur les variétés sensibles à la rouille jaune (telles que Campesino, RGT Sacramento…), il s’agira d’être particulièrement vigilant face aux attaques précoces de rouille jaune qui nécessiteront un contrôle spécifique à base de triazoles, éventuellement complétés d’une strobilurine efficace.

Ne pas oublier l’importance des OAD pour s’adapter à l’année.

L’inflation modifie-t-elle les programmes ?

Les fongicides ne sont pas épargnés par la hausse des prix, avec une augmentation moyenne de l’ordre de 10 à 20% selon les produits. Pour 2023, les programmes proposés a priori par Arvalis restent sensiblement identiques à 2022, mais leur cout augmente de 10 à 12%. Contenir la dépense reviendrait à baisser la dose, ce qui n’est envisageable que si la pression maladie reste faible. Baisser la dose ou le nombre de passages sans tenir compte des conditions de l’année, de la région et de la variété cultivée signifierait abaisser le potentiel de rendement.
« La meilleure protection vis-à-vis de l’incertitude économique reste la mise en œuvre des principes de protection intégrée », rappelle Jérome Thibierge, spécialiste des maladies des céréales à paille d'Arvalis. « Elle vise à actionner tous les leviers disponibles en amont pour éviter le développement des maladies. » 

Nord-Aquitaine : ne pas jeter l’argent par les fenêtres!

Aude Carrera, ingénieure régionale

Dans le Sud-Ouest, déclencher un traitement précoce, avant la dernière feuille, c’est souvent jeter l’argent par les fenêtres. Avec un bémol toutefois en cas d’attaques précoces de rouille jaune et de variétés sensibles septoriose, qui peuvent justifier un traitement à 2 nœuds.

Dans tous les cas, le traitement à dernière feuille est le traitement à ne pas rater. La gamme de produits efficaces reste sensiblement la même que l’an passé : privilégier les associations de triazole et SDHI ou de fenpicoxamide en association. Le problème rouille, qui apparait souvent à partir de dernière feuille, se règlera en ajoutant une strobilurine ou en utilisant un produit comme Elatus Era, efficace à la fois sur rouille et sur septoriose.

Quant à la fusariose, l’application d’un Prosaro début floraison n’est pas suffisant sans la maîtrise des facteurs de risque agronomiques : choix des variétés et gestion des résidus du précédent. Les essais régionaux montrent que si tous les facteurs de risque agronomiques sont maitrisés, on peut attendre un niveau de mycotoxine bas.

Centre : miser d’abord sur le T2

Cyrille Gaujard, ingénieur régional

Pour lutter contre les maladies, le premier levier est d’utiliser les variétés peu sensibles à la septoriose et à la rouille jaune. Avec ce levier, notre recommandation reste de ne pas réaliser de T1 et d’attendre le stade DFE pour intervenir. L’analyse de plus de 200 essais fongicides montre que le gain moyen du T1 ne dépasse pas 2 quintaux/ha. En région Centre, ce T2 à « dernière feuille étalée » ciblera avant tout la septoriose, avec le recours à des triazoles associées aux SDHI, aux QiI (fenpicoxamid) et aux strobilurines (si risque rouille). De nombreuses spécialités sont disponibles, il est fortement recommandé d’alterner les modes d’action et de ne pas utiliser deux fois la même substance active.

Si le risque rouille jaune apparait précocement, il faudra toutefois intervenir dès le stade « Epi 1 cm à 1 nœud » avec une triazole seule de type tébuconazole, ou éventuellement associée à une strobilurine.

Les mesures préventives

Limiter le nombre d’applications fongicide ne s’improvise pas. « Il convient d’abord de ne pas favoriser le développement des maladies », résume Jérome Thibierge, d’Arvalis. Trois leviers essentiels assurent cette lutte préventive : l’allongement de la rotation, la date de semis et l’utilisation de variété résistantes. L’allongement de la rotation vise à éviter le retour trop fréquent d’une même céréale sur la même parcelle. Le report de la date de semis limite le développement de maladies comme le piétin verse. L’utilisation de variétés résistantes reste le moyen le plus efficace de lutter contre les maladies. Des variétés comme Fructidor, LG Absalon, Chevignon ou KWS Extase affichent une excellente résistance aux maladies, qu’il s’agisse de septoriose ou de rouille. La place qu’occupent ces variétés dans la sole française illustre combien les producteurs de céréales mettent déjà profit ces progrès génétiques. A titre d’exemple, en Champagne, ces variétés occupent 60 à 80% des surfaces de blé tendre.

Bourgogne : adapter le programme à une nuisibilité faible

Diane Chavassieux, ingénieure régionale

En Bourgogne, la nuisibilité des maladies est la plupart du temps inférieure à 10 q/ha, vu les niveaux de résistance des variétés cultivées. Les dégâts de rouille jaune précoce sont assez limités. Cette situation permet de limiter le programme a un seul traitement à dernière feuille étalée, en ciblant la septoriose. Une série de produits efficaces existent, associant une triazole et une SDHI. En cas de risque rouille brune, l’ajout d’une strobilurine reste efficace.

Dans les situations ou un premier traitement s’avère nécessaire, une application à base de soufre ou de soufre et de phosphanate de potassium est équivalent à un produit classique en termes de rendement et d’efficacité. Avec l’avantage d’être 100% biocontrôles.

Auvergne : attention au risque fusariose

Chloé Malaval-Juery, ingénieure régionale

En Auvergne, les pressions maladies les plus élevées se situent dans le nord de l’Allier, dans la continuité des régions limitrophes (Berry et Nièvre). Elles y atteignent 15-20 quintaux. En Limagne, la pression se situe autour de 10 q/ha.
La rentabilité du T1 est généralement faible, plaidant pour sa suspension, sauf si des foyers de rouille jaune apparaissent. Pour le T2, l’idéal est d’utiliser une molécule polyvalente sur les cibles septoriose, rouille jaune et rouille brune.

Dans le cas d’attaques de rouille jaune, le respect d’un intervalle de 20 jours entre les applications assurera la constance de la protection fongicide. Un T3 assurera la qualité sanitaire requise par les filières locales, en particulier dans les précédents maïs, dans lesquels le risque fusariose est élevé. Dans ces situations, une application à floraison de tébuconazole ou du prothioconazole reste efficace.

Champagne-Ardenne : raisonner sa stratégie fongicide autour du traitement à Dernière Feuille étalée

Mélanie Franche, ingénieure régionale

En l’absence de rouille jaune, l’impasse du T1 devient la règle en région Champagne-Ardenne, dans un environnement où une très grande majorité des surfaces est implantée avec des variétés peu sensibles à la septoriose. Si les conditions sont sèches en fin de cycle, et donc peu favorables aux maladies, la question de l’utilité d’un T3 peut même se poser. C’est bien l’intervention au stade « dernière feuille étalée » qui reste le pivot des stratégies fongicides. L’appui d’un OAD de type Septo-LIS pour suivre l’évolution du risque septoriose s’avère toutefois essentiel pour adapter son programme au fil de la campagne, sans approximation.

Dans l’éventualité d’un traitement au stade « floraison », prévoir une triazole ou une association de triazoles en veillant à l’alternance des matières actives. Enfin, comme ailleurs, attention au développement précoce de la rouille jaune.

Normandie : ne pas négliger l’observation

Quentin Girard, ingénieur régional

En Normandie, si la rouille jaune fait parler d’elle, il ne faut pas relâcher l’attention vis-à-vis de la septoriose. Sur la dernière campagne, la pression exercée par la septoriose, certes plus faible qu’à la normale, a tout de même entrainé des pertes de l’ordre de 10-12 q/ha pour les variétés sensibles du fait de son arrivée tardive au stade dernière feuillé étalée. La vigilance doit s’exercer dès le stade « épi 1 cm » vis-à-vis de la rouille jaune et dès le stade « 2 nœuds » jusqu’à la floraison pour la septoriose. Pour raisonner la lutte contre les maladies foliaires, les OAD sont des outils précieux, à utiliser davantage, mais ne doivent pas se substituer à l’observation et aux tours de plaine. La date de déclenchement du premier traitement pour lutter contre la septoriose doit être raisonnée chaque année à la parcelle en fonction du risque agronomique et climatique, les OAD couplés aux observations de terrain permettent de raisonner les interventions, qui ne sont pas justifiées à tous les coups !

Pour lutter contre les maladies, le choix variétal est primordial, et le bénéfice du travail de sélection réalisé depuis plusieurs années permet d’avoir des variétés productives et tolérantes. L’utilisation de variétés productives et résistantes à la rouille jaune et la septoriose permet de réels allégements du programme afin de limiter l’impact sur l’environnement.

Poitou-Charentes : dans notre région l’impasse du T1 à 2 nœuds est fréquente

Clément Gras, ingénieur régional

En 2022, de nombreuses parcelles de blé en Poitou-Charentes ont vu se développer des taches de rouille jaune. Les conditions climatiques depuis 2021 ont permis à l’inoculum de se maintenir tout l’hiver puis de se développer rapidement. La maladie est maitrisée par une application en T1 avec une triazole. L’oïdium a également été plus présent sur un certain nombre de variétés sensibles.

La septoriose est restée discrète, pouvant justifier une impasse du T1 sur des variétés tolérantes aux autres maladies. à floraison, le climat sec a également limité la pression des fusarioses de l’épi.
En situation de nuisibilité faible des maladies foliaires (cas le plus fréquent), on prévoit généralement un traitement au stade « dernière feuille étalée ». Si des attaques précoces de rouille jaune se renouvelaient, prévoir une intervention spécifique.

Les programmes reproduits dans cet article sont des exemples. Retrouvez l'ensemble  des préconisations de protection des plantes d'Arvalis dans les éditions régionales Choisir&décider, téléchargeables sur Arvalis.fr

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