Systèmes de culture : la biodiversité agricole bientôt prise en compte dans l’évaluation

Les outils qui évaluent la performance globale des systèmes de culture intègrent peu, voire pas du tout, d’indicateurs de biodiversité. Ce manque sera sous peu comblé grâce à un travail mené par cinq partenaires de la R&D agricole.

Des indicateurs de biodiversité, comme la densité de carabe, s'ajouteront bientôt aux indicateurs économiques, sociaux et environnementaux déjà présents dans les outils évaluant la performance des systèmes de culture.

Des indicateurs de biodiversité rejoindront prochainement  les indicateurs économiques, sociaux et environnementaux déjà présents dans les outils SYSTERRE et Smag Trace. Et ainsi compléter l’évaluation de la multiperformance des systèmes de culture.

Article rédigé avec Alexandre Benoist, Gabrielle Gros-Chapelier & Geoffray Monier (AgroSolutions) ; Philippe Michonneau (SCARA)  ; Jean Huguet (SMAG) ; Doëtte Brunet-Lefèvre & Marie Coquet (Arvalis)

La biodiversité des systèmes agricoles fournit des services importants tels que la pollinisation, la régulation des bioagresseurs et des flux hydriques, ou encore la fertilité biologique des sols. Pourtant les outils actuels d’évaluation des systèmes agricoles n’incluent pas d’indicateurs spécifiques de la biodiversité, ce qui ne facilite pas le déploiement de pratiques favorables à sa préservation.

Le projet présenté ici est porté par cinq partenaires : l’Acta, AgroSolutions, Arvalis, la SCARA et SMAG. Il vise à mettre à disposition à l’été 2026 les indicateurs de biodiversité les plus pertinents dans les outils utilisés par les agriculteurs et leurs conseillers, tels que SYSTERRE ou Smag Trace.

L’enjeu de ce travail est double : fournir aux agriculteurs et aux conseillers des indicateurs leur permettant de piloter leur exploitation dans un sens favorable à la biodiversité. Et fournir aux industriels des filières ainsi qu’aux pouvoirs publics des indicateurs mobilisables et valorisables financièrement (dans le cadre de chartes « filières » ou via des « paiements pour services environnementaux », par exemple), et ainsi agir favorablement pour la biodiversité plus largement.

Comment décrire la biodiversité ?

Depuis plusieurs dizaines d'années, de nombreux travaux scientifiques ont contribué à la construction d’une multitude d’indicateurs. Chacun décrit une partie de la biodiversité des agroécosystèmes et illustre un ou des services écosystémiques rendus par celle-ci.

Au sein des parcelles agricoles, on rencontre généralement différents types de biodiversité : une biodiversité « planifiée », qui correspond à la diversité des cultures et des animaux d’élevage, et une biodiversité « associée ». Cette dernière inclut aussi bien les bioagresseurs (adventices, ravageurs et maladies) dont l’impact est négatif sur la production, que la biodiversité fonctionnelle, qui rend des services à l’agriculture (activité biologique des sols, pollinisation, régulation des bioagresseurs) ; mais aussi la biodiversité extra-agricole, présente dans la mosaïque agricole mais sans lien direct connu avec la production.

Au-delà des services directement rendus à l’agriculture, la biodiversité agricole apporte également divers bénéfices à la société et participe à l’équilibre naturel des milieux - par exemple, en contribuant à réguler (en quantité et en qualité) les flux d’eau, ou via des services culturels tels que la valeur esthétique des paysages.

Selon leur nature et leur usage, les indicateurs de biodiversité peuvent être classés en trois catégories.

  • Les indicateurs de cause correspondent à une pratique agricole ou un élément du paysage ayant un effet reconnu sur la biodiversité. Le lien explicite avec la biodiversité ou le service écosystémique peut être établi par expertise, ou encore démontré par différents travaux scientifiques. C’est typiquement l’IFT, la fréquence de labour, etc.
  • Les indicateurs prédictifs combinent plusieurs pratiques, et/ou des éléments du paysage autour des parcelles, pour estimer le potentiel de biodiversité ou de service. Ce sont les indicateurs qui nous intéressent le plus ici.
  • Enfin, les indicateurs mesurés correspondent à des observations de la biodiversité ou des services écosystémiques réalisées directement sur le terrain. Ces indicateurs sont plus précis mais sont exclus de notre champ d’exploration, car ils demandent des ressources humaines et financières trop importantes pour être mis en œuvre à large échelle à court terme.

Plus de 200 indicateurs recensés et caractérisés

217 indicateurs décrits dans les cadres scientifiques ou réglementaires (figure 1) ont été caractérisés selon leur crédibilité (sont-ils validés scientifiquement ?), leur pertinence (à quel enjeu répondent-ils ?), leur faisabilité (quelles sont les ressources nécessaires pour les obtenir ?) et leur légitimité (fédèrent-ils des professionnels de secteurs variés ?). Ils ont été rassemblés dans une base de données consultable en ligne par tout utilisateur.

BIODIVERSITÉ AGRICOLE ASSOCIÉE : des indicateurs essentiellement de cause ou prédictifs
Figure 1 >>> BIODIVERSITÉ AGRICOLE ASSOCIÉE : des indicateurs essentiellement de cause ou prédictifs. Panorama global des 217 indicateurs recensés et caractérisés par les partenaires du projet APPRIVOISE.

130 des 217 indicateurs inventoriés sont des indicateurs de cause, et 74 correspondent à des indicateurs prédictifs. Il a été difficile de trouver des indicateurs prédictifs pour la faune du sol. Par exemple, un moyen d’évaluer l’impact des pratiques sur la faune du sol consiste à pondérer les passages d’outils de travail du sol par un score de perturbation lié à l’animation des outils et à leur profondeur de travail. Cet enjeu, très attendu par les agriculteurs comme par les conseillers agricoles, demandera une analyse des résultats déjà disponibles ainsi que de nouveaux travaux de recherche avec cette perspective en tête.

77 % des indicateurs recensés concerne la régulation des bioagresseurs ou la pollinisation, et 19 % d’entre eux combinent ces deux thèmes. Les indicateurs concernant la régulation des bioagresseurs sont surtout orientés vers les pucerons.

En pratique, la moitié des indicateurs sont déjà potentiellement utilisables car les données sur les systèmes de culture sont disponibles dans les outils SYSTERRE et Smag Trace, et que de nombreuses informations sur l’environnement parcellaire proche sont récupérables via des données publiques (IGN) à partir de coordonnées GPS.

Quels indicateurs conserver ?

Pour faire un premier tri dans ces nombreux indicateurs, 18 enquêtes ont été réalisées au printemps 2023 auprès d’agriculteurs, de conseillers de Chambre d’Agriculture et de coopératives agricoles (encadré).

Cette phase d’enquêtes, croisée avec notre base bibliographique et l’expertise de l’équipe projet, a permis de présélectionner une première liste de 14 indicateurs intéressants (figure 2), pour lesquels des algorithmes ont été adaptés afin de fonctionner sur calculettes Excel.

SUIVI DE LA BIODIVERSITÉ À LA PARCELLE : quatorze indicateurs déjà présélectionnés
Figure 2 >>> SUIVI DE LA BIODIVERSITÉ À LA PARCELLE : quatorze indicateurs déjà présélectionnés. Processus de sélection des indicateurs identifiés comme les plus pertinents pour être intégrés dans les outils de suivi parcellaire. IAE : infrastructure agroécologique. L’efficacité des 14 indicateurs à discriminer des exploitations aux caractéristiques contrastées est en cours d’évaluation.

Ces indicateurs sont en cours d’évaluation sur des exploitations agricoles (encadré) afin de réduire leur nombre pour ne garder que les plus pertinents. Les cinq à dix meilleurs indicateurs retenus seront ensuite intégrés aux outils SYSTERRE et Smag Trace, et possiblement à d’autres outils d’évaluation de la multiperformance des exploitations agricoles. Les calculs d’indicateurs sont en cours de finalisation sur les exploitations et l’analyse de ces résultats fera l’objet d’un prochain article.

Un test grandeur nature pour sélectionner les meilleurs indicateurs

Une trentaine d’exploitations agricoles ont été sélectionnées pour utiliser les 14 calculettes Excel paramétrées chacune pour traiter un indicateur différent, afin de comparer les indicateurs sur quatre critères : leur capacité à discriminer des systèmes et des contextes paysagers contrastés, la faible redondance entre indicateurs différents, la difficulté à collecter les données d’entrée, et la correspondance avec les attentes des futurs utilisateurs (agriculteurs et conseillers).

Un premier travail d’analyse, réalisé par des étudiants de l’ISARA sur cinq exploitations agricoles aux profils contrastés de la Drôme, du Rhône, de l’Ain et de Haute-Savoie, permet d’identifier quelques tendances.

Pour l’instant, les indicateurs préférés sont au nombre de six :

  • le potentiel auxiliaire, un indicateur combinant 28 informations du système de culture et du paysage) ;
  • l’écotoxicité du programme phytopharmaceutique ;
  • la diversité cultivée (qui prend en compte l’identité des cultures et intercultures et leurs périodes de présence) ;
  • la qualité du milieu pour la biodiversité multi-groupes, considérant la présence de milieux semi-naturels près des parcelles, la taille des parcelles, et le type de cultures ;
  • l’impact des pratiques de travail du sol sur la faune du sol ;
  • et la quantité d’azote fournie par l’activité biologique du sol.

Des tests complémentaires permettront d’analyser sur un échantillon plus large d’exploitations la capacité des indicateurs à discriminer des systèmes différents, et d’identifier les éventuelles redondances.

Le travail présenté dans cet article est issu du projet APPRIVOISE, bénéficiant d’une contribution financière du ministère chargé de l’Agriculture au travers du fonds CASDAR. La responsabilité du Ministère ne saurait être engagée.

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