Quelles sont les conséquences de la crise sanitaire sur les marchés céréaliers ?

Les mesures de lutte contre le COVID-19 prises à l’échelle mondiale vont avoir des conséquences, dans la durée, sur les économies. Pour Yannick Carel, chargé d’études chez Arvalis, les effets directs sur les marchés sont contrastés ; de plus, l’analyse des fondamentaux est perturbée par des facteurs externes comme la parité des monnaies, les contraintes de logistique ou les réactions sociétales.

Perspectives Agricoles : Les fondamentaux des marchés céréaliers (offre, demande, échanges) sont-ils modifiés par la crise sanitaire mondiale ?

Yannick Carel : En ce qui concerne le blé tendre, les stocks des pays exportateurs sont actuellement plutôt bas. Tout évènement qui modifiera les disponibilités, que ce soit pour des raisons de production ou de logistique, va accroitre les tensions sur ce marché et se répercutera sur les prix. à l’inverse, une baisse forte et durable de la consommation - en lien avec la crise économique générée par le COVID-19 - pourra entraîner une baisse des cours. Pour le blé dur, le marché est actuellement encore plus tendu. Il devrait le rester malgré l’augmentation de 15 % des surfaces de blé dur prévue au Canada pour la récolte 2020. Les stocks du début de la nouvelle campagne commerciale seront au plus bas, en particulier du fait de l’accroissement des achats de pâtes alimentaires par les populations confinées lors du début de la crise. Cette crise sanitaire affecte plus directement le marché des orges brassicoles, pénalisé par la fermeture des principaux lieux de consommation de bière. Le contexte déjà excédentaire de ce marché risque donc encore d’être alourdi, y compris par les emblavements d’orge du printemps 2020, en nette hausse en France (+40 % en moyenne sur 5 ans) et en Europe (+5 % par rapport à 2019). En maïs, le marché mondial est fortement indexé sur celui des Etats-Unis, premier pays producteur et exportateur de maïs. Jusqu’à présent le marché était jugé « confortable » mais la situation pourrait basculer vers un marché « très lourd » si les débouchés éthanol et alimentation animale confirment leur baisse : le premier, directement affecté par la chute du prix du pétrole et le second, en lien avec des productions animales prévues en baisse dans les mois à venir, pour cause de récession économique. à cela, pourrait s’ajouter une nette augmentation de la production de maïs, notamment aux USA et en Ukraine, avec des prévisions de surfaces record pour ces deux pays. De plus, des difficultés logistiques pourraient intervenir, en particulier dans les ports, du fait des contraintes sanitaires mises en place par certains pays pour protéger les personnes chargées de la logistique des grains.



P. A. : Quels facteurs expliquent les variations des prix de vente des dernières semaines ?

Y. C. : Outre les fondamentaux, d’autres éléments dits externes influencent les prix des matières premières agricoles, plus ou moins directement. Avant la crise du COVID-19, le marché pétrolier était déjà entré dans une phase de surproduction. Le 6 mars dernier, l’absence d’accord entre les pays de l’OPEP(1) sur une réduction de la production, dans un contexte de moindre consommation, a entraîné une chute historique du prix du pétrole. L’accord conclu mi-avril entre pays producteurs réduit de 15 % la production pétrolière ; mais il ne devrait pas changer fondamentalement la donne puisque qu’il est prévu une baisse de 30 % de la consommation mondiale. Cela affecte directement les marchés des agrocarburants, comme le maïs éthanol, et celui des huiles avec des effets sur les prix du colza et du tournesol. Seule conséquence positive à moyen terme, une baisse des coûts de production en agriculture pourrait être attendue au niveau des carburants et des engrais (azote notamment), si cette situation perdure. Par ailleurs, les parités entre les monnaies font varier la compétitivité des marchandises entre les pays. Certaines monnaies, comme le rouble russe, sont adossées au cours du pétrole et n’ont donc pas résisté au krach pétrolier de début mars. Le rouble a ainsi perdu 25 % de sa valeur entre le 20 février et le 20 mars. ll a entraîné dans son sillage la hryvnia ukrainienne et le tenge kazakhe. La compétitivité de ces pays s’en est subitement trouvée renforcée. La contrepartie de ce mécanisme a été un renchérissement des matières premières à l’intérieur de ces pays. Leurs gouvernements ont alors mis en place des quotas à l’exportation pour limiter cet effet inflationniste. Cela remet sur le devant de la scène l’interventionnisme des états qui pourra également influencer les marchés céréaliers dans les prochains mois.


P. A. :
Des conséquences à plus long terme sont-elles à attendre ?

Y. C. : Tout va dépendre de la durée et de l’intensité de la crise sanitaire, ainsi que des réactions économiques qui vont en découler. Beaucoup d’incertitudes subsistent, ce qui contribue à la volatilité des cours. Les baisses de consommation annoncées mettent la pression sur les prix. Toutefois, la situation pourrait évoluer si les risques de sécheresse se confirment dans les pays de la mer Noire, en Europe et/ou aux Etats-Unis. à plus long terme, certains experts parlent de changements de fond dans la stratégie des entreprises vis-à-vis de leurs débouchés, de leurs approvisionnements ou encore de leurs circuits de distribution. Il sera difficile d’appliquer une recette unique aux différentes filières et aux différents pays. Par exemple, en production végétale, la relocalisation de certaines productions ne peut se décréter : les exigences agro-climatiques s’imposent. Les réponses à la crise sanitaire seront multiples, notamment pour les clients des productions végétales françaises. Elles amèneront des changements auxquels nous devrons nous adapter, tout en mettant en avant les spécificités de nos systèmes de production.

(1) Organisation des pays exportateurs de pétrole

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