
Irrigation du maïs : le goutte-à-goutte équivalent à l’aspersion
01 juillet 2018Avec l’augmentation des restrictions d’accès à la ressource en eau pour l’agriculture et celle du coût de l’énergie, la profession agricole s’interroge sur l’intérêt de l’irrigation par goutte-à-goutte pour les grandes cultures. Les données sur les économies d’eau espérées sous climat tempéré par rapport à de l’aspersion optimisée sont peu nombreuses. Arvalis a donc engagé, de 2014 à 2017, un programme d’expérimentation visant à comparer sur maïs goutte-à-goutte de surface, goutte-à-goutte enterré et aspersion, en testant rigoureusement la productivité de l’eau en conditions d’accès à l’eau suffisantes ou restrictives. Malgré les difficultés de mise en place d’un goutte-à-goutte enterré en terres de groie, il a été décidé d’évaluer cette technique au Magneraud, en Poitou-Charentes, afin d’anticiper un éventuel développement en sols caillouteux. En effet, certains agriculteurs et entrepreneurs de la région envisageaient de mettre au point un matériel de pose performant si les résultats de l’expérimentation s’avéraient concluants.
« Une meilleure performance de l’azote avec le goutte-à-goutte de surface n’a été constatée qu’en irrigation non limitante en 2017, année sèche. »
Une expérimentation très complète
L’irrigation par aspersion choisie comme référence est une rampe basse pression dont l’apport d’eau est relativement homogène et peu sensible au vent, comparé à d’autres systèmes (canon enrouleur ou couverture intégrale). Ce choix ne permet donc pas de traiter dans l’expérimentation la question de de la qualité de la répartition de l’eau, argument en faveur de l’irrigation au goutte-à-goutte dans les zones ventées ou pour les parcellaires irréguliers. Le système de goutte-à-goutte a été implanté selon les préconisations des sociétés qui diffusent ce système en grandes cultures (encadré 1). Chaque parcelle élémentaire est équipée de lignes de goutteurs autorégulants, positionnées au milieu de l’inter-rang de maïs tous les deux inter-rangs. Les goutteurs débitent chacun 0,66 l/h.
Quatre régimes hydriques ont été mis en place pour chaque système. Le régime hydrique non limitant de l’aspersion était piloté selon la méthode IRRINOV, avec une dose unitaire de 25 à 35 mm et un rythme d’apport de base de 4 mm/jour, plafonné à 5 mm/j en cas de forte demande climatique. Celui du goutte-à-goutte a été piloté en 2014 et 2015 selon un rythme d’apport analogue à l’aspersion et ajusté avec des mesures tensiométriques , avec quatre apports par semaine. Les trois régimes restrictifs ont eu une dose d’eau réduite de 15, 35 et 50 % par rapport au régime non limitant, pour l’aspersion comme le goutte-à-goutte. Ces réductions de doses ont été appliquées tout au long de la campagne. En aspersion, la dose unitaire a été réduite et/ou le délai entre deux apports allongé, tandis qu’en goutte-à-goutte, le temps d’irrigation à chaque apport a été raccourci.
Pour quantifier le contexte climatique de chaque année, un témoin en régime pluvial a été mis en place dans une bande située en bordure de la parcelle.
Quels que soient le régime hydrique et le système d’irrigation, une alimentation azotée optimale a été assurée, avec une dose totale d’azote différenciée de façon à prendre en compte un niveau de rendement accessible et variable selon les régimes hydriques. En aspersion, la dose totale d’azote a été fractionnée selon les préconisations d’Arvalis. Pour le goutte-à-goutte, on a cherché à maximiser la part d’azote apportée par fertigation (qu’on suppose plus efficace que l’apport au sol).
Les climats des quatre années d’expérimentation ont été très différents, tant du point de vue des températures que du déficit hydrique (tableau 1). Ainsi, en 2014, le déficit hydrique a été parmi les plus faibles enregistrés au cours des quinze dernières années au Magneraud. Au contraire, en 2015 et 2016, le déficit hydrique a atteint un niveau dépassé seulement deux années sur dix. En 2016, le déficit hydrique a été le plus pénalisant pour le rendement, au vu du rendement du régime pluvial. 2017 a été marqué, comme 2014 et 2015, par un début de campagne sec, mais une pluie importante fin juin a limité le stress pendant la floraison ; le reste de la campagne a été déficitaire. À l’échelle des quatre campagnes d’expérimentation, le climat a été plutôt favorable à l’expression des avantages revendiqués du goutte-à-goutte par rapport à l’aspersion.
Un fonctionnement hydrique du sol spécifique au goutte-à-goutte
Les différentes sondes installées sur les trois systèmes et sous différents régimes hydriques ont permis de bien cerner l’effet des deux systèmes de goutte-à-goutte sur le fonctionnement hydrique du sol, en particulier sur le fonctionnement du « bulbe » (volume de sol autour de chaque goutteur dont la teneur en eau est influencée par l’apport d’eau au niveau du goutteur).
Pour le goutte-à-goutte de surface, le bulbe est visible à la surface du sol sur un rayon d’une trentaine de centimètres autour de chaque goutteur. Des mesures par sondes ont montré que l’humidité du sol, en surface, est significativement plus faible à 37,5 cm du goutteur qu‘à 15 cm : les rangs de maïs situés à 37,5 cm des lignes de goutteurs sont en limite de ce bulbe. Le bulbe du goutte-à-goutte enterré n’est pas visible en surface et n’est détecté par les sondes qu’à partir de 30 cm de profondeur. Son extension latérale en sol de groie semble plus faible qu’avec le goutte-à-goutte de surface.
Des rendements à l’avantage du goutte-à-goutte de surface seulement en volume réduit
Sur quatre ans, la comparaison des rendements des trois régimes hydriques limitants (figure 1) révèle un avantage faible mais significatif du goutte-à-goutte de surface sur l’aspersion : le gain de rendement moyen (de 7, 3 et 6 q/ha en volume réduit respectivement de 15, 30 et 50 %) semble indépendant du niveau de restriction volumétrique. Sur les campagnes 2016 et 2017 où le goutte-à-goutte a été piloté de manière indépendante (encadré 2), le gain devient plus important (12, 5 et 9 q/ ha).
En conduite non limitante optimisée pour chaque système, les performances des systèmes par goutte-à-goutte de surface et par aspersion s’avèrent comparables en moyenne sur les quatre années.
Les écarts constatés certaines années (comme 2014 et 2015) sont davantage liés au mode de gestion de chaque système qu’aux systèmes eux-mêmes. Ainsi, en 2014, alors que le rendement en conduite non limitante n’était statistiquement pas différent entre le système goutte-à-goutte de surface et l’aspersion, en régimes restrictifs, le rendement pour l’aspersion était en retrait de 10 à 15 q/ha à la suite d’une demande en eau brutale et élevée entre les stades « 10 » et « 15 feuilles » pourvue avec retard. En revanche, en 2015, l’aspersion a montré une performance supérieure de 16 q/ha par rapport au goutte-à-goutte de surface en volume non limitant, qui s’explique par un rythme d’apport d’eau du goutte-à-goutte insuffisant pour faire face aux besoins de la culture entre fin juin et début juillet, période de très forte demande en eau.
Dans ce type de sol caillouteux, le système goutte-à-goutte semble donc nécessiter une adaptation rapide du rythme d’apport pour suivre l’évolution de la demande en eau journalière. Il faut ainsi pouvoir assurer un rythme d’apport supérieur à 5 mm/jour lors de périodes de forte demande climatique et réaliser des apports journaliers. En conditions limitantes, le goutte-à-goutte s’est montré également moins performant que l’aspersion en 2015, bien que l’écart de rendement ait été plus faible (6 à 8 q/ha).
Une automatisation du goutte-à-goutte réussie
La mise en œuvre d’un système d’irrigation par goutte-à-goutte ne se conçoit qu’avec une automatisation des apports. Le protocole de l’expérimentation prévoyait donc la mise en œuvre d’une automatisation du pilotage, calée sur le suivi de l’état hydrique du sol évalué à partir de capteurs. Les apports d’eau des modalités goutte-à-goutte non limitantes ont été déclenchés de manière automatique sur la base du suivi de la tension de l’eau du sol mesurées par trois sondes Watermark installées à 30 et 60 cm de profondeur, à mi-chemin entre les lignes de goutteurs et les rangs de maïs.
Il a été ainsi possible d’irriguer au goutte-à-goutte tous les jours, sur quatre séquences au cours de la journée, à concurrence de 7 mm/ jour en cas de forte demande climatique, alors que le rythme d’apport en aspersion restait plafonné à 5 mm/jour. Comme en 2014 et 2015, les modalités d’irrigation avec un volume réduit de 15, 30 et 50 % ont été différenciées par la durée d’irrigation : l’automatisation des apports a ainsi conduit à 34 jours d’irrigation en 2016 et 31 jours en 2017. Malgré cette automatisation, les volumes totaux apportés en goutte-à-goutte non limitant restent proches de ceux de l’aspersion.
Le goutte-à-goutte enterré est moins performant en sol calcaire caillouteux
Sur les campagnes 2014, 2015 et 2016 où il a été mis en œuvre selon des règles de pilotage analogues à celles du goutte-à-goutte de surface, le rendement avec le goutte-à-goutte enterré était en retrait d’environ 10 q/ha chaque année (figure 2). La dose totale d’eau administrée était pourtant analogue à celle du goutte-à-goutte de surface en 2014 et 2015, et légèrement plus élevée en 2016 où le goutte-à-goutte enterré était piloté de manière autonome. Compte tenu de ces résultats, il a été décidé de ne pas le reconduire en 2017.
Les mesures de biomasse réalisées en 2015 et 2016 aux stades « 15 feuilles » et à « floraison femelle » montrent que ce système (même avec le pilotage spécifique de 2016) n’assure pas une croissance et une nutrition azotée identiques à celles des deux autres systèmes. La mise à disposition de l’eau à 25-30 cm de profondeur ne permet pas de faire face aux besoins précoces en eau et en azote de la culture lors des périodes sèches en juin.
Des résultats contrastés en matière d’efficience de la fertilisation azotée
Pour comparer la productivité de la fertilisation azotée du goutte-à-goutte de surface et de l’aspersion, deux modalités supplémentaires avec une fertilisation azotée réduite de 80 kg N/ha pour chacun système ont été étudiées sur trois campagnes (2014, 2015 et 2017) : l’une en régime hydrique non limitant, l’autre en régime restrictif (irrigation réduite de 30 %). À dose d’azote réduite, l’écart de rendement entre les deux systèmes corrigé par l’écart de rendement en azote non limitant permet d’apprécier un écart de performance des systèmes vis-à-vis de la fertilisation azotée. Seule l’année 2017, en irrigation non limitante, révèle une meilleure performance de l’azote avec le goutte-à-goutte de surface : l’écart de rendement est de 14 q/ha. Aucun écart significatif n’a été observé les autres années.
D’après les mesures d’azote absorbé, la meilleure productivité de la fertilisation azotée en système de goutte-à-goutte de surface semble liée, cette même année, à une meilleure absorption dans les parties aériennes des plantes.
Les résultats du Magneraud montrent qu’au final, sous climat tempéré où, contrairement aux climats méditerranéens ou tropicaux secs, la sécheresse n’est pas continue au cours de la période estivale, le gain de productivité du goutte-à-goutte par rapport à une aspersion optimisée n’est pas suffisant pour justifier le surcoût entrainé par l’installation de ce type de système. En revanche, il est possible d’automatiser tout ou partie d’un réseau de goutte-à-goutte et des équipements associés, ce qui libère un temps précieux en pleine saison et fait gagner en sérénité.
Remerciements à l’équipe régionale qui a assuré la mise en œuvre de l’essai, en particulier Jean-Pierre Bonnifet, Thibaud Deschamps, Laure Plantecoste et Jean-Louis Moynier
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