Diversité des insectes dans les exploitations agricoles : pourquoi l’évaluer et comment ?

L’étude de la diversité des insectes peut-elle aider les agriculteurs à définir les actions à mener sur leurs exploitations pour renforcer les services écosystémiques liés à ceux-ci ? C’est ce que montre le diagnostic de biodiversité ELEEPSE réalisé sur l’exploitation agricole Arvalis de la Jaillière.
Cinq groupes    d’auxiliaires de cultures ont été étudiés dans le diagnostic ELEEPSE effectué à la station Arvalis de La Jaillière (44) : (de haut en bas) les carabes, les coccinelles, les syrphes, les sphécides et les cantharides. Les espèces montrées ici n’ont pas toutes été trouvées sur l’exploitation.

Avec plus d’un million d’espèces décrites dans le monde, les insectes représentent plus de la moitié des espèces du règne animal. Leur diversité en milieu agricole est souvent plus importante qu’on ne le pense. Et les nombreux services qu’ils rendent en agriculture en font un enjeu de préservation majeur.

En agriculture, le terme « biodiversité fonctionnelle » désigne tous les organismes qui assurent des services à la production agricole (figure 1), et ceux qui contribuent à la régulation des bioagresseurs sont appelés auxiliaires de culture. À cette biodiversité assurant directement des services à l’agriculture s’ajoutent les organismes qui habitent la mosaïque agricole et assurent des services à la société plus généralement. C’est le cas, en particulier, de la biodiversité patrimoniale, c’est-à-dire des espèces présentant un intérêt particulier par leur rareté, leur statut (menacé, protégé…), leur répartition géographique singulière ou encore leurs exigences écologiques (présence de bois mort, de milieux humides, etc).

BIODIVERSITÉ(S) : planifiée par l’agriculteur ou associée à la mosaïque agricole

Au-delà des services rendus, certains insectes s’avèrent, par leur absence ou leur présence, d’excellents bioindicateurs d'éventuelles perturbations dans un milieu et précisent les facteurs qui en sont la cause.

Quelles méthodes pour évaluer la biodiversité ?

Depuis quelques années, diverses méthodes et indicateurs sont proposés pour évaluer le potentiel de biodiversité et positionner les exploitations les unes par rapport aux autres sur ce critère. Les méthodes globales (Biotex de l’IDELE, Agribest de la CDC Biodiversité, ou le DBPA d’Hommes & Territoires, par exemple) se basent sur le recueil des pratiques agricoles et des caractéristiques paysagères des exploitations. Plusieurs chambres d’Agriculture proposent des « Diagnostics Biodiversité » qui peuvent, en plus, inclure des comptages d’insectes sur le terrain.

Quelques structures ont développé des offres mettant l’accent sur la collecte de données de la biodiversité sur le terrain. C’est le cas du diagnostic ELEEPSE , proposé par le Laboratoire d’Éco-Entomologie (LEE) ; il fournit à l’agriculteur des données et des préconisations personnalisées à différentes échelles pour favoriser la diversité des insectes sur son exploitation.

ELEEPSE attribue cinq notes. Les trois premières évaluent les facteurs susceptibles d’impacter cette diversité : le paysage autour de l’exploitation, les infrastructures agroécologiques (IAE) autour des parcelles et les pratiques dans les parcelles. Les deux autres sont basées sur des suivis de biodiversité et concernent les auxiliaires et pollinisateurs puis la biodiversité patrimoniale. Les résultats de chaque exploitation sont ensuite positionnés dans le référentiel capitalisé par le LEE.

Les résultats d’un tel diagnostic réalisé en 2021-2022 sur l’exploitation agricole de la station Arvalis de La Jaillière (165 ha en polyculture-élevage, à la limite entre Loire-Atlantique et Maine-et-Loire) sont décrits ci-après.

 

Le paysage est un facteur déterminant pour la diversité des insectes. Les différents types d’occupation du sol dans un périmètre de 2 km autour des parcelles ont été pris en compte dans l’analyse paysagère.Le paysage est un facteur déterminant pour la diversité des insectes. Les différents types d’occupation du sol dans un périmètre de 2 km autour des parcelles ont été pris en compte dans l’analyse paysagère.

 

Sur la station de la Jaillière, un paysage et des IAE favorisant la biodiversité

Autour de la station de La Jaillière, le paysage bocager est semi-ouvert (photo ci-dessus) et essentiellement tourné vers l’agriculture (71 % de recouvrement de la surface par les territoires agricoles, 19 % par les prairies) et la forêt (7 %). Des zones naturelles reconnues d’intérêt écologique, faunistique et floristique (ZNIEFF) sont présentes à un peu plus de 2 km du parcellaire. La part de surfaces couvertes par des milieux semi-naturels (prairies, zones boisées) est importante par rapport au référentiel du LEE. Elle indique un intérêt pour la biodiversité du paysage autour du site.

Pas moins de 256 infrastructures agroécologiques ont été inventoriées : 130 haies, 18 bordures de bois et 108 zones herbacées, et le linéaire de haie en 2022 a été estimé à 25,6 km (photo ci-dessous). Ramenée à la surface totale de l’exploitation, cette quantité d’infrastructures agroécologiques est assez élevée par rapport au référentiel ELEEPSE. Plus de la moitié sont notées comme étant de bonne qualité.

Près des deux tiers des bordures de bois et des haies sont notés de bonne qualité : elles sont pluristratifiées et contiennent une importante diversité d’essences, notamment mellifères. À noter également la présence récurrente de bois mort, sur pied ou non, qui participe à cette évaluation positive. A contrario, plus des deux tiers des zones herbacées sont considérés comme de qualité moyenne à médiocre, en raison d’une fauche trop fréquente et trop basse à certaines périodes de l’année. Cela limite la ressource florale et donc l’expression maximale du potentiel de biodiversité.
 

Les infrastructures agroécologiques de la station de la Jaillière ont été cartographiées et étudiées. La plupart des haies, ressortent comme étant multistratifiées et diversifiées et sont notées de bonne qualité dans l’étude.Les infrastructures agroécologiques de la station de la Jaillière ont été cartographiées et étudiées. La plupart des haies, ressortent comme étant multistratifiées et diversifiées et sont notées de bonne qualité dans l’étude.

 

Une diversité d’auxiliaires à améliorer, mais beaucoup d’espèces patrimoniales

Afin d’étudier les insectes actifs à la surface du sol, en particulier les carabes, 39 pots Barber ont été placés en différents points et relevés chaque semaine pendant 19 semaines durant le printemps et l’été 2022. Quatre groupes d’insectes volants ont été étudiés : les coccinelles, les cantharides, les sphécides et les syrphes, à l’aide de deux tentes Malaise relevées chaque semaine pendant 12 semaines durant le printemps et l’été 2021.

19 623 spécimens ont été analysés sur l’exploitation et ses alentours sur toute la période du diagnostic, permettant d’inventorier 29 espèces d’insectes distinctes. Il ressort que 55 % des effectifs d’insectes et 41 % des espèces recensées sur l’exploitation sont des auxiliaires de culture (tableau 1).

AUXILIAIRES : des résultats hétérogènes par rapport à la référence


Le nombre d’espèces rampantes trouvées lors des relevés est dans la fourchette basse du référentiel. Concernant la faune volante, les résultats obtenus sont assez hétérogènes.

Un nombre élevé d’espèces patrimoniales a été observé : 34, soit 11 % de la diversité totale du site. Parmi elles, une espèce bénéficie d’un statut de protection nationale : le Grand Capricorne ; une autre présente un intérêt conservatoire : le syrphe Paragus albifrons, classé « En danger » sur la Liste rouge européenne des syrphes. Et une grande part des espèces patrimoniales (25) relevées ici sont inédites et/ou rares en Loire-Atlantique.

34 espèces patrimoniales ont été observées, dont plusieurs sont inédites et/ou rares pour la région et une, protégée : le Grand Capricorne !

Que nous apprend ce diagnostic ?

Un diagnostic du paysage, des infrastructures agroécologiques et des pratiques culturales combiné à des suivis in situ des insectes permet d’identifier les leviers qui favorisent durablement la faune auxiliaire dans les exploitations agricoles.

Ce cas d’étude indique que les conditions agro-environnementales à La Jaillière sont propices à la diversité des insectes. Un enseignement majeur est d’abord que le maintien d’un bocage dense permet d’accueillir des espèces remarquables. Des pistes d’amélioration ont été identifiées dans les pratiques de gestion des haies - par exemple, une taille un an sur trois seulement et moins « agressive » pour permettre un étoffement en largeur des haies et favoriser le développement de la strate arborée.

Concernant les auxiliaires, le cas de certaines espèces ou groupes fonctionnels nous renseigne sur les pistes d’amélioration. Ainsi, l’absence de certaines espèces rampantes indicatrices sous-entend une perturbation du sol importante, avec un possible levier : réduire la fréquence des déchaumages l’été.

Côté faune volante, l’absence de sphécides (telles que les Psenulus) et la faible proportion d’espèces terricoles indiquent un manque de sites de nidification. En particulier, il faudrait des espaces de sol peu ou pas remaniés et des tiges (typiquement, des tiges sèches d’ombellifères) pour que les espèces rubicoles et cavicoles puissent s’installer. Du côté des syrphes, dont les préférences alimentaires sont marquées et spécifiques à chaque espèce, la faible diversité observée peut s’expliquer par un manque de ressource florale. Améliorer la continuité spatiale et temporelle de cette ressource par des fauches moins fréquentes des pieds de haies et bords de champs favoriserait les déplacements des insectes floricoles (syrphes et sphécides, notamment) et permettrait une répartition plus homogène de ces auxiliaires sur l’exploitation.

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