Fertilisation à base d’urine : possible agronomiquement, complexe socialement

Des essais menés sur le Plateau de Saclay (78) par la Chambre d'agriculture d'Ile-de-France ont confirmé l’intérêt de l’urine pour fertiliser les cultures de blé et de maïs. La logistique et le modèle économique restent encore à définir pour que la pratique se développe à plus grande échelle.
L'urine utilisée dans les essais de la Chambre d'agriculture provenait de festivals. @Inrae

Une efficacité fertilisante en azote élevée, proche des engrais minéraux solides, ainsi qu’une disponibilité quasi illimitée : l’urine humaine a, sur le papier, de quoi sérieusement concurrencer les engrais minéraux issus de gaz naturel. Son utilisation à des fins agricoles permettrait par ailleurs d’économiser de l’eau et de l’énergie lors du traitement des eaux usées, dont le coût est majoritairement supporté par les collectivités. Depuis 2015, une filière de valorisation agricole des urines humaines tente d'émerger. Un nouveau pas en sa faveur vient d’être franchi avec le projet Flux Local, piloté par l’association Terre & Cité.

Urine vs ammonitrate : pas de différence sur les taux de protéines du blé tendre

L’idée générale du projet est d’identifier des sources de matières organiques disponibles dans le sud-ouest francilien, et d’évaluer leur intérêt agronomique tout autant que leur capacité à être utilisées par les agriculteurs du territoire. Pour le volet concernant la fertilisation à base d’urine, c’est la Chambre d’agriculture d'Ile-de-France qui s’est chargée de la partie agronomique. De premiers essais menés à la Ferme de la Martinière (78) en 2022 ont montré qu’il était possible de substituer le deuxième apport d’ammonitrate sur blé tendre par un apport d’urine humaine sans impact sur le taux de protéines (figure 1).

Figure 1 : Le mode de fertilisation n'influe pas sur le taux de protéines du blé tendre

Courbe de réponse à l’azote selon la modalité de fertilisation : impact sur le taux de protéines du blé tendre. Source : Chambre d’agriculture régionale d’Ile-de-France.
Courbe de réponse à l’azote selon la modalité de fertilisation : impact sur le taux de protéines du blé tendre. Source : Chambre d’agriculture régionale d’Ile-de-France.

Cette substitution a toutefois un impact sur le rendement : un écart de 8 q/ha est observé par rapport à la parcelle de blé témoin n’ayant reçu que des apports d’ammonitrate (figure 2). La campagne de reliquats réalisée post-récolte montre peu de différence liée à la forme d’azote utilisée, ce qui suggère que l’écart de rendement serait davantage dû à un phénomène de volatilisation. Une adaptation du matériel d’épandage ou une hausse de la quantité d’urine apportée pourrait corriger ce problème.

Figure 2: Un écart de rendement de 8 q/ha 

Courbe de réponse à l’azote selon la modalité de fertilisation : impact sur le rendement du blé tendre. Source : Chambre d’agriculture régionale d’Ile-de-France.
Figure 2. Courbe de réponse à l’azote selon la modalité de fertilisation : impact sur le rendement du blé tendre. Source : Chambre d’agriculture régionale d’Ile-de-France.

Sur maïs, les rendements sont similaires

D’autres essais menés en 2023 à la Ferme du Trou Salé (78) ont quant à eux montré que le mode de fertilisation n’avait aucune incidence sur le rendement du maïs. Ainsi, la modalité fertilisée en présemis à 100 % avec une dose d’urine équivalente à 127 unités d’azote affiche un rendement de 140 q/ha. Une vigilance sur la volatilisation a là aussi été relevée. Le rendement de la modalité fertilisée uniquement avec de l’ammonitrate représentant 127 unités d’azote et apportées au stade 6-8 feuilles, s’établit à 138 q/ha. Enfin, la modalité mixte urine + ammonitrate (équivalant chacun à 63,5 unités d’azote) affiche un rendement de 142 q/ha.

De nouveaux essais agronomiques sont prévus en 2023-2024 pour conforter ces résultats qualifiés de « très encourageants » par Caroline Doucerain, présidente de Terre & Cité. Surtout, cette nouvelle campagne proposera une réelle étude de l’impact des résidus médicamenteux sur les sols, l’un des deux grands freins identifiés au développement de ce mode de fertilisation disruptif. Le second porte sur la question de l’acceptabilité de la pratique par les consommateurs et les habitants du territoire, et est étudié parallèlement au volet agronomique.

Sourcer les volumes d’urine : des enjeux de territoire  

Le projet Flux Local a aussi permis de réaliser des enquêtes auprès de divers acteurs de ce territoire (agriculteurs, élus, acteurs de l'assainissement et de l'aménagement et associations), qui témoignent de la volonté de ceux-ci « à voir l’expérimentation se poursuivre et à réfléchir à sa mise en œuvre à plus grande échelle ». De nombreuses questions liées à la logistique et au modèle économique sont encore en suspens.

Et pour cause : les volumes d’urine nécessaires pour intégrer ce fertilisant dans les itinéraires techniques sont loin d’être négligeables. Dans les essais sur blé tendre, entre 16 et 33 m3 d’urine/ha ont été nécessaires pour remplacer l’ammonitrate. Ces urines provenaient de festivals, mais d’autres sources d’approvisionnement sont envisageables. « L’établissement public d’aménagement Paris-Saclay souhaite tester l’installation de dispositifs de séparation à la source dans un bâtiment dont elle est maître d’ouvrage » indique la fiche technique du projet Flux local.

La création d’une véritable filière de valorisation des urines est donc limitée par la capacité des acteurs d’un territoire à véritablement travailler en concertation. Elle offre toutefois au monde agricole une nouvelle porte d’entrée dans les projets d’aménagement des territoires.

Une série de trois vidéos présentant les résultats des différents volets explorés dans le cadre du projet Flux Local est disponible sur la chaîne YouTube de l’INRAE, partenaire du projet.

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