Systèmes céréaliers en Île-de-France: et si on revenait à nos moutons?

Réintroduire des ruminants dans une exploitation de grandes cultures pour valoriser les couverts végétaux et autres biomasses disponibles... L'idée, expérimentée par des agriculteurs du Bassin parisien dans le cadre du projet POSCIF, cumule les avantages.
Gérer les couverts, fertiliser les grandes cultures avec des moutons

Interview

Partage-moi un mouton…

Cédric Cormier et Baptiste Nicolle sont respectivement céréalier et polyculteur-éleveur dans le Loiret. Baptiste possède un troupeau de brebis-mères et a conclu un partenariat avec Cédric, en agriculture de conservation des sols, pour qu’elles pâturent ses couverts. Tour d’horizon de leurs trajectoires et de leurs expériences.

Cédric Cormier : « Pour réussir dans cette entreprise, impossible de considérer les moutons uniquement comme des « outils de broyage » alternatifs ! »

Perspectives Agricoles : Comment vous êtes-vous rencontrés ?
Cédric Cormier :
Converti à l’ACS depuis 2016, je devais gérer beaucoup de couverts d’interculture sur mes 190 ha - et j’avais envie de revoir des moutons sur ma ferme pour qu’ils m’y aident ! Trouver un éleveur avec qui partager ce projet a été difficile. Après divers refus, j’ai rencontré Baptiste par l’intermédiaire du GETA de Pithiviers, et nous avons démarré le pâturage en 2019. Baptiste avait alors 270 brebis-mères. En système ACS lui aussi, il les utilisait déjà pour gérer ses couverts.

P. A. : Que mangent les brebis de Baptiste ?
C. C. :
Je suis avant tout céréalier (orges brassicoles et blés d’hiver) mais je produis aussi de la luzerne destinée à la déshydratation, du colza et du pois d’hiver. Dans notre système, il y a toujours un endroit où les faire pâturer : de la fin du printemps à la fin de l’été, dans les prairies et la luzernière chez Baptiste ; et du 15 août au 15 février environ chez moi, pendant que les prairies se reconstituent. Les brebis paissent mes couverts d’interculture, le couvert semi-permanent de luzerne où je sème mes blés et qu’il faut réguler, ainsi que les repousses de luzerne après la dernière coupe. Le pâturage s’effectue toutefois s’il ne fait pas trop sec et si les couverts ont réussi ; c’est pourquoi Baptiste conserve des ballot de foin, rarement utilisés. Les brebis n’ont pas de complément alimentaire : leur régime est équilibré.

P. A. : Qu’attendiez-vous du pâturage de vos champs ?
C. C. :
Je suis passé à l’ACS en raison de mes sols, superficiels et sujets au compactage. Le piétinement des brebis les compacte bien moins que le passage du tracteur pour broyer les couverts. Les brebis effectuent le même travail qu’un broyeur mécanique sans que cela me coûte, et sans devoir enfouir des débris - ni attendre leur dégradation, parfois longue en sols superficiels. À la place, elles déposent dans le champ des fertilisants organiques rapidement utilisables par les cultures. J’implante ma culture en semis direct dans le couvert ainsi régulé et fertilisé.

P. A. : En pratique, comment cela se passe-t-il ?
C. C. :
Une grande clôture électrifiée est installée par Baptiste autour de la parcelle. À l’intérieur, je déplace chaque jour deux petits enclos contigus : un pour le pâturage du matin, et un pour l’après-midi. Nous avons constaté qu’il est préférable de concentrer les brebis sur une petite surface pendant une douzaine d’heures : le piétinement est limité, les déjections sont mieux réparties, il n’y a pas de zone écrasée par le couchage, et les plantes sont mangées plus régulièrement. Baptiste n’intervient que lorsqu’il faut changer les brebis de parcelle.

P. A. : Quelles ont été les bonnes (ou les mauvaises) surprises ?
C. C. :
Aucune mauvaise surprise ! Mais il faut aimer les moutons un minimum, car ce ne sont pas juste des « broyeurs de couvert sur pattes » : il faut ainsi aller les voir au moins une fois par jour, pour les changer d’enclos et leur apporter de l’eau. L’organisation des semis d’automne-hiver est aussi plus complexe, d’autant que je cultive 190 ha de plus en travail à façon. Il faut être très adaptable et jongler avec les créneaux favorables aux cultures et les besoins des moutons.
Une première bonne nouvelle a été la rentabilité de ce partenariat pour chacun. Une analyse multicritère après la première année avait montré que le pâturage des couverts économisait 13 h de tracteur, 234 l de carburant, et que ma marge nette avait augmenté de 3 %. Depuis, le GNR, les pièces de rechange de matériel ou encore les engrais ont beaucoup augmenté. Même sans nouvelle analyse, je constate que mes bénéfices s’améliorent. J’ai aussi noté une forte diminution des populations hivernales de limaces (avalées au broutage) et des infestations de mulots.

P. A. : Qu’en est-il de Baptiste ?
C. C. :
Depuis cinq ans, j’ai toujours pu offrir le pâturage promis - sauf en 2019, où les brebis ont dû retourner plus tôt en prairie. Baptiste est si satisfait qu’il se tourne complètement vers l’élevage, plus rentable que l’exploitation de ses terres, assez pauvres, mais conserve la luzernière et les prairies. Il a aujourd’hui plus de 900 brebis et toujours pas de bergerie !

Propos recueillis par Paloma Cabeza-Orcel
p.cabeza@perspectives-agricoles.com

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