Désherber avec moins de chimie : possible mais coûteux

À l’aide de l’outil SYSTERRE, Arvalis a évalué les résultats techniques, économiques et environnementaux d’une stratégie de désherbage typique d’une rotation de trois ans en zone sud Bassin parisien/Centre, avec ou sans labour occasionnel. Ces résultats ont été comparés à ceux obtenus avec une stratégie de désherbage prenant en compte de probables
Quels seraient les effets d'une réduction des herbicides disponibles

Afin de maintenir un haut niveau de productivité, les adventices sont encore principalement contrôlées à l’aide d’herbicides. Cependant, la pression de l’opinion publique, les restrictions réglementaires croissantes concernant les produits phytopharmaceutiques et les objectifs du plan Ecophyto II (réduire de moitié les applications d’ici 2025), combinés aux baisses d’efficacité des des herbicides en situation de résistance (qui placent parfois les agriculteurs face à des impasses techniques) remettent en question le raisonnement « classique » du désherbage. Afin de moins reposer sur les herbicides, celui-ci doit davantage exploiter la combinaison de moyens agronomiques et mécaniques en complément de la lutte chimique.

Afin d’estimer la faisabilité d’une telle stratégie économe en herbicides, Arvalis a calculé avec l’outil SYSTERRE les résultats technico-économiques et environnementaux d’une exploitation représentative de la zone « sud du Bassin parisien/région Centre » qui met en place soit une stratégie de désherbage « classique » pour l’époque actuelle et la région (figure 1-A), soit une stratégie telle qu’elle pourrait être rencontrée d’ici dix ans (figure 1-B).

Les hypothèses émises lors de cette étude, effectuée en 2018, étaient qu’en 2028, sept substances actives herbicides seraient retirées du marché : glyphosate, bromoxynil, flurtamone, s-métolachlore, mésotrione, métazachlore et flupyrsulfuron ; c’est d’ailleurs déjà le cas pour certaines d’entre elles. De plus, les doses maximales autorisées de quatre autres substances actives herbicides seraient réduites, suite à des restrictions réglementaires, pour satisfaire les critères de réhomologation. L’usage du flufénacet serait ainsi limité à 120 g/ha/an, du chlortoluron à 1000 g/ha/an, du diflufénicanil à 120 g/ha/an et du prosulfocarbe à 2400 g/ha/an. D’autre part, l’hypothèse est faite que les adventices graminées seraient devenues résistantes à plusieurs substances actives des groupes HRAC-A et B : iodosulfuron, mésosulfuron, pinoxaden et quizalofop-p.

Baisser les émissions de GES semble impossibleLa multiplication des interventions au champ entraine « mécaniquement » une augmentation de la consommation d’énergie primaire et des émissions de GES. Ces dernières sont en hausse de 5 % comparé à la situation de départ, alors même que la France vise une diminution de 20 % de ces émissions d’ici 2025.

Dans ces simulations, la rotation de l’exploitation est une succession sur trois ans de colza-blé-orge d’hiver, typique de la région. Les terres argilo-calcaires qu’on y rencontre subissent de fortes infestations de graminées automnales, caractéristiques de la zone et de cette rotation. De très faibles réserves utiles en eau du sol (inférieures à 80 mm) associées aux sols caillouteux limitent la diversification des cultures et expliquent la pratique fréquente du non labour. C’est pourquoi deux itinéraires techniques sont envisagés : avec labour occasionnel ou sans labour. Les autres paramètres de l’itinéraire technique hors désherbage (choix des variétés, fertilisation, etc.) sont identiques, de même que les débouchés des productions. Une seule personne à temps complet cultive les 150 hectares de l’exploitation - une situation courante dans cette zone.

Un léger avantage pour l’itinéraire « classique » sans labour

L’analyse des résultats d’exploitation est effectuée grâce au logiciel SYSTERRE qui calcule, par hectare, le temps de travail, l’investissement matériel pour réaliser les opérations culturales, les charges en herbicides, l’IFT herbicide, les charges mécaniques hors irrigation, les marges brute et nette avec aides, les consommations de carburant et d’énergie primaire totale, les émissions totales de gaz à effet de serre (GES) et la production d’énergie brute. Les jours de travail disponibles sont estimés par l’outil JDISPO.

Avec la stratégie de désherbage « classique », les résultats technico-économiques des deux itinéraires techniques sont presque comparables, quoique légèrement en faveur du système sans labour (tableau 1). En effet, l’absence de labour a un impact léger sur le temps d’interventions, l’investissement est plus réduit et les charges sont inférieures de 18 € à l’hectare par rapport à l’itinéraire avec labours ponctuels. L’itinéraire sans labour dégage ainsi une marge nette supérieure de 5 % à celle de l’itinéraire avec labours ponctuels (177 contre 164 €/ha). L’IFT herbicide est légèrement inférieur pour l’itinéraire avec labour (2,6 contre 2,8 sans labour).

Comment compenser les restrictions d'usage et le retrait de certains herbicides ?

Afin de mieux contrôler les adventices, différents leviers agronomiques et mécaniques sont déjà mis en place dans les deux itinéraires « classiques ». Toutefois, pour prendre en compte la réduction des doses de certaines substances actives et l’interdiction d’autres anticipées à dix ans, il faut multiplier les leviers alternatifs dans la stratégie « à 10 ans » (figure 1-B).

Ainsi, les faux-semis deviennent systématiques avant chaque culture afin de faire lever les adventices et donc réduire les stocks grainiers, et la date de semis des deux céréales est décalée pour éviter les pics de levées préférentielles des graminées automnales et donc limiter les adventices présentes au sein de la culture. Pour limiter le développement des adventices en tablant sur la concurrence exercée par la culture, des variétés de blé et d’orge couvrantes ont été choisies, tandis que le colza est associé à des légumineuses.

Le désherbage mécanique (déchaumages à l'interculture, binages et passages de herse-étrille en culture) est intensifié et, en labour occasionnel, on passe d’un labour une année sur trois à un labour deux années sur trois. De plus, les adventices sont écimées dans le blé et l’orge, et à la récolte, les menues pailles sont récupérées et exportées hors des parcelles. Toutes ces opérations nécessitent une adaptation du parc matériel(1) : les tracteurs sont équipés en RTK, les pulvérisateurs avec des coupures de tronçon guidées par GPS, et il s’enrichit d’une écimeuse et d’un récupérateur de menues-pailles.

Dans l’itinéraire sans labour, le labour effectué à l’interculture est remplacé par une application de glyphosate dans la stratégie « classique » et, dans la stratégie « à 10 ans », par plusieurs passages d’un outil mécanique.

Des résultats d’exploitation à la baisse pour les itinéraires techniques « à 10 ans »

Trois scénarios d’évolution de la productivité, faisant suite aux évolutions de la stratégie de désherbage, sont envisagés : le désherbage alternatif n’a pas induit de perte de rendement sur les trois productions, ou il a entrainé une perte de 10%, voire de 20%. Ces hypothèses sont prises car le système de culture étudié connaît un contexte difficile, avec des pressions importantes en graminées automnales, fréquent pour les rotations courtes composées essentiellement de cultures d’automne.

Les scénarios « à 10 ans » ont des résultats dégradés (tableau 1), quel que soit le scénario d’évolution de la productivité envisagé. Dans l’hypothèse où il n’y a pas de perte de rendement, la marge nette diminue avec la stratégie « à 10 ans» par rapport à la marge dégagée dans les systèmes actuels : -24 et -21 % respectivement en labour ponctuel et sans labour. En cas de perte de rendement de 10 %, la marge nette à dix ans diminue cette fois de 60 et 56 % respectivement, avec des revenus en dessous de la barre acceptable, et elle avoisine zéro euro si les pertes de rendement atteignent 20 % ou plus.

Ces résultats s’expliquent par une augmentation des charges (tableau 1). En effet, en raison des nombreux passages d’outils de désherbage, les charges de mécanisation augmentent de 25 à 27 % selon les itinéraires par rapport à la stratégie « classique ». De facto, la consommation de carburant augmente de 33 % en moyenne. De plus, il faut immobiliser plus de capital de l’exploitation pour acheter les nouveaux matériels et équipements. Le coût des semences de céréales plus couvrantes est plus élevé que celui des semences classiques. Seules les charges herbicides diminuent mais elles ne compensent pas les hausses.

La dépendance à l’usage des herbicides reste élevée, l’IFT herbicide de référence est d’environ 2,7 contre 2,14 pour les scénarios « à 10 ans », soit une diminution d’environ 20 %.

La mise en place de nombreux leviers pour lutter contre les adventices, et en particulier la multiplication des interventions, augmente également le temps d’interventions au champ de 62 % en moyenne. Ainsi, en non labour, ce temps passe de 379 h par an en désherbage « classique » à 615 h en désherbage « à 10 ans », et de 422 h à 684 h/an pour l’itinéraire avec labours ponctuels.

L’outil JDISPO a été utilisé pour vérifier la faisabilité de certaines interventions. Les interventions sont globalement réparties de manière homogène dans l’année à l’exception des pics attendus entre juillet et septembre. En revanche, le nombre de jours disponibles pour mettre en œuvre le désherbage mécanique de printemps des céréales à paille de la stratégie « à 10 ans » (deux binages et un hersage) est insuffisant à cette époque de l’année pour réaliser ces opérations dans des conditions optimales. Le décalage des dates de semis de 15 jours est lui aussi problématique par rapport au nombre de jours disponibles ; dans le contexte de cette exploitation, il semble plus réaliste de ne décaler les semis que dans les parcelles les plus sales.

Dans un avenir où la protection intégrée aura toute sa place, il aurait été intéressant de s’intéresser également aux postes de dépenses autres que celui du désherbage (fertilisation, lutte contre les maladies et les ravageurs, etc.). En effet, certains nouveaux matériels et équipements sur l’exploitation peuvent être valorisés sur ces autres postes, et le bilan technico-économique et environnemental de l’exploitation agricole en aurait été modifié. De même, des évolutions techniques et réglementaires pourraient modifier considérablement les pratiques et donc l’analyse technico-économique.

De plus, ces simulations n’offrent qu’un aperçu « sur le papier » sans prendre en compte la richesse et la souplesse des expériences menées sur le terrain. L’action Syppre « Construire ensemble les systèmes de culture de demain » a été initiée pour étudier ce questionnement en conditions réelles. Cinq plateformes expérimentales prospectives réparties dans toute la France y sont dédiées. Inscrite dans la durée, jusqu’en 2025, son objectif est de faire émerger les systèmes de culture durables de demain.

D’après le mémoire de fin d’études d’Antoine Guigniou : « Gestion des adventices dans des rotations-types de grandes cultures : évaluation de scénarii à 10 ans incluant des leviers alternatifs de substitution aux herbicides » (Agrocampus Ouest, 2018).

L’évolution du parc matériel nécessaire pour mettre en œuvre la stratégie de désherbage « à 10 ans » est détaillée sur http://arvalis.info/23m.

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