Vie du sol : un concept discutable et à discuter ?

Pourtant largement utilisé, le terme « vie du sol » apparait comme une métaphore parfois encombrante pour la science, tant sa définition reste floue. François Laurent, directeur de la R&D chez Arvalis, rappelle combien les agronomes ont besoin de références pour améliorer la qualité des sols.
François Laurent, directeur de la R&D chez Arvalis : Le sol n’est ni un objet figé ni un être vivant.

PA : Pourquoi la vie du sol est pour vous un terme discutable ?
François Laurent :
Parler de vie du sol, c’est prêter au sol des fonctionnements propres à ceux d’un organisme vivant. Or un organisme vivant naît et meurt : ce n’est pas le cas du sol. Je défends l’idée qu’un sol n’est ni un objet figé ni un être vivant. Par contre il se transforme en permanence. Si le sol n’est pas un être vivant en soi, il abrite des organismes vivants qui, eux, naissent, vivent et meurent. C’est différent.

PA : Pourtant, la vie du sol, ça parle, non ?
F. L. :
Je comprends parfaitement la puissance de cette métaphore, en particulier pour parler du sol dans le débat public. On n’a jamais autant parlé des sols qu’aujourd’hui, et je m’en réjouis. Vu l’importance du sol pour la production agricole, mais également sur la régulation du climat, la qualité de l’eau et de l’air, ce n’est pas rien.
Mais le sol doit rester un objet redevable d’approches scientifiques. La métaphore de « vie du sol » présente des limites, en particulier lorsque l’on parle du sol dans sa globalité : elle ouvre en effet la porte à des discours qui manquent cruellement de références sur les processus mis en jeu ou invoquent des propriétés qui échappent à toute démarche scientifique. Je pense par exemple que certains concepts comme la « revitalisatio » ou la « régénération » des sols doivent impérativement être reliés au diagnostic des fonctions qu’assure le sol, y compris celles remplies par les organismes vivants qu’il abrite. Les mécanismes qui se déroulent dans le sol sont fortement interdépendants et complexes. Ils ne doivent pas pour autant nous couper d’approches fonctionnelles toutes aussi complexes, mais plutôt nous forcer à relier des critères qualitatifs ou quantitatifs du fonctionnement du sol à des processus élémentaires (dégradation de substrats divers, transferts d’eau et de minéraux, agrégation…).

PA : Le sol passionne toujours les agronomes. Mais y a-t-il encore des choses à découvrir dans ce domaine ?
F. L. :
Il existe plusieurs définitions de la « santé du sol », ce qui prouve bien que le concept n’est pas stabilisé. En tant qu’agronome, le concept de fertilité du milieu est fondateur. L’agronomie moderne lui a substitué le terme d’aptitude culturale mais celui-ci est resté centré sur le service de production de biomasse. C’est la raison pour laquelle a émergé le concept de qualités (au pluriel) des sols, qui permet de prendre en compte un ensemble de services rendus par le sol. La science permet de progresser rapidement dans la connaissance des communautés de bactéries et champignons qui sont à la base de nombreux processus, en bénéficiant notamment de remarquables progrès liés aux outils de caractérisation. Agronomes et écologues en tirent des règles d’interprétation qui ouvrent des voies pour orienter les qualités des sols dans le sens voulu :  travail du sol, rotations, gestion des résidus de cultures, couverts végétaux…


PA : Sait-on aujourd’hui quels paramètres du sol sont importants ?
F. L. :
La recherche avance. Ce début d’année, la connaissance de l’activité biologique des sols a fait un grand pas avec le lancement d’une gamme de services d’analyses, fruit du programme AgroEcosol1. Cet outil révèle, à partir d’un prélèvement classique, une série de bioindicateurs du sol, dont l’abondance et la diversité des organismes du sol. Chaque indicateur est contextualisé, comparé à une référence, ce qui manquait jusqu’alors. Or cette référence est l’élément clé pour poser un diagnostic : compter 100 vers de terre dans un échantillon, c’est bien, mais est-ce suffisant ou pas ? Si on ne se réfère pas à un système de culture donné, ce type de mesure ne présente pas beaucoup d’intérêt. Désormais, pour améliorer et préserver la fertilité biologique de leurs sols, les agriculteurs disposent d’un outil éprouvé et robuste, mais qui devra évoluer pour prendre en compte l’avancée des connaissances.

 (1) Programme porté par Auréa, dont Arvalis est partenaire avec l’Inrae.

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