Des clés pour réussir l’agriculture de conservation des sols

Depuis 2013, un essai longue durée visant à mettre au point et à évaluer les itinéraires techniques en ACS est mené par Arvalis et Daniel Brémond, agriculteur à Oraison dans les Alpes de Haute-Provence. Retour sur dix ans d’enseignements.
Changement climatique : des clés pour réussir l'ACS

L’agriculture de conservation des sols (ACS) se caractérise par les trois piliers que sont la couverture permanente des sols (par des cultures, des couverts ou des mulchs), l’absence de travail du sol et une rotation diversifiée de cultures. L’objectif principal est d’améliorer les performances globales du système par une fertilité et une protection des sols accrues (augmentation de la matière organique et de l’activité biologique, limitation de l’érosion et de la battance, diminution des obstacles physiques à l’enracinement des cultures).

La principale difficulté de la pratique en conditions méditerranéennes réside dans la réussite des couverts végétaux, du fait de l’absence marquée de pluie estivales.

Un essai depuis 2013

Afin de mettre au point les itinéraires techniques de l’ACS dans le Sud-Est et dans une perspective de changement climatique pour les autres régions, Arvalis a noué un partenariat avec Daniel Brémond, agriculteur engagé dans ce système depuis 2009.

Ensemble, ils ont mise en place un essai système visant à identifier des solutions de réussite de l’ACS pour le sud-est de la France.

La parcelle d’essai est positionnée à Oraison (04), dans la vallée de la Durance, sur des sols argilo-calcaires peu caillouteux avec une réserve utile comprise entre 120 et 180 mm.

Si la pluviométrie annuelle moyenne est de 700 mm/an, elle est de plus en plus inégalement répartie, avec une forte concentration de la pluviométrie à l’automne et une raréfaction des pluies estivales (17 mm en juillet en moyenne depuis 2018, 30 mm en août) ainsi qu’en sortie d’hiver (9 mm en mars en moyenne depuis 2019).

Cet essai, démarré en 2013 sur une parcelle sans aucun travail du sol depuis 14 ans, est intégralement consacré à l’agriculture de conservation des sols. Il n’y a pas de comparaison à un autre système de production, la levée d’un certain nombre de freins techniques à l’ACS étant en effet l’objectif premier de l’essai.

Composé de 30 bandes de 6 mètres de large et 150 m de long, la plateforme est séparée en deux parties : une en régime pluvial et l’autre avec irrigation. Chacune de ces deux parties simule des rotations différentes adaptées au contexte climatique et économique local.

Comme de nombreuses parcelles alentours, le site d’essai connait une pression de ray-grass résistants aux herbicides de modes d’actions HRAC 1 et 2, ce qui impose l’allongement des rotations, notamment en pluvial. Les rotations ne sont donc pas fixées par avance mais évoluent pour préserver l’équilibre agronomique du système sans avoir recours au travail du sol.

Un couvert de sainfoin (ici au 26/08/2022) est le seul moyen de couvrir le sol dans le cas d’un été sec.

Des rotations contraintes par le climat

En l’absence d’irrigation, la rotation est dominée par des cultures d’hiver : blé dur et blé tendre (potentiel de rendement de 45 à 55 q/ha), féverole et pois fourrager (figure 1).

ESSAI ACS : une plateforme et 2 types de rotation

La réussite du colza est plus aléatoire compte tenu des déficits hydriques très fréquents en août : sur dix années d’essais, seules deux ont permis l’implantation d’un colza sans irrigation. Il en va de même pour les cultures de printemps comme le tournesol : les implantations de fin d’hiver (pois chiche en janvier) sont plus sûres.

L’introduction de légumineuses annuelles à graines (féverole, pois chiche) est un atout pour gérer efficacement la pression du ray-grass grâce à l’utilisation de matières actives (propyzamides, sous forme de Kerb) sans problématique de résistances.

Par ailleurs, la présence régulière de légumineuses fourragères (sainfoin ou luzerne) est également un moyen de gestion du ray-grass : les fauches successives limitent les montées à graine et la dissémination.

Les rotations en système irrigué sont dominées par le maïs grain (potentiel de rendement de 130 q/ha), en alternance avec du blé dur, du soja ou plus épisodiquement de la féverole.

Réussir l’implantation des couverts permanents

Le cumul de pluie efficace (Pluie-0.35xETP) est durablement négatif de début juin à début septembre, rendant extrêmement périlleux l’implantation d’un couvert sans irrigation à cette période (figure 2).

PLUVIOMÉTRIE : un déficit marqué de mai à septembre

Autrement dit, si des couverts annuels (féverole, avoine, pois…) sont implantés dès que possible au gré des pluies courant septembre, avant des cultures de fin d’hiver ou de printemps, ce sont essentiellement des couverts semi-permanents qui assurent une couverture estivale des sols. Par semi-permanent, on entend ici des espèces pluriannuelles qui vont coexister avec une ou plusieurs cultures de la rotation et être régulées, voire détruites, pour éviter la concurrence avec les cultures de vente.

Ces couverts se composent essentiellement de sainfoin ou de luzerne et sont, en fonction de leur état de développement, complétés par des couverts annuels en sur-semis.

Concernant le sainfoin, c’est une variété de pays qui est utilisée. Pour la luzerne, différents screening ont montré l’intérêt des luzernes de type méditerranéennes ou africaines. Avec des indices de dormance autour de 6, ces variétés autochtones émettant des pousses quasi-continûement pendant l’hiver.

Les trèfles, peu résistants au stress hydrique, ont été peu à peu abandonnés sur l’essai.

La réussite de l’implantation du couvert semi-permanent réside dans son accès à l’eau et à la lumière. L’essai a permis d’étudier les conditions de succès d’implantation et de gestion de ces couverts. Ils peuvent être implantés en cultures pures (luzerne à 20 kg/ha, sainfoin non décortiqué à 100 kg/ha) généralement entre fin août et mi-septembre et valorisés par de la fauche ou de la récolte en graine. Ils restent dans ce cas généralement en place deux ans, le temps de permettre la régulation du ray-grass. Ils servent ensuite de précédent à des cultures exigeantes en azote comme le blé ou le maïs.

Dans l’objectif de préserver le rendement des cultures rémunératrices et d’éviter la concurrence hydrique et azotée, le couvert semi-permanent est très fortement régulé, voire détruit, avant l’implantation du blé ou du maïs.

Les essais ont montré qu’il fallait compter sur environ 360 g/ha de glyphosate pour calmer une luzerne et 720 g/ha pour la détruire, contre 360 à 540 g/ha pour réguler le sainfoin et 1080 g/ha pour le détruire, avec un complément de 2-4D (Chardol 600 0.5l) pour ce dernier.

Un mois avant le semis du maïs, une destruction chimique du couvert implanté en fin d’été précédent (souvent composé d’un mélange de ces légumineuses fourragères avec des graminées) est opérée afin de détruire les graminées qui le composent et qui sont les plus susceptibles d’assécher le profil de sol.

Les herbicides du maïs (Callisto, Pampa, Lontrel) sont ensuite utilisés pour terminer la destruction complète du couvert semi-permanent.

Au fil des années, cette stratégie, combinée à des semis précoces de fin mars-début avril, a permis de sécuriser les rendements de la culture (120 q/ha en moyenne sur 10 ans, contre 102 au niveau départemental) y compris les années très sèches comme 2022 (110 à 140 q/ha).

Pour le blé, le couvert est détruit juste avant implantation de ce dernier.

Féverole associée au sainfoin. L’essentiel des couverts de l’essai est composé de sainfoin ou de luzerne, complétés par des couverts annuels en sur-semis.

De nouveaux créneaux d’installation des couverts semi-permanents

L’installation des couverts semi-permanents est d’avantage pratiquée dans des cultures de vente laissant passer la lumière suffisamment longtemps pour permettre au couvert de se développer (féverole, pois chiche, tournesol) et/ou d’importance économique modérée (féverole, pois chiche). Si le rendement de cette « culture-abri » peut être légèrement affecté, le couvert est en revanche bien implanté sans avoir eu besoin d’immobiliser la surface pendant un ou deux ans, comme c’est le cas avec le sainfoin ou la luzerne en pur. On réussit ainsi à installer un couvert semi-permanent sans diminuer la fréquence des cultures de vente annuelles pour lesquelles les débouchés sont structurés localement.

Afin de minimiser encore les potentielles concurrences, les doses de semis des couverts ont été réduites : 10 à 13 kg/ha pour la luzerne, 60 à 80 kg/ha pour le sainfoin. L’essai a permis de valider sur plusieurs années des stratégies d’installation des couverts semi-permanents tout au long de l’année (figure 3 et tableau 1), mobilisables dès que les conditions climatiques s’y prêtent :

ACS : une couverture quasi-permanente

Implantation avec un colza, comme cela se fait déjà dans de nombreuses régions.

Implantation avec une féverole d’hiver ou un pois chiche. Dans le cas de la féverole, le semis du couvert est concomitant avec celui de la légumineuse à graines qui laisse passer la lumière suffisamment longtemps. Pour le pois chiche, semé généralement fin janvier, on attend la levée de ce dernier pour implanter le couvert (généralement un mois plus tard). Dans les deux cas, des antigraminées sont utilisés pour gérer notamment le ray-grass, mais pas d’antidicotylédone pour permettre au couvert de s’implanter convenablement. En cas de fort développement de ce dernier, la récolte a été adaptée par le recours au fauchage-andainage, avec reprise à la moissonneuse batteuse ensuite. Quand ce n’est pas possible à l’automne, le couvert peut également être implanté au printemps sous une féverole déjà développée.

Implantation avec du tournesol.

Une fois l’une de ces cultures de vente récoltée, le sainfoin ou la luzerne peut rester plus ou moins longtemps en place selon la problématique à gérer : il est détruit à l’automne suivant avant un blé ou laissé en place pour continuer de gérer le ray-grass (et dans ce cas éventuellement regarni par un couvert de graminées semé en fin d’été).

SAINFOIN OU LUZERNE : comment les utiliser au mieux ?

Évaluer la performance du blé dur en ACS

Le diagnostic agronomique de l’essai a été particulièrement focalisé sur la culture de blé dur, centrale dans les systèmes céréaliers de la région PACA, avec la méthode « Diagchamp ». Cette dernière consiste à évaluer les facteurs limitants du rendement et les écarts à un potentiel climatique, défini par modélisation, prenant en compte des pénalisations de production du fait du stress hydrique (tableau 2). L’analyse des résultats montre une sécurisation des rendements et de la nutrition azotée (INN à floraison) grâce aux couverts semi-permanents en précédent, si ces derniers sont suffisamment bien régulés ou complètement détruits.

BLÉS DURS : des performances très dépendantes de la ressource en eau

La succession de deux céréales à paille a montré ses limites concernant la gestion du ray-grass et les risques de piétin échaudage, surtout en conditions sèches pendant le remplissage du grain. De même, l’implantation du blé derrière maïs entraîne généralement une faim d’azote précoce due à la dégradation des résidus de culture, si les apports d’azote n’ont pas été anticipés en conséquence, en plus de risques de fusarioses sur plateau de tallage et épis. En comparaison des pratiques régionales, l’IFT du blé dur est plus élevé du fait de la gestion de l’interculture avec du glyphosate.

L’efficience de la fertilisation minérale (azote apporté/rendement) est en revanche améliorée du fait de la présence récurrente de légumineuses. Une analyse multicritère et globale de l’essai et de l’exploitation de Daniel Brémond est en cours, visant à analyser la trajectoire économique et environnementale (IFT, bilan carbone…) depuis dix ans.

À suivre dans nos prochaines éditions :L’analyse des performances économiques et environnementales de l’essai.

Mathieu Marguerie - m.marguerie@arvalis.fr

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