L'écimage, un levier de plus contre la folle-avoine

Dès 5 à 20 pieds/m² selon la culture, la folle-avoine (Avena fatua) occasionne des pertes de rendements. D’une part, car elle concurrence directement la culture, et d’autre part, car ses levées échelonnées et sa période de grenaison dégradent la récolte (tri des grains, contaminations). De quoi préoccuper les producteurs, qu’ils soient en agriculture conventionnelle ou en agriculture biologique (AB), alors que l’adventice est observée de plus en plus fréquemment. En se basant sur des connaissances biologiques (maturité de la graine, cinétique et période de levée, ou taux annuel de décroissance), la gestion de la folle-avoine pourrait être optimisée par la combinaison de l’écimage à différents leviers tels que la rotation, le travail du sol, le choix de la variété ou encore la date de semis de la culture.

Pour en arriver à cette conclusion, Arvalis a mené une expérimentation de trois ans en vue d’acquérir une connaissance plus fine de la biologie de la graminée. Des prélèvements de graines dans des parcelles avec des densités de folle-avoine significatives (environ 5 pieds/m²), et réparties sur une dizaine de départements français, ont été réalisés. Ceux-ci ont eu lieu majoritairement dans des cultures d’hiver (blé tendre) ; et dans des cultures de printemps (orge, lin et lentille). Les graines prélevées ont ensuite été semées en pots sur un mélange de terre de champ et de sable, en surface ou à 3 cm de profondeur, en octobre ou novembre de l’année de l’échantillonnage (conditions semi-contrôlées). Dans l’objectif de compléter l’expérimentation en pots, les graines de chaque échantillon ont été placées en boites de Pétri afin d’évaluer leur viabilité et de tester l’impact de la température et de la luminosité sur leur germination (conditions contrôlées).

Cinq éléments à retenir sur la biologie de la folle-avoine• La couleur de la graine de folle-avoine sur sa panicule est liée à sa maturité : des graines marron foncé/noires (matures) comptabiliseront 2 fois plus de levées dans la culture suivante que des graines vertes/marron clair (immatures)

• Une période de froid (< 5°C) stimule les germinations à condition que les graines soient matures (couleur foncée) ;

• Bien qu’ayant la capacité de germer à 15 cm de profondeur, les levées seront favorisées par un faible enfouissement de la graine ;

• L’écimage (ou du moins, la désolidarisation de la graine et du pied de la plante) impacte défavorablement la faculté germinative de la graine immature ;

• Immatures au sol, les graines de folle-avoine restent viables malgré une faculté germinative réduite.

La couleur des graines est corrélée à leur maturité

L’intérêt premier de cette expérimentation sur la couleur de la graine de la folle-avoine était de déterminer si elle pouvait servir d’indicateur au champ pour déterminer la maturité des graines afin d’adapter ou d’optimiser l’itinéraire technique (ITK). Autant en conditions contrôlées (boite de Pétri) que semi-contrôlées (pots), la couleur de la graine (photo 1) a son importance quant aux taux de germination observés.

En pots, une graine foncée (marron foncé ou noire) aura un taux de germination deux fois plus important qu’une graine de couleur claire (vert ou marron clair). Des observations confortées par les résultats obtenus en boîte de Pétri. En effet, les graines vertes ont peu, voire pas germé aux différentes conditions testées (taux de germination < 1%) ; quelques germinations ont été relevées pour les graines marrons (< 20 %) ; et un taux maximal de 50 % de germination a été relevé pour les graines noires placées dans l’obscurité à 15°C avec du nitrate de potassium (KNO₃), un activateur de germination.

Des graines qui tirent profit d’un « coup de froid »

Si le gel peut détruire les jeunes plantules de folle-avoine (phénomène observé en pots), un léger coup de froid stimule quant à lui les germinations. Les graines de quelques échantillons ont été placées à 5°C (boites de Pétri) pendant 3 semaines, puis à température ambiante à l’obscurité.

Même si, de nouveau, la couleur de la graine influence la réponse au froid, le froid semble induire la germination de graines qui étaient jusqu’ici en latence. Comme illustré dans la figure 1, les graines vertes ne germent pas. Les graines marron clair ne germent pas en restant à 5°C, mais voient leur taux de germination multiplié par cinq après un passage au froid. Pour les graines de couleur foncée, le taux de germination dépasse les 60 % dès le maintien à 5°C.

Les graines claires étant considérées comme immatures (humides avec une structure embryonnaire en cours de développement), la majorité d’entre elles n’ont ni la structure ni le métabolisme adapté pour germer. Certaines d’entre elles (graines marron clair) présenteraient néanmoins une structure plus aboutie permettant la germination par suite d’un passage au froid. Les graines de couleur foncée sont quant à elles considérées matures, avec un embryon formé et un métabolisme réceptif aux facteurs environnementaux. En favorisant la dégradation de l’enveloppe externe, en réhydratant la graine et en inhibant certaines hormones, le passage à 5°C va donc favoriser leurs germinations.

L’enfouissement limite la germination dans la culture suivante

En fonction du travail du sol réalisé après retombée des graines (naturellement ou à la suite d’un écimage), la profondeur d’enfouissement peut varier et impacter les levées de folle-avoine. Bien que la luminosité ne ressorte pas comme un facteur déterminant des germinations en conditions contrôlées, deux profondeurs d’enfouissement ont été testées en conditions semi-contrôlées : un semis en surface et à 3 cm. Les observations montrent que quel que soit son niveau de maturité, une graine restée en surface germe plus facilement qu’une graine enfouie à 3 cm. Presque deux fois plus de levées sont observées en surface pour des graines claires en comparaison à un semis à 3 cm ; et 26 % de levées supplémentaires sont observées pour des graines foncées semées en surface versus à 3 cm (figure 2).

Les graines non germées restent viables plusieurs années

En 2022, les échantillons de 2020 et 2021, conservés au sec et à l’obscurité, ont été ressemés en pots et leur capacité à lever a été évaluée. La figure 3 illustre que, quelque soit leur niveau de maturité, les graines restent viables au cours du temps ; mais que dans la majorité des cas, des graines prélevées immatures (vertes) conservent des levées inférieures à 50 %. Il semble donc que la désolidarisation de la graine et du pied de la folle-avoine (par exemple lors de l’écimage), altère l’acquisition de la faculté germinative. De ce fait, malgré un changement de couleur, la graine écimée présente une perte de faculté germinative au cours du temps. En figure 3, le dernier échantillon montre que des graines prélevées (écimées) matures, de couleur foncée, conserveront une faculté germinative élevée 2 ans après prélèvement.

Un changement de couleur des graines en dix jours

Enfin, les observations en pots rapportées en figure 4 montrent qu’à une dizaine de jours d’intervalle, les graines changent de couleur et voient, pour certaines, leurs taux de germination multiplié par dix. En associant ces derniers résultats à ceux de la figure 3, il semble donc pertinent d’intervenir fin mai à début juin au plus tard dans le cadre de ces années de prélèvements (encadré), de façon à écimer des panicules encore vertes qui auront une faculté germinative inférieure à 50 % dans les années suivantes.

L’approche basée sur la biologie de l’adventice, telle que proposée dans le cadre de cette étude, est transposable à d’autres plantes. Des essais ont également été réalisés sur Rumex crispus et Datura Stramoine, plante toxique invasive pour identifier des leviers de contrôle.

Comment intégrer l’écimage dans sa stratégie de lutte contre la folle-avoine ?Un écimage précoce (en mai, dans le cadre de ces années de prélèvements) conduira à une majorité de graines claires au sol (levées < 40 % en sortie d’hiver). Avec un TAD élevé, la stratégie sera de concurrencer l’adventice par l’implantation d’une culture d’hiver couvrante, par le choix d’une variété précoce et d’une date de semis avancée. Un écimage tardif (en l’occurrence ici au mois de juin) conduira à une majorité de graines foncées au sol (70 % de levées en sortie d’hiver). L’implantation d’une culture d’hiver sera déconseillée car une stratégie de déstockage sera à privilégier. En effet, avec des levées automnales et printanières, la pratique de faux-semis puis d’un désherbage à l’automne et en sortie d’hiver, voire au printemps avant le semis de la culture suivante, permettront de limiter les levées de folle-avoine dans l’année suivant l’écimage.

Il est toutefois important d’intégrer qu’en raison de levées échelonnées et d’une variabilité génétique importante, la stratégie de gestion proposée dans le cadre de cette étude aura ses limites sur la folle-avoine.

Cécile Roques - c.roques@arvalis.fr
Gwénaëlle Barrilliet - g.barrilliet@arvalis.fr
Madison Van’t Klooster - m.vantklooster@arvalis.fr
Justine Gravé - j.grave@upterra.fr